Éditions Grasset, 2023, 416 pages, 23 euros.
Bon, c’est vrai, ce livre n’a pas vraiment besoin de publicité tant il a été chroniqué dans les médias. Mais nous avions envie d’en parler quand même. D’abord parce que nous apprécions beaucoup l’auteur, Sorj Chalandon. Ensuite parce que ce nouveau roman est très touchant, parce qu’il parle d’injustices de classes, d’oppressions et d’exploitation, de révolte.
Maisons d’éducation
L’essentiel de l’histoire se déroule à Belle-Ile-en-Mer en Bretagne en 1934. Une forteresse qui enfermait auparavant les révolutionnaires de 1848 ou encore les Communards de 1871 est devenue une colonie pénitentiaire pour enfants mineurs (jusqu’à 21 ans) délinquants mais pas seulement. En fait, il s’agissait d’enfants pauvres, orphelins, abandonnés, livrés à la rue, considérés comme des voleurs et des voyous, à rééduquer, à redresser. Ces maisons d’éducation étaient de véritables prisons, les enfants étant mal traités, violentés par les gardiens, par l’encadrement, violentés par la société, exploités dans les fermes alentour (apprentissage, travail gratuit).
L’auteur part d’une histoire vraie, celle d’une mutinerie d’enfants et d’une évasion. Pas bien loin car il s’agit d’une île. Mais quand même, cette grande évasion concerne une cinquantaine d’enfants. Chalandon s’intéresse à l’un d’entre eux, Jules, racontant sa vie avant d’être enfermé dans ce qui ressemble fort à un bagne. Un enfant en colère, révolté et il y a de quoi. Il fait partie des évadés. Alors c’est sa vie d’après, sa liberté retrouvée, mais hyperprécaire. Comment s’en sortir ? Surtout que les habitantEs de l’île participent à la chasse aux évadés, en échange d’une prime évidemment. C’est sordide !
Courage et résistance des enfants
L’ambiance, c’est celle des années 1930, la crise et la misère, la présence de l’extrême droite et la montée du fascisme, la guerre en Espagne contre les révolutionnaires… Dans cette noirceur, il y a beaucoup d’humanité, avec d’abord ces enfants, leurs souffrances, leurs vies, leur courage, leurs résistances et puis avec ces personnages de marins, solidaires, communistes, avec aussi cette infirmière de la prison, qui en dehors aide les jeunes femmes dans le malheur qui veulent avorter.
Et puis, il y a un personnage connu qui apparaît dans ce roman. C’est Jacques Prévert qui avait écrit le poème la Chasse à l’enfant, à lire absolument « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! / Au-dessus de l’île on voit des oiseaux / Tout autour de l’île il y a de l’eau / Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! / Qu’est-ce que c’est que ces hurlements / Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! / C’est la meute des honnêtes gens / Qui fait la chasse à l’enfant /… ».
Bref, un beau roman qui rappelle cette enfance maltraitée, celle des classes populaires, par une société violente, par le pouvoir et les dominants de l’époque, il n’y a pas si longtemps que cela. Un roman qui suscite la révolte contre une société qui n’a peut-être pas tant changé que cela.