Publié le Vendredi 14 septembre 2018 à 00h39.

Le premier âge du capitalisme

D’Alain Bihr. Tome 1 : l’Expansion européenne. Éditions Syllepse-Page 2, 30 euros.

Pourquoi le capitalisme s’est-il développé en Europe et non pas en Asie ? En effet, la Chine, voire le Japon, des 14e et 15e siècles, possédaient certaines des caractéristiques communément citées parmi les atouts de l’Europe à la même époque, et considérées comme le substrat de son développement et avaient un niveau technologique égal, voire supérieur. 

Du féodalisme au capitalisme

Dans la Préhistoire du capital (Éditions Page 2, 2006), Alain Bihr avait montré que, de tous les modes de production antérieurs au capitalisme, le féodalisme est le plus favorable, à la limite le seul favorable, à la formation du rapport de production capitaliste, même si ce dernier s’y heurte à de nombreux obstacles qui limitent son développement.

Pour Bihr, le premier âge du capitalisme, dont il traite ici, est en fait un « protocapitalisme » (du grec protos, qui signifie premier), dernière étape de la longue transition du féodalisme au capitalisme, inaugurée lors du Moyen Âge européen. Durant cette période se parachève la formation des rapports capitalistes de production en Europe, même si se mélangent encore des éléments du nouveau mode de production et ceux issus du féodalisme. C’est en fait, selon Bihr, l’expansion dans laquelle l’Europe s’est lancée en direction des continents américain, africain et asiatique à partir du 15e siècle qui lui a permis d’être le berceau du capitalisme : « La "mondialisation", la constitution du capitalisme comme réalité mondiale, est non pas le point d’arrivée de l’histoire du capitalisme mais son point de départ, plus exactement sa condition préalable ».

Expansion commerciale, expansion coloniale

Alain Bihr souligne l’importance des transformations, notamment technologiques, regroupées sous l’expression « révolution industrielle ». Mais, pour lui, il importe de ne pas négliger les évolutions qui ont marqué les rapports de production et, plus largement, l’ensemble des rapports sociaux. Ces dernières ne furent pas seulement les conséquences ou les effets des précédentes, mais comptèrent aussi parmi leurs conditions.

L’ouvrage couvre la période comprise entre le début du 15e siècle et la deuxième moitié du 17e. Il décrit et analyse les deux formes fondamentales de l’expansion européenne : commerciale et coloniale. Des régions entières d’Afrique, d’Amérique et d’Asie sont subordonnées, par des méthodes fondées sur la plus extrême des violences, aux exigences de la dynamique de formation du capitalisme en Europe même. 

Les deuxième et troisième tomes à venir traiteront des bouleversements que l’Europe occidentale a connus concomitamment à son expansion extérieure, ainsi que des disparités entre les États européens quant au calendrier et aux formes de leur expansionnisme et des rivalités qui les ont opposés. Cet ouvrage, fondé sur une masse d’informations, alimente la réflexion sur la genèse sanglante du capitalisme ; avec les deux tomes à paraître, il constituera une somme.

Henri Wilno