De Matthias Bouchenot, Libertalia, 2014, 15 euros.
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La violence des affrontements qui opposèrent pendant la période de l’entre-deux-guerres les organisations fascistes et les partis ouvriers a souvent été occultée...
La mémoire collective n’a généralement retenu que les émeutes fascistes de 1934 et la victoire du Front Populaire en 1936. Matthias Bouchenot s’est penché sur les organisations mises sur pied par la SFIO et le PC pour riposter aux agressions d’une extrême droite alors puissante et encouragée par la prise de pouvoir par les chemises noires de Mussolini en Italie en 1922 puis par les nazis en Allemagne en 1933. La question se posait donc de savoir si l’hexagone ne risquait pas de subir le même sort et comment faire face à cette menace.
Les socialistes comme les communistes constituèrent donc des groupes d’autodéfense qui firent l’objet d’âpres discussions et polémiques au sein de ces partis. Alors que les dirigeants réformistes de la SFIO ne voulaient leur donner qu’un rôle purement défensif, pour protéger les manifestations, meetings, diffusions, les tendances les plus radicales, dont celles qui allaient former le PSOP de Marceau Pivert ou rejoindre le mouvement trotskiste, entendaient former des embryons de milices ouvrières, susceptibles non seulement de rendre coup pour coup aux fascistes, mais de préparer la prise de pouvoir révolutionnaire.
Avant de parvenir au gouvernement en juin 1936, Léon Blum faisait partie des dirigeants socialistes qui préconisaient un rôle offensif et même révolutionnaire pour ces milices ! Ce qui n’empêcha pas la police du gouvernement du Front Populaire de tirer sur les manifestants qui voulaient interdire un meeting du Parti social français (fasciste) à Clichy le 16 mars 1937, faisant 5 morts, dont une jeune militante des « Toujours prêt pour servir » (TPPS), et 300 blessés…
Pas de fascistes dans les quartiers populaires
Les Jeunes gardes socialistes, les TPPS liés à l’aile gauche de la SFIO et les Groupes de défense antifasciste du PC ne formeront jamais de véritables milices ouvrières, mais elles parviendront à interdire les quartiers populaires aux fascistes et même à les mettre en échec au Quartier latin où ils faisaient la loi dans plusieurs facultés à coups de cannes plombées.
Au moment où l’extrême droite relève la tête en Europe, ces expériences méritent réflexion. Le livre de Matthias Bouchenot nous apporte une information particulièrement riche, non seulement sur la politique et l’idéologie mais sur la composition sociale de ces organisations, ce qui permet, entre autres, de constater que le Parti socialiste d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec la SFIO des années trente.
Reste une question que Bouchenot ne soulève pas : suffit-il de créer des organisations de type paramilitaire pour vaincre le fascisme ? L’expérience a montré qu’il fallait aussi avoir une alternative politique à proposer à la classe ouvrière et à la petite bourgeoisie, notamment en Allemagne et en Autriche où les milices social-démocrates qui faisaient défiler des dizaines de milliers de militants en uniforme n’ont pu empêcher la victoire du nazisme…
Gérard Delteil