Éditions Amsterdam, 2024, 272 pages, 19 euros.
L’auteur est sociologue et politisé. C’est en scientifique qu’il aborde le sujet, en s’appuyant sur des études et sur de nombreux écrits d’autres analystes. Pour se trouver sur de bonnes bases, pour bien se comprendre ou le mieux possible, il commence par définir les termes de « classes populaires », de « quartiers populaires » ou encore « ghetto ». Et puis, il s’aventure dans la « cité » ou, comme c’est nommé par les politiques institutionnelles, dans les « quartiers prioritaires de la villes », anciennement « zones urbaines sensibles ».
Pauvreté, précarité et manque de services publics
Qu’en est-il des a priori, des préjugés ou de nos certitudes sur ce que sont ces quartiers, sur les populations qui y vivent, sur leur histoire aussi depuis le milieu du 20e siècle, sur leur évolution au fil des années de crises économique et sociale ? Ainsi, on en apprend sur la mobilité ou pas des habitantEs, comparée aux quartiers en général, sur ce qui caractérise ces quartiers, sur leur niveau de violence (délinquance, criminelle, violence de genre…), finalement pas si différent du reste de la ville, avec des chiffres à l’appui.
Ce qui ressort, c’est la réalité de la pauvreté, des souffrances sociales liées à la précarité et à l’absence de services publics. C’est aussi la réalité de l’oppression raciste, des violences d’une société profondément injuste, de cette République qui méprise et rejette ces populations fragilisées.
Coopération et solidarité
Mais tout ne se résume pas aux difficultés. Car nous sommes très loin du monde décrit par le pouvoir ou par les conservateurs, vision souvent amplifiée par les médias dominants. Une propagande qui tente et réussit aussi à invisibiliser la réalité des inégalités, des rapports d’oppressions et les violences qui leur sont liées. En effet, la société est bien structurée profondément par une ségrégation de classe, une ségrégation scolaire de résidence, une ségrégation raciale, si la jeunesse notamment immigrée ou d’origine immigrée subit bien les violences répressives de la police et de la justice (cet ordre si cher aux Retailleau-Darmanin), il n’y a pas de coupure entre les quartiers populaires et le reste de la société, comme il n’y a pas il n’y a pas de territoire. Alors même si ces quartiers (en agglomération comme dans des villes moyennes ou petites) connaissent un niveau de vie plus difficile, cela n’empêche qu’ils restent évidemment des lieux de vie, avec leurs interactions de voisinages, leurs coopérations, avec leurs solidarités.
Critique des politiques mises en place
Dans la perspective d’améliorer la situation et surtout de permettre aux classes populaires de s’en sortir, l’auteur en vient à critiquer les politiques mises en place (programmes de rénovations urbaines, de développement de la « mixité sociale », de repeuplement) qui, en s’attaquant à la concentration de pauvreté (concept de la classe dangereuse) et non pas à la pauvreté elle-même et à ses causes, ne changent rien au final. Les solutions envisagées sont les luttes contre les injustices et inégalités sociales, les luttes antiracistes, pour un renforcement des services publics, une redistribution des richesses, l’élaboration d’une démocratie pour les habitantEs en leur donnant la possibilité de gérer leurs vies de quartiers, de renforcer les structures solidaires en autogestion.
Au bout du livre, en dévoilant les études et les chiffres, Pierre Gilbert nous permet d’avoir une réflexion plus poussée et une appréhension des difficultés ou des perspectives plus fines. Car même quand nous ne partageons pas les préjugés réactionnaires (mépris de classe ou raciste…) – surtout pas – nous nous apercevons que nous avons toujours un peu quelque part, parfois une vision simpliste ou caricaturale de la réalité, parfois des ignorances dont on prend conscience. Il est vrai que la propagande des classes dominantes, la pression énorme des idéologies xénophobes pèse dans la société, au fil des décennies de politiques ultralibérales. Donc un livre-outil très utile, pour comprendre et pour agir plus efficacement par les temps qui courent.
Philippe Poutou