Essai d’Alain Bihr. Le premier âge du capitalisme, tome 2, Page 2-Syllepse, 808 pages, 30 euros.
Alain Bihr publie le tome 2 de sa somme sur la transition du féodalisme au capitalisme en Europe occidentale. Dans cette évolution, il donne un rôle essentiel à l’expansion commerciale et coloniale outre-mer à laquelle était consacré le tome 1, dont nous avons rendu compte en septembre 20181. En effet, pour l’auteur, « la constitution du capitalisme comme réalité mondiale est, non pas le point d’arrivée de l’histoire du capitalisme, mais son point de départ ».
Bouleversements en Europe occidentale
Le tome 2 décrit l’ensemble des bouleversements que connait l’Europe occidentale du début du 15e siècle à la fin du 18e siècle, bouleversements qui concernent les structures et pratiques économiques, sociales, politiques et culturelles. Durant cette période, les techniques de production évoluent, des manufactures se développent mais le capital industriel reste largement minoritaire et faible par rapport au capital commercial. Il s’agit d’une période de transition, un « protocapitalisme », où se mêlent l’ancien et le nouveau. Si avec la montée de la bourgeoisie s’engage l’évolution d’une société d’ordres vers une société de classes, la noblesse parvient à maintenir ses privilèges tout en tentant, pour une part, de s’insérer dans les nouveaux mécanismes économiques et sociaux. L’État se préoccupe d’économie, les monarchies absolues privent la noblesse de son pouvoir politique mais en même temps garantissent son statut social et sa domination sur la paysannerie, ce dont la bourgeoisie ascendante doit s’accommoder. Les sciences, la culture s’affranchissent de plus en plus de l’emprise de la religion catholique mais celle-ci ne désarme pas.
Montée de l’emprise de la bourgeoisie sur le pouvoir politique
Ce processus de transformation n’a rien d’une évolution « naturelle ». Il est loin d’être pacifique, non seulement les États européens se font la guerre, mais ils sont déchirés par des conflits internes souvent sanglants : révoltes paysannes, émeutes urbaines (auxquelles s’associe, de façon subordonnée, le prolétariat en formation), conflits religieux, révoltes nobiliaires. Mouvements où s’entremêlent les déterminants mais dont l’enjeu ultime est le plus souvent la montée de l’emprise de la bourgeoisie sur le pouvoir politique et ses implications. Ensuite, Alain Bihr insiste, à juste titre, sur le rôle de l’État dans la genèse des conditions de la dynamique précapitaliste : l’économie de marché n’est nullement naturelle, il faut que soient levés les obstacles à la « libre-entreprise ».
Durant ces siècles, l’ancien n’en finit pas de mourir tandis que le nouveau peine à le submerger. Le troisième tome montrera comment du double processus précédemment décrit (expansion extérieure et transformations internes) nait le monde proprement capitalisme. Dans cette somme (le tome 1 compte 700 pages et le deuxième 800), les lecteurEs peineront parfois devant la masse d’informations et de raisonnements, mais resteront admiratifs devant le travail accompli pour éclairer des transformations souvent résumées de manière trop schématique.
Henri Wilno
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