Éditions Asphalte, 2024, 528 pages, 24euros.
Une histoire somme toute ordinaire, une histoire d’amour, ou presque, des personnages qui se ratent, qui auraient pu ne pas, mais la vie est ainsi... Une tragédie, en somme. Des choix d’auteur, sans doute, mais pas que… ! Le Tumulte et l’Oubli est inspiré de son histoire familiale.
L’Histoire, ça change tout !
Lectrice ou lecteur perspicace, car il en est ainsi du lectorat de notre excellent journal, le H majuscule de « Histoire » ne vous aura pas échappé... En effet, cette histoire se déroule précisément dans une ville allemande de Tchécoslovaquie... La région, les Sudètes, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a fait parler d’elle. Et même si peu d’entre nous sauraient la situer vraiment sur une carte, la plupart savent que son annexion en 1938 par ce qui aspirait à devenir le Grand Reich sous la férule de son führer a provoqué un séisme politique, débouchant assez rapidement sur la Seconde Guerre mondiale.
Localement, cela se traduit par des mutations radicales et rapides : au moment de l’annexion, Jedlov, en Bohême, devient Tannberg (l’une comme l’autre sont les appellations romanesques d’une ville fictive, incarnant toutes les villes potentiellement concernées) et les Tchèques, alors très minoritaires, sont priéEs d’aller voir ailleurs. Quelques années plus tard, le Grand Reich d’effondre sous les coups de boutoir des armées alliées – celle qui domine dans la région, c’est l’armée rouge. À la fin de la guerre, Tannberg redevient Jedlov, et c’est au tour des AllemandEs des Sudètes de prendre le chemin de l’exil. Puis, assez rapidement, la Tchécoslovaquie rejoint politiquement le bloc de l’Est.
Les histoires croisées d’héroïnes de passage !
Timothée Demeillers plonge ses personnages dans le tumulte de l’Histoire et nous donne à voir les effets sur leurs vies, de tous ces bouleversements au travers des histoires croisées de deux jeunes femmes. L’une, Sieglinde, jeune Allemande éprise d’un Tchèque, suit d’abord le mouvement patriotique engagé par les nazis... puis, quand la peur aura changé de camp, son jeune amoureux ne saura prendre son parti – lâcheté très ordinaire qui le condamnera à une vie d’attente. D’autre part, Ivetka, mariée à 14 ans, qui va réussir à s’éduquer, à s’émanciper, devenant la première Tsigane à faire des études, à la force de sa volonté, mais aussi en s’insinuant dans les orientations politiques fluctuantes du nouveau régime de Prague. Tout ceci sans héroïsme, plutôt une forme de pragmatisme, l’instinct de survie, la saisie d’opportunités, une suite de rendez-vous manqués – ou pas –, mais aussi un refus acharné de renoncer, la volonté de s’en sortir... La force (extra)ordinaire de femmes (extra)ordinaires pour continuer à vivre en terrain hostile – ou pas.
Vincent Gibelin