Publié le Samedi 28 septembre 2024 à 13h00.

La force des femmes, de Denis Mukwege

Traduction Marie Chuvin et Laetitia Devaux, Éditions Gallimard, collection Folio actuel n° 195. 400 pages, 9,40 euros.

La présentation du gynécologue congolais Denis Mukwege comme « l’homme qui répare les femmes » est des plus réductrices. Denis Mukwege est d’abord et avant tout un militant féministe, une cause à laquelle il consacre sa vie. À travers son ouvrage salutaire et émouvant, on partage son cheminement, de la prise en charge médicale des femmes à la critique radicale des sociétés patriarcales qu’elles soient ­africaines ou occidentales.

La force de revivre

Les débuts de sa carrière médicale sont consacrés aux soins des femmes notamment lors des accouchements difficiles. Puis avec la venue des conflits armés dans le pays, l’essentiel de son travail consistera à soigner les victimes des viols et violences sexuelles.

Ce n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage d’expliquer simplement, en quelques phrases, les raisons des conflits qui secouent la République démocratique du Congo (RDC) depuis plus de trente ans.

Avec l’auteur, à travers des portraits attachants de femmes victimes de ces violences, on comprend que les actes de soins doivent être accompagnés aussi d’un soutien psychologique, moral mais aussi d’une aide sociale et économique permettant aux victimes de pouvoir vivre décemment.

Il relate la manière dont les victimes sont soignées, comment elles sont prises en charge par les femmes de l’équipe : les « mamans chéries […] Elles sont à la fois des infirmières, des assistantes sociales et des psychologues » et « délivrent autant de câlins et de musique que de médicaments ». À force d’écoute, de tendresse et d’amour, elles permettent à ces survivantes parfois des adolescentes, de reprendre vie en se débarrassant du sentiment de honte et de culpabilité.

On apprend le rôle majeur des anciennes victimes dans la réalisation du projet d’accompagnement social et économique. Pour construire la « Cité de la Joie », l’entreprise de bâtiment a eu l’obligation d’embaucher des femmes, cassant ainsi la division genrée du travail.

Un lourd tabou

L’auteur considère que le viol est rendu possible par des siècles d’oppression patriarcale. En décrivant la vie quotidienne des Congolaises dans les zones rurales, on prend la mesure du degré d’oppression et ­d’exploitation subies.

Mukwege raconte cette anecdote terrifiante. Ayant en face de lui un combattant d’une des milices qui sévit en RDC, il lui demande pourquoi ces viols sont accompagnés en plus de sévices atroces. Sa réponse, de l’aveu de l’auteur, lui glace le sang : « Quand on tranche la gorge d’une chèvre ou d’un poulet on ne se pose pas de question. Une femme, c’est pareil. On fait ce qu’on veut avec. »

Un des mérites de ce livre est l’analyse pluridimensionnelle du viol. Dans les situations de conflit il est considéré comme une arme de guerre dont le but est d’annihiler les liens sociaux du camp ennemi ou de mener des campagnes de purification ethnique. Il permet aussi aux groupes armés, comme Daesh, de recruter et garder leurs membres en promesse de femmes. Des témoignages de miliciens font état d’une sorte d’addiction dans ces actes de violence. En RDC, les viols massifs sont aussi un moyen pour pousser des populations à partir afin de s’attribuer l’exploitation des mines.

Mais il existe un point commun à ces crimes, leur invisibilisation. Mukwege nous interroge sur l’appréhension de notre propre passé historique. Parle-t-on, lors des différentes commémorations de guerre, des victimes de viol ? Ne préfère-t-on pas passer sous silence les violences sexuelles des alliés lors de la Seconde Guerre mondiale ? Qui évoque les viols lors du génocide des juifs par les nazis ?

Mukwege note avec une grande satisfaction que les mouvements féministes comme #MeeToo ont permis de briser le silence sur ces crimes signifiant le début d’une remise en cause de l’impunité pour les agresseurs. Si les lois nationales et internationales ont évolué dans le bon sens, leur application reste dans la plupart des cas problématique et seules les mobilisations permettent l’effectivité de ces dispositions juridiques. Denis Mukwege nous invite à les renforcer en « transformant nos émotions en action ».

Paul Martial