Publié le Mercredi 25 décembre 2013 à 13h14.

Poésie : mort d’un grand poète égyptien

Le poète Ahmad Fouad Najm est mort mardi 3 décembre chez lui au Caire. Il avait 84 ans. Il formait avec le chanteur Cheikh Imam un duo en lutte, infatigablement en prise avec « le monde du dehors / avec ses hommes, ses animaux, ses luttes et ses vents », pour reprendre les mots d’un autre grand poète, lui aussi en lutte et longuement emprisonné, Nazim Hikmet (extrait du poème De la vie).

Il est souvent difficile d’appréhender la manière dont une œuvre peut « agir » sur celles et ceux qui l’écoutent, la voient, la partagent. Mais nous savons que les poèmes d’Ahmad Fouad Najm et la musique de Cheikh Imam ont nourri toute une génération en révolte, puis en lutte. On a pu les entendre chantés sur la place Tahrir et en d’autres lieux, porteurs toujours d’un même espoir. Accusé à plusieurs reprises par la justice de son pays pour ses écrits et prises de position virulentes, notamment en faveur de la laïcité, il passera 18 années de sa vie en prison. 

Encore peu traduite en français, sa poésie emprunte à la tradition lyrique méditerranéenne un rapport extrêmement concret à ce qui marque un paysage, tout en le rendant toujours plus vaste, plus large et ramifié à d’autres horizons : la rythmique, les images, la pensée ne sont jamais réellement coupées de la vie quotidienne, des fèves, des arbres, des couleurs... ni de l’histoire. Autre source manifeste d’un art en prise avec l’histoire en train de se faire, l’usage du pamphlet et de la satire (contre les dirigeants égyptiens ou pour la cause palestinienne notamment) à l’instar du poète syrien Nizar Qabbani. Et, fait rarissime pour un poète, il recevra en 2012 le trophée Bouzghiba (prix international de l’humour), pour l’ensemble de son œuvre poétique et son engagement intellectuel au côté des manifestantEs, lors des révolutions arabes.  Sa disparition est l’occasion de rappeler que s’il est des œuvres saillantes, exemplaires, elles nous ramènent toutes et toujours à l’extraordinaire plasticité de l’art et à sa porosité avec la vie. L’art est aussi des luttes car il est du monde.

Samaël Steiner