De Leonard Cohen, Columbia, 2016, 16 euros.
«You want it darker » nous confie Leonard Cohen au crépuscule de sa vie, dans ce titre éponyme de son dernier album . Mais à qui le dit-il vraiment ? Beaucoup l’ont découvert cet été après la mort de Marianne Ihlen, la muse norvégienne de Cohen, rencontrée sur l’île d’Hydra en Grèce. « So long, Marianne », « Bird on Wire » et tant d’autres chefs-d’œuvre intemporels du locataire du fameux « Chelsea Hotel » de New York où Cohen tenta d’oublier celle qui l’avait congédié pour une escapade. Hydra, refuge des poètes contestataires américains de l’époque Beat, où Cohen, avec le soutien de Marianne, testa ces premiers poèmes et accords. 56 ans plus tard, quelque jours avant sa disparition, le Canadien adressait ces quelques mots : « Eh bien Marianne, voici venu le temps où nous sommes vraiment si vieux que nos corps partent en morceaux, et je crois que je vais te suivre très bientôt. Sache que je suis si près derrière toi qu’en tendant ta main, tu peux toucher la mienne. » L’entourage de Marianne affirme qu’à la lecture qu’on lui fit de cette lettre, elle leva la main... et mourut.
En résonance avec cette rencontre qui bouleversa sa vie, Cohen ouvre son dernier album avec un chant grégorien orthodoxe d’Hydra interprété par le chœur de la synagogue Shaar Hashomay. Puis, il vire rapidement au gospel blues et boucle ainsi sa vie spirituelle et musicale. La mort est là, mais aussi la vie, la lumière, la force et la beauté. Dans ce véritable testament, il murmure et chante d’ailleurs un peu plus loin (poème numéro 4) « I’m leaving the table, I’m out of the game ». Tout l’album est parcouru de cordes et violons, de voix d’ange et références bibliques pour se clore par l’invocation des légendes de « The creation and the fall » (poème numéro 8 « Steer your way »).
Pourtant Cohen ne s’est jamais considéré comme religieux et n’a jamais construit de « structure spirituelle sur la base de Dieu (lequel d’ailleurs ?) » (dit-il en interview). Le jeu favori (« The favorite game », son premier roman publié en 1962) de Leonard était l’amour libre, multiple et assumé, mais à présent : « just win me or lose me, it is this that the darkness is for ».
La beauté mélancolique et crépusculaire de cet album s’immisce en nous, bouleverse dès la première écoute et ne nous quitte plus.
Sylvain Chardon