Les éditions du Détour viennent de lancer une collection consacrée à rééditer les ouvrages de Maurice Rajsfus qui nous a quittés voici un an, en juin 2020. Ces livres étaient devenus introuvables. Quatre ont déjà été publiés et quatre autres devraient suivre entre 2022 et 2023.
L’un des plus emblématiques est Des Juifs dans la Collaboration, consacré à l’Ugif (Union générale des Israélites de France). Cet organisme composé de notables a en effet servi la politique de Vichy de 1941 à 1944. Sous prétexte de venir en aide aux familles juives, l’Ugif a largement facilité la répression antisémite, notamment en constituant des listes qui étaient transmises aux autorité pétainistes. L’objectif officiel de cette collaboration était d’obtenir la bienveillance de Vichy, mais un certain nombre de ces notables n’échappèrent pas pour autant à la déportation. Ce livre a valu à Maurice Rajsfus une haine farouche des milieux sionistes qui entendaient gommer cette page sombre de leur histoire. Un dénigrement systématique alla jusqu’à accuser d’antisémitisme un homme qui, à l’âge de 14 ans, n’échappa que de justesse à la déportation. Il fut préfacé à sa sortie par Pierre Vidal-Naquet, historien peu suspect d’antisémitisme et connu pour son combat contre la torture pendant la guerre d’Algérie. Un avant-propos de l’historienne Nicole Abravanel vient l’enrichir aujourd’hui.
Barbarie de l’appareil d’État
Les trois autres livrés réédités sont consacrés à la police et ses crimes. Au fil de sa vie, Maurice Rajsfus n’a en effet cessé d’enquêter sur la police dont il a montré la fonction au service des classes dominantes et sa continuité sous tous les régimes qui se sont succédé, bien loin de la mythologie sur « la police républicaine » en honneur dans les partis de gauche, PCF et LFI compris. Cet acharnement l’a conduit de la Police de Vichy qui, non contente d’obéir aux ordres les plus ignobles et de collaborer avec la Gestapo, en a souvent fait davantage qu’on ne le lui en demandait, au 14 juillet sanglant de 19531, au cours duquel six travailleurs algériens et un syndicaliste français furent froidement assassinés, place de la Nation. Un massacre qui préfigura ceux du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 à Charonne.
Ce sont bien évidemment en grande partie les mêmes policiers qui avaient procédé à la rafle du Vél’ d’Hiv de juillet 1942. Seuls en effet 3 % des effectifs furent momentanément écartés des rangs de la police en 1944. Un policier qui avait trente ans en 1942 n’en avait que 50 en 1962. Certains avaient sans doute entretemps gagné du galon.
Ce travail sans complaisance fut nourri par une recherche documentaire acharnée de l’auteur qui conservait précieusement des milliers de petites fiches, rendant ainsi la monnaie de leur pièce à ces policiers sans états d’âme qui avaient arrêté ses parents, dont un ancien voisin de palier !
On notera la présence de préfaces de Arié Alimi, avocat spécialisé dans la défense des victimes de violences policières, pour la Police de Vichy, de l’historienne Ludivine Bantigny pour 1953, un 14 juillet sanglant, ainsi, pour le même livre, que d’une postface de Jean-Luc Enaudi qui s’était consacré pour sa part au massacre des Algériens le 17 octobre 1961, et d’une manière générale aux crimes commis par les forces de répression pendant la guerre d’Algérie.
On ne peut que saluer cette initiative des éditions du Détour qui va permettre à de nouvelles générations de découvrir ces livres indispensables pour comprendre de quelle barbarie l’appareil d’État de la bourgeoisie, gangrené par le racisme, est capable dans certaines circonstances.
Des Juifs dans la collaboration, 488 pages, 24,90 euros
La police de Vichy, 376 pages, 21,90 euros
La rafle du Vél’ d’Hiv, 160 pages, 10,90 euros
1953, un 14 juillet sanglant, 256 pages, 18,90 euros
- 1. Sur ce sujet, on notera aussi le film documentaire Les balles du 14 juillet 1953 de Daniel Kupferstein