Publié le Mardi 23 juin 2015 à 07h24.

Une contribution majeure au combat écosocialiste

Le dernier livre de Naomi Klein, Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, est déjà un événement éditorial. La journaliste et militante altermondialiste canadienne y mène une enquête approfondie et détaillée, produit une analyse concrète du capitalisme réellement existant dans son action destructrice de la nature et des sociétés humaines. Reportage au long cours (son travail s’est étalé sur cinq années), d’une lecture facile et vivante, il s’agit d’une intervention politique d’une grande force. Des centaines d’étudiants sont venus débattre avec elle fin mars à la Sorbonne. Sur cette même ligne d’urgence sociale et climatique, anti-austérité, elle était intervenue deux semaines plus tôt à Francfort lors de la manifestation organisée devant la BCE.

Archi-documenté, avec des dizaines de pages de références, le livre ne mentionne pourtant aucun des grands théoriciens du capitalisme (de l’anticapitalisme plutôt), ni Marx ni aucun autre. C’est qu’elle s’en tient, modestement pourrait-on dire – mais avec quelle énergie ! –, à montrer in situ une classe sociale – la grande bourgeoisie, les grandes firmes – réellement mobilisée pour faire valoir ses intérêts à tout moment. Même, évidemment, quand la planète chauffe. Un des grands mérites du livre est de partir d’emblée de là.

Le capitalisme  est un système qui a besoin d’énergie, de beaucoup, de toujours plus d’énergie. Cette énergie, dans sa quasi totalité, ce sont les fossiles, charbon, gaz, pétrole dont la combustion génère les gaz à effet de serre (GES) responsables du dérèglement climatique en cours. L’énergie fossile, c’est l’extraction qui, sous le fouet du productivisme capitaliste, devient l’extractivisme forcené, thème qui revient dans plusieurs chapitres.

Naomi Klein raconte de manière saisissante les discussions quasi simultanées, durant les 20 dernières années, autour des rapports du GIEC pour enrayer le réchauffement climatique lors des sommets mondiaux, ainsi que dans le cadre de l’OMC pour favoriser le commerce mondial. Alors que les accords internationaux sur la libéralisation du commerce se mettent en place sans coup férir, les discussions sur le climat patinent, se bloquent et débouchent sur le constat accablant : depuis le sommet de Kyoto, en 1997, les GES ont augmenté de 60 % ! Les grands groupes capitalistes se sont mobilisés à fond dans les deux processus, pour la réussite de l’un, contre la moindre décision contraignante dans l’autre. Le livre montre cette mobilisation permanente, tout comme la corruption, le conflit d’intérêt généralisé, l’intégration/institutionnalisation des ONG et de l’essentiel des organisations écologistes durant les années 1980-90.

 

Le capitalisme de catastrophe

C’est là que se noue une situation nouvelle, véritablement explosive. Le réchauffement a déjà lieu. Pour le contenir à 2 degrés Celsius, il faudrait sortir totalement des énergies carbonées d’ici à 2030, faire la transition/rupture vers les énergies renouvelables. Mais 2030, c’est demain. Il faut prendre des décisions immédiates – et radicales. Faute de quoi, ce sera la fuite en avant avec un réchauffement de 4 à 6 degrés.

Naomi Klein nous dit : « cette situation nouvelle est potentiellement révolutionnaire car ces décisions radicales nécessaires, ni les capitalistes ni les forces politiques soumises à leurs projets ne les prendront. » Comment ne pas la rejoindre là, précisément ? C’est la thèse centrale du livre. C’est toute la société qu’il faudra revoir, de fond en comble. Le moment politique où nous sommes doit être vu comme une opportunité à saisir. A saisir obligatoirement sous peine d’avoir à subir un capitalisme de catastrophe. Socialisme ou barbarie, diraient certains...

On peut relever ici deux chapitres particulièrement intéressants, aux titres qui sont déjà des programmes : « Pour une gestion publique de l’énergie » et « Planifier et interdire ». L’autre idée fondamentale qui court tout au long de l’ouvrage, c’est la nécessité d’un grand mouvement populaire qui porte à la fois la question sociale avec celles de l’égalité, de la justice, et l’ensemble des questions écologiques. Là encore, nous sommes en accord profond. Les questions de la démocratie et surtout de la violence ne sont pas esquivées. Dans la troisième partie, « Parce qu’il faut bien commencer quelque part », le chapitre « Blocadie » nous rappelle bien sûr Notre-Dame-des-Landes et Sivens, mais nous évoque aussi les bloqueurs de raffineries et de ronds-points de 2010.

Le livre fourmille de réflexions sur les aspects idéologiques, culturels et institutionnels d’un changement global. Naomi Klein se sent en sympathie profonde avec le vieux mouvement ouvrier (Wikipédia nous apprend que son grand-père, militant marxiste, avait organisé la première grève chez Disney…). De sa part, nulle posture péremptoire. Le débat est possible et souhaité.

Fernand Beckrich

 

Naomi Klein, « Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique », Actes Sud, 2015, 625 pages, 24,80 euros. Acheter sur le site de la librairie La Brèche.