Scénario Jean-Luc Fromental, dessins de Miles Hyman, éditions Dupuis, collection Aire Libre, 104 pages, 25 euros.
En 1963, un scandale politique éclate au Royaume-Uni. Le ministre conservateur de la Guerre, John Profumo est accusé d’avoir une liaison avec une demi-mondaine, Christine Keeler. Celle-ci a déjà une liaison avec Evgueni Ivanov, attaché soviétique. Le célèbre ostéopathe Stephen Ward est accusé de les avoir mis en rapport. C’est la guerre froide, et il est question de divulgation de secrets d’État. Miles Hyman et Jean-Luc Fromental, après le Coup de Prague 1, se retrouvent pour redonner vie à cette énorme affaire Profumo/Ward, le plus grand scandale de la société anglaise des sixties. Bien oublié aujourd’hui. Ensemble, ils décrivent mieux que quiconque l’esthétisme guindé d’une Londres bourgeoise dans la tradition d’un John Le Carré.
Un scénario de film d’espionnage
Londres, dans les années 1960. Le docteur Stephen Ward, ostéopathe dont les talents lui valent l’affection de nombreux notables, partage ses loisirs entre réceptions mondaines et parties fines. Lorsqu’il croise Christine Keeler, une jeune et belle danseuse ambitieuse, il décide d’en devenir le Pygmalion. Il l’installe à la maison, lui donne une certaine culture et lui fait rencontrer des hommes importants, dont un attaché d’ambassade russe (un espion) ou le ministre de la Guerre anglais qui succombent aux charmes de la belle Christine. Le tout sous l’œil attentif du MI5 (Military Intelligence, section 5).
Par les yeux de Ward et d’une confession enregistrée, nous suivons cette histoire de l’intérieur à la veille d’un verdict aux allures de lynchage. Coupable idéal, Stephen Ward porte le chapeau pour tous les autres devant la justice. La belle Christine, ne se contentant pas de relations avec les membres de la haute société anglaise, entretenait aussi des relations avec des malfrats en provenance de son milieu d’origine. Un engrenage subtil s’était donc mis en place autour du Pygmalion sur fond d’histoires d’espionnage entre URSS et Angleterre, de « crise des missiles » à Cuba. Peu à peu les histoires de sexe, de courtisanes et d’adultère se mêlent au scandale politique. La presse à scandale comme la presse dite « sérieuse » et l’opposition travailliste s’en emparent. Haro sur Ward !
Un scénario au cordeau
Dans la lignée des polars noirs et d’espionnage de la meilleure époque, le scénariste du Coup de Prague a su construire une histoire complexe à partir de la nombreuse littérature parue à l’époque 2, une intrigue où la réalité dépasse souvent la fiction. Au détour d’une case, le lecteur surprend même Christine en train de lire un James Bond de Ian Fleming en écoutant les Beatles.
Un dessin au charme vintage et vénéneux
La couverture très cinématographique évoque l’époque où l’Angleterre victorienne pensait se libérer en montrant un peu du corps des femmes. L’ocre à la palette chaude des cases, le plus souvent ordonnées pour ne pas perdre le fil de l’histoire, domine en contradiction avec le cynisme des personnages qui vont mener le narrateur à sa perte. La rigidité relative des personnages masculins contraste avec la sensualité de Christine et de quelques autres jeunes femmes, comme il se devait à l’époque.
Album intense aux relents d’espionnage international, cette « Romance anglaise » se révèle une sacrée « affaire » 3 et un véritable régal !
1 – Voir l’Anticapitaliste n° 383 du 11 mai 2017.
2 – Voir la bibliographie en dernière page.
3 – Pour les Anglais, une « affaire » (affair) n’est pas du business mais un autre genre d’histoire comme ici.