Publié le Vendredi 11 octobre 2024 à 14h00.

Quand les travailleurs sabotaient – France, États-Unis (1897-1918), de Dominique Pinsolle

Éditions Agone, 2024, 420 pages, 25 euros.

L’auteur est historien chercheur à l’université de Bordeaux. Il avait pour habitude de travailler sur l’histoire et la critique des médias au service des dominants, de leur concentration entre les mains de quelques capitalistes, en réfléchissant avec d’autres, du côté d’Acrimed et du Monde diplomatique, sur le type de média populaire et démocratique que nous pourrions avoir. Ici nous revenons sur un moment particulier de l’histoire du mouvement ouvrier.

Syndicalisme et sabotage

On nous amène tout d’abord en France, à la fin du 19e siècle, durant les premières années du syndicat CGT (né en 1895) très influencé alors par les idées anarcho-­syndicalistes, une forme de radicalité politique. Il y a des grèves, des luttes dures pour des salaires décents, pour un temps de travail décent. Mais malgré une organisation syndicale en plein essor et une social-démocratie aussi en développement (avec Jean Jaurès), confrontées à une dure répression, contre les grèves et contre les militantEs, les luttes s’avèrent difficilement efficaces. C’est alors que des syndicalistes comme Émile Pouget réfléchissent sur des modes d’action plus directs et plus radicaux. C’est la théorie du « sabotage », sa mise en pratique dans les luttes qui va marquer la période. L’idée est simple, c’est de perturber le plus possible la production pour obliger le patronat à négocier : si le salaire est insuffisant et si les conditions de travail sont mauvaises, alors il s’agira de travailler peu et mal.

Répression idéologique et policière

Suivent alors des années de débats intenses au sein des organisations ouvrières, syndicales comme politiques, sous la pression de campagnes hostiles de la part des gouvernements, du patronat et des médias à leur service. Le sabotage qui est une volonté de trouver des moyens efficaces dans les luttes devient dans la propagande du pouvoir une méthode violente voire terroriste. On retrouve exactement les mêmes méthodes aujourd’hui du côté des possédants pour dénigrer, caricaturer, mentir. C’est bien la légitimité des résistances ouvrières qui est remise en cause. La violence de la propagande accompagne celle de la répression politique avec des arrestations, des licenciements, parfois des morts dans les manifestations. À l’image d’une classe possédante qui refuse le droit au prolétariat de se défendre et surtout d’oser contester le pouvoir bourgeois.

Une radicalité des deux côtés de l’Atlantique

La théorie du sabotage traverse l’Atlantique, et le mouvement ouvrier américain s’en empare, reprenant les écrits de Pouget notamment. C’est le syndicat le plus combatif, les IWW (Industrials Workers of the World) qui défendent et mettent en pratique clairement des formes de luttes plus radicales. Durant quelques années, comme en France, le mouvement ouvrier, là-bas aussi très dur, subissant une terrible répression avec les milices privées patronales qui assassinent impunément, subit une propagande intense, faisant passer les syndicalistes combatifs pour des violents.

Dominique Pinsolle nous fait vivre précisément ces périodes, illustrées d’articles et dessins de presse, d’écrits de militantEs, de déclarations et de lois répressives du pouvoir. Il y a l’histoire passée, il y a une expérience et il y a la réflexion pour aujourd’hui. Il n’est pas question de dire que le sabotage c’est bien, d’autant que son efficacité n’est pas démontrée, par contre, et c’est tout le problème qui se discute aujourd’hui dans les mobilisations, pas seulement dans les grèves ouvrières, mais aussi dans le mouvement écologiste ou féministe, à savoir comment combattre la domination et l’exploitation, comment faire face à la violence du système et de la répression, comment défendre nos droits. Comment être efficace dans nos luttes. Ce livre très utile nous permet d’avoir cette réflexion, avec ce regard détaillé sur des épisodes importants de la lutte des classes.

Philippe Poutou