Binge Audio Edition, 2024, 346 pages, 19 euros.
Le livre d’Estelle Depris est présenté comme un manuel d’éducation antiraciste à destination des personnes blanches : « Comment devenir unE meilleurE alliéE de la lutte antiraciste ? Qu’est-ce que le privilège blanc et comment se manifeste-t-il ? Comment se sentir légitime pour aborder ces questions en tant que personne blanche ? »1
De meilleurEs alliéEs...
Estelle Depris s’adresse de façon explicite à des personnes blanches qui se considèrent comme n’étant pas racistes, avec l’ambition de les aider à comprendre en quoi et sous quelle forme le racisme ambiant, le racisme systémique, a un impact réel sur leur mode de pensée et sur leurs comportements. L’objectif, pour elle, n’est pas de nous culpabiliser (eh oui, j’en fais partie), mais de nous aider à nous déconstruire afin de devenir de meilleurEs alliéEs.
Ne cachons pas que nombre de réticences peuvent faire obstacle, côté lecteur, à un tel objectif. Les termes même du problème : « privilège blanc », comme si tous les blancHEs étaient des privilégiéEs, « mécanique », comme si ces questions répondaient à des lois immuables... Et puis la démarche individualisante : se déconstruire pour devenir de meilleurEs alliéEs, alors que nous sommes des gens de gauche, bien souvent engagéEs dans des luttes contre le racisme... Et puis la contradiction qui consiste à définir le racisme comme systémique tout en prétendant y apporter des réponses individuelles !
Lire ce livre, vraiment...
Pour autant, sans se départir de certaines de ces réserves qui sont des désaccords politiques à explorer, à éclaircir, à discuter, il est troublant de trouver peu à peu, sous la plume de l’autrice, réponse à nombre d’entre elles. Comme il est étonnant de constater que plusieurs arguments critiques qui nous surviennent au cours de la lecture sont cités par l’autrice, quelques pages plus loin, comme autant de moyens de défense, de « solidarité blanche », de « fragilité blanche ». Il est alors temps, sans a priori, d’essayer de comprendre ce qu’elle a vraiment à dire.
À cette condition, il devient possible de tirer le meilleur de la démonstration, extrêmement précise et méticuleuse, sur la place du racisme dans notre société, son impact sur chacunE d’entre nous, personnes blanches, et nos comportements, sur les effets sur les personnes racisées de tous ces agissements en apparence anodins mais constituant autant de micro-agressions, sur toutes les variantes des mécanismes d’autojustification des dominantEs dont nous faisons alors partie, souvent à notre corps défendant.
Vincent Gibelin
- 1. Présentation de la maison d’édition.