Publié le Dimanche 14 juin 2015 à 07h05.

Hommage : Vassili Grossman, la liberté dans la guerre

L’auteur anti-stalinien de Vie et destin a été le premier journaliste à participer à la libération de Treblinka et à la chute de Berlin.

Huit mai à Paris et 9 mai 2015 à Moscou : 70e anniversaire de la victoire des peuples contre le monstre nazi. Les récentes rétrospectives européennes nous disent rarement quelle était l’ambiance à Moscou. Un écrivain russe, Vassili Grossman, permet de se replonger dans la plus grande bataille de la Deuxième Guerre mondiale gagnée par le peuple russe (Stalingrad) et de mieux comprendre les années tragiques qui précédèrent et suivirent cet épisode sanglant où le peuple crut pouvoir vaincre Hitler et espérer la liberté. La déportation directe des prisonniers de guerre russes de retour d’Allemagne signera la fin de la trêve et le retour du glacis.Né en 1903 de famille juive, Grossman a tout connu, la fin de la période révolutionnaire puis la contre-­révolution stalinienne. Il a gagné son statut d’écrivain en passant à travers les purges. Mais en 1938, il est rattrapé par celles-ci. Sa femme est arrêtée en pleine « Ejovchtchina » au motif que son précédent mari, Boris Gouber, a été condamné et exécuté en 1937. Grossman intervient alors en prenant le risque énorme d’écrire personnellement à Nikolaï Iejov et parvient à faire libérer sa femme. Il adopte également les deux fils de Gouber pour qu’ils ne soient pas envoyés dans un camp d’orphelins d’« ennemis du peuple ». Cette même année, son oncle David Cherentsis est arrêté et fusillé à Berditchev. Durant cette période, impuissant, Grossman est contraint de signer une pétition de soutien aux procès intentés contre les vieux bolcheviks accusés de trahison.

Un auteur lucideTerrifié par l’avancée des troupes nazies, Staline, qui avait liquidé l’encadrement de l’Armée rouge, fut contraint d'ouvrir en grand les rangs de l’armée et d’accepter la constitution de brigades de volontaires armés souvent constituées de prisonniers politiques. Un vent de liberté souffla alors sur l’URSS, et des discussions plus libres se menaient à Stalingrad sur les positions en contact avec l’ennemi où les « commissaires politiques » n’osaient guère s’aventurer. Jusqu’en 1946, un régime de relative liberté régna donc à Moscou et Vassili Grossman pu concevoir sa grande œuvre (Vie et destin) tirée de son expérience de reporter de guerre en Russie et en Allemagne, tout en publiant des livres « officiels » acceptés par la censure.La grande lucidité de l’auteur lui permet de comprendre les similitudes entre le fonctionnement de la société stalinienne et celui de la société nazie. Il peut ainsi passer du camp de concentration allemand au goulag soviétique, de l’État fasciste à l’État stalinien où « Le national devient un nouveau fondement de la compréhension du monde » et le « juif », le « Tatar » ou le « Kalmouke » « l’ennemi éternel ». Il peut aussi mettre en scène la confrontation entre un vieux bolchevik et un gradé nazi à Treblinka, imaginer Staline, le piètre stratège, convoquant Trotski pour lui faire admirer « sa » victoire militaire, imaginer la réunion des chefs nazis pour concevoir l’extermination scientifique des juifs après le génocide par balles des « Einsatzgruppen » qui liquidèrent sa mère et les 35 000 juifs de sa ville natale...

Sylvain Chardon

Vie et destin, Le livre de Poche, 2005, 12 euros.Carnets de guerre : de Moscou à Berlin, 1941-1945, Le livre de Poche, 8 euros.