Publié le Mercredi 3 mars 2021 à 12h22.

La permaculture ou l’art de réhabiter, de Laura Centemeri

Éditions Quae 152 pages, 16,50 euros.

La permaculture suscite depuis quelques années une abondante littérature qui laisse croire qu’il s’agirait d’une technique agricole à petite échelle, dans un environnement local. La mise en valeur de ces notions durant l’épisode Covid, et l’effondrement systémique en cours, encouragent à s’intéresser de plus près à ce mouvement, né dans les années 1980 en Tasmanie du besoin de réhabiter des terres usées en inventant une éthique écologique respectueuse tant de l’environnement que des personnes.

Des idées reçues au projet politique et social à portée universelle

Contrairement donc à des idées fréquemment répandues, la permaculture n’est pas une technique agricole, elle est un mouvement social et politique, une philosophie, un art de vivre, une approche systémique, qui trouve sa réalité dans chaque contexte au lieu de s’imposer à lui.

Laura Centemeri, chargée de recherche au CNRS en sociologie de l’environnement, a étudié la perma­culture comme figure pratique du care environnemental. Le mouvement se revendique plus au départ comme culturel que politique, ce qui lui vaut d’être récupéré même par des mouvements réactionnaires et xénophobes, soucieux uniquement de leur autosuffisance. Heureusement cette tendance n’est pas représentative.

Laura Centemeri s’applique a contrario à mettre en lumière la dimension de mouvement social, donc politique de la permaculture : « La permaculture n’est donc pas simplement une méthode qui guide la conception d’un système socio-écologique conçu pour être pérenne : il s’agit également d’une vision du monde, sur le plan éthique et politique ».

L’ouvrage reprend l’historique du mouvement et analyse la pensée des initiateurs Mollison et Holmgren pour démontrer son caractère universel, adapté aussi bien aux problèmes des peuples autochtones qu’à la réhabilitation des milieux épuisés par la surexploitation ou la pollution, permettant de recréer un milieu nourricier et sain à partir des traditions locales.

Ancrage territorial/réseau international

Partie du monde austral, la permaculture s’est répandue partout car elle répondait aux exigences locales de renaissance, d’indépendance, de justice sociale et d’émancipation.

« Ayant vocation à être une proposition capable de circuler au-delà des différences géophysiques et climatiques aussi bien que culturelles et politiques des territoires, la méthode permaculturelle peut faire l’objet de plusieurs formes d’appropriation, chacune accentuant certaines de ses composantes ».

Laura Centemeri introduit la notion de mouvement fluide et non scalable, « la qualité de non-scalable renvoie à une forme de perméabilité du projet au contexte et aux dynamiques qui le façonnent ». Ces caractéristiques de fluidité et de non-scalabilité ont placé la permaculture au cœur des mouvements altermondialistes, des luttes contre l’exclusion et en ont fait l’alliée des villes en transition.

L’émergence d’une société écologique ouverte

Laura Centemeri consacre la seconde partie de son ouvrage à analyser le rôle de la permaculture dans l’émergence d’une forme alternative d’organisation sociale, face notamment à l’urgence écologique.

Les principes de base des fondateurs « prendre soin de la terre ; prendre soin des personnes ; limiter de manière volontaire la reproduction et la consommation […] de manière à créer un surplus qui doit être employé pour prendre soin de la terre et des personnes », résonne clairement avec le discours de réaction à la catastrophe en cours et à ses conséquences humaines, sociales, écologiques, économiques dans un « monde de ruines ».

L’auteur étudie les notions de réflexivité environnementale, de care, insiste sur la convergence entre inégalités sociales et inégalités écologiques, la biodiversté, la notion de valeur, et partant celle d’évaluation.

Laura Centemeri pointe également les risques et les paradoxes, les « choix tragiques » qu’impose le care, la récupération par le capitalisme de la valeur créée à ses marges, la problématique de l’économie du luxe, elle est à cet égard critique du mouvement « Slow Food », élitiste et lié aux intérêts financiers, qui sépare les questions de la réhabilitation et celle de la justice sociale. Ces propos sont éclairés par les nombreux projets en cours en Italie et les formes qu’y prend l’interdépendance des humains et non-humains avec leur milieu.

Une autre réponse

En guise de conclusion, non conclusive, Laura Centemeri relie l’éthique de la permaculture à la notion orwellienne de « bon sens », elle insiste sur le caractère politique de la permaculture, résumé par la suprématie de la justice sociale, et concrétisé en Italie par l’engagement des permaculteurs dans le soutien et l’intégration des réfugiés.

Ce court ouvrage est d’une extrême richesse et d’une grande actualité. Il permet au lecteurE d’avoir une vision du mouvement permaculturel, du bouillonnement intellectuel et pratique qu’il représente, de ses enjeux, de ses engagements mais aussi de ses contradictions ou détournements, et de s’en saisir dans l’action.