Publié le Dimanche 3 décembre 2023 à 15h00.

Les anarchistes espagnols, les années héroïques (1868-1936), de Murray Bookchin

Traduction Nicolas Calvé, Éditions Lux (Montréal), 2023, 416 pages, 23 euros.

Les éditions Lux nous proposent la première traduction française de l’ouvrage de Bookchin, paru en 1976. Très documenté, très inspiré, très incarné, ce livre brosse un tableau passionnant de ce que fut le courant anarchiste avant 1936.

C’est un peu ce qui ressort de ce panorama du courant anarchiste en Espagne, depuis le voyage de l’Italien Fanelli, en 1868, à Barcelone puis à Madrid, sur fond de controverse entre Bakounine et Marx au cœur de l’AIT1, jusqu’à la constitution de la CNT, dont on connaît le rôle et le poids lors de la révolution et de la guerre en Espagne, notamment en Catalogne.

On y suit l’implantation des premiers noyaux de militantEs, plutôt intellectuels à Madrid, plutôt prolétaires à Barcelone, la rigueur morale des premiers anarchistes d’Espagne, leur préoccupation permanente de mettre en adéquation leurs comportements et leur mode de vie avec leur idéal anti-hiérarchique et anti-autoritaire.

L’auteur nous guide, depuis les premiers tenants de « l’idée », terme un peu mystérieux qui incarne en Espagne l’Anarchie, aux anarcho-syndicalistes, en passant par les syndicalistes révolutionnaires. Il évoque les débats, les différences de pratiques et de doctrine, de l’insurrection locale au terrorisme en passant par l’antiparlementarisme, le refus du jeu électoral et la grève générale insurrectionnelle qui, finalement, fusionneront dans la grande CNT. Des questions qui traversent le mouvement ouvrier international, au-delà des seulEs anarchistes, et dont l’actualité reste frappante.

Certains passages du livre de Bookchin sont particulièrement lumineux, telle la description de la situation politique et sociale en Espagne à la fin du 19e siècle qui, si elle a pour fonction de montrer que ces contrées étaient alors prête à accueillir « l’idée » à un niveau de masse, nous éclairent très précisément sur la réalité actuelle de l’État espagnol, avec un ancrage très fort de la politique au niveau des « communautés autonomes », la place prépondérante du nationalisme catalan ou basque, et les différenciations nationales, culturelles et sociales qui la fondent. 

Les quelques pages qui évoquent l’engagement pédagogique et politique de Francisco Ferrer2 sont également très fortes, qui établissent l’importance de l’École moderne en Espagne, notamment en Catalogne. On y voit Ferrer, militant républicain, forger dans un seul mouvement ses conceptions pédagogiques et sa vision politique du monde, et devenir un précurseur des courants pédagogiques émancipateurs en Europe ainsi qu’une figure importante du mouvement anarchiste.