Éditions Futuropolis, janvier 2022, 96 pages, 16 euros.
Kristina Alexandra Vasa, reine de Suède du 6 novembre 1632 au 6 juin 1654, née le 18 décembre 1626, est décédée le 19 avril 1689 à Rome, après une vie très romanesque. Un règne dès l’âge de 6 ans, une abdication, une conversion, en font incontestablement un personnage historique à part. Jean-Luc Cornette (scénario) et Flore Balthazar (dessin, couleurs) lui consacrent une BD, adaptée de la pièce de Michel-Marc Bouchard.
Kristina crève les planches
Kristina, la reine-garçon, mise en planches en ce début 2022, a déjà donné lieu à un grand nombre de publications, de biographies – y compris de sa main –, de documentaires, d’un grand nombre de travaux universitaires, et aussi de deux films, dont l’excellent Kaurismaki. Contenir la vie et l’œuvre de Kristina en quelques pages de BD était donc un défi à relever...
La couverture plante le décor : Kristina, appelée à régner sur un pays d’ours et de bûcherons, s’impose en majesté, s’affiche comme celle que l’on ne dominera pas. Aussitôt après, un portrait pleine page qui, allez savoir pourquoi, m’évoque le lion rugissant de la MGM, place le récit qui va suivre directement sous la férule de celle qui, à l’instar des actrices qui captent la lumière, crève non pas l’écran mais les planches de cet ouvrage qui lui est consacré.
Kristina la moderne
Il ne s’agit pas ici de s’approprier la figure de Kristina en la dépeignant via des catégories de notre époque, tentation à laquelle il n’est pas facile d’échapper. Était-elle libertine, était-elle bisexuelle, était-elle féministe, était-elle même une femme – des scientifiques suédois iront jusqu’à exhumer son corps pour vérifier que le squelette qui repose au Vatican est bien celui d’une femme ! Ce qui donne force à ce livre, c’est de montrer, au travers de certains épisodes de sa vie, que Kristina, plongée dans la tourmente des luttes de pouvoir du 17e siècle en Europe, a su rester une femme libre, qui entendait garder la maîtrise sur sa vie, sur son corps.
Son refus du mariage – refusant de laisser un homme « labourer son corps comme un paysan la terre » –, le rejet de la maternité, l’horreur que lui inspire l’idée même d’être « engrossée comme une truie », la volonté d’apporter à son peuple les sciences et les arts – ce pays de bûcherons incultes, violents et alcooliques –, la signature de la paix en Europe – la fin de la guerre de 30 ans entre monarchies catholiques et protestantes –, contre l’avis de tous ses conseils, contre la mémoire tutélaire de son père, le Lion du nord, chef de guerre pourfendeur de catholiques, la rupture avec le luthérianisme, rigide, austère et puritain, sa conversion au catholicisme, mais sans renoncer à son libre arbitre, son allégeance au Vatican, sans jamais négliger ses intérêts propres... Autant d’aspects de la vie et de l’œuvre de Kristina mises en pages par les auteurEs, qui suffisent à camper la modernité de la reine Kristina et à donner aux lecteurEs l’envie d’en savoir plus sur celle qui, toujours à contre-courant, toujours indocile, forte, fière et rebelle, aura toute sa vie honoré sa devise : « Je suis née libre, j’ai vécu libre, je mourrai libérée ».