Ironie de l’histoire, c’est en plein coeur du ramdam de la COP21, en décembre dernier, qu’Ago-Vinci a exigé l’expulsion sans délai des paysans historiques de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. S’est alors ouvert un nouveau cycle dans l’histoire du mouvement : nouvel élan de mobilisations au plan régional et national, nouveaux projet alternatifs.
Le mouvement a fait encore une fois la démonstration de toute sa capacité à s’unir, à résister face à un gouvernement empêtré dans ses contradictions, de plus en plus soumis à la pression des futures échéances électorales. Un gouvernement à bout de souffle politiquement et dont le projet impromptu de referendum, loin de constituer pour lui un sauf-conduit, pourrait bien devenir le terreau de futures batailles dans le bocage.
Jusqu’à l’autonome dernier, le mouvement de contestation contre le projet d’aéroport semblait presque en sommeil. Le grand rassemblement militant de l’été 2015 avait pris un tour habituel. Mais les plus fidèles avait déjà pu noter, à ce moment, le succès du débat sur la stratégie du mouvement : paysans, zadistes et soutiens divers avaient débattu sous un chapiteau plein à craquer, quelques semaines avant que la justice ne rejette les recours environnementaux. Cette unité retrouvée – après les tensions nées de la répression féroce de la manifestation du 22 février 2014 – allait se concrétiser quelques mois plus tard lors des manifestations de la COP21.
Le réveil de la force
Alors que le choc des attentats de Paris étouffait toute autre actualité, le gouvernement saisit le prétexte de sécurité publique pour interdire tout rassemblement public. Qu’à cela ne tienne : la manifestation prévue en vélos et tracteurs s’est élancée de Notre-Dame-des-Landes vers Paris. A chaque étape, policiers, gendarmes et préfets des divers départements lançaient menaces et interdictions, sans pour autant parvenir à stopper les quelque 200 véhicules. Alors que partout ailleurs on s’en tenait à des rassemblements, le convoi rassembla sur son parcours d’innombrables soutiens. C’était un nouveau succès face à la répression, renforçant l’unité du mouvement malgré les divergences qui le traversent –des syndicalistes paysans aux autonomes et des militants d’EELV à ceux du NPA.1
Succès qui préfigurait la mobilisation du 9 janvier : en quelques semaines, en réponse aux annonces d’expulsion des paysans historiques, le réseau des mouvements et comités de soutien de tout l’Ouest de la France s’est réactivé. 20 000 personnes ont bloqué le périphérique d’une de plus grandes villes de France, malgré les interdictions formelles de l’état d’urgence. Le mouvement qu’on croyait endormi est bien vivace, et prêt à agir.
Ce mouvement va également en s’élargissant. Au mouvement ouvrier d’abord. Nous l’avions noté en avril 2014, alors que les militant-e-s CGT commençaient à s’exprimer publiquement contre la répression. Un an plus tard, la CGT de l’aéroport Nantes-Atlantique s’opposait publiquement au projet, suivie de la fédération de Loire-Atlantique. En janvier dernier, un communiqué commun CGT-FSU-Solidaires s’opposait aux expulsions. Enfin, c’est la CGT du groupe Vinci qui s’est récemment exprimée pour refuser le projet.
Ces positions syndicales ont une importance majeure : elles s’attaquent à l’ultime argument des collectivités, les promesses de développement économique et de création d’emplois. Or c’est sans doute celui qui porte le plus dans les populations locales : l’urgence de la création d’emplois l’emporte largement sur le type de développement économique ou les choix environnementaux. Mais justement, l’étude de la CGT met à mal les promesses politiciennes. Sa conclusion nuancée – préférant le développement de l’aéroport actuel – appelle surtout à une nouvelle étude sur les avantages et inconvénients du transfert d’aéroport – étude par ailleurs entamée par les opposants au projet, qui ont réuni 150 personnes, professionnels ou militants, pour élaborer un renouvellement de l’aéroport actuel.
Cette évolution des instances CGT signe un véritable retournement : la neutralité apparente de la CGT révélait son souci de création d’emplois (le plus grand mensonge des politiciens sur NDDL) mais aussi l’influence en son sein d’une partie de la direction du PCF local, arc-boutée sur son alliance historique avec le PS. Depuis, les lignes ont bougé même au PCF : des sections entières se prononcent contre NDDL, en Loire-Atlantique, en Vendée et dans le Morbihan.
On multiplierait à l’envi les signes de la généralisation de l’opposition au projet d’aéroport dans la population. Aux vagues déclarations du Pape durant la COP21 a répondu une pétition de 800 catholiques déclarés et des articles dans leur presse (La Vie catholique, dernièrement). Sur l’aéroport (comme sur les migrants d’ailleurs) les gouvernements se sont aliénés une part de la majorité silencieuse, qui ne croit plus les institutions.
Projet contre projet… Zone à défendre !
La lutte de Notre-Dame-des-Landes est sans conteste emblématique, mais plus que jamais elle met en exergue deux finalités : d’un côté un projet patronal et gouvernemental qui s’inscrit dans le plus pur esprit productiviste, avec à la clé destruction de terres agricoles, hyper-métropolisation des échanges, détournement d’argent public ; de l’autre, le projet alternatif d’une autre utilisation de la terre, d’une autre agriculture, d’un autre système d’échange. Au-delà, deux idéologies sont en présence : l’appropriation capitaliste et sa voracité insatiable de spéculation, contre l’appropriation sociale qui défend que la terre appartient à celles et ceux qui la cultivent.
Cet aspect de la lutte a nettement progressé ces dernières années et finalement le mouvement, bien qu’ayant le nez dans l’urgence des expulsions et la gestion de l’immédiat, s’y inscrit plus que jamais.
De ce point de vue cette Zad que Vinci voulait détruire a ressurgi sous une forme beaucoup plus aboutie : un formidable espace de résistance et de projet alternatif, sous forme d’une commune libre ; un espace où de nombreuses initiatives voient le jour – conserverie, boulangerie, laiterie biologique et autogérée – et où se construisent des convergences, des solidarités, à l’instar des productions destinées au soutien des migrants de Calais ou de Nantes. Lorsque nous parlons de zone à défendre nous parlons d’un mode de vie, d’une philosophie voire d’un autre modèle de société. C’est cela aussi que nous devons porter face a la désinformation, à la propagande gouvernementale.
Bien sûr nous n’entendons pas par là que le socialisme va éclore comme par magie dans le bocage nantais, entre autres parce qu’on ne peut faire l’économie d’une bataille centrale avec l’appareil d’Etat. Il reste que bien des aspects de la lutte de NDDL constituent autant de ferments de radicalisation et de politisation de la jeunesse, d’expériences à la fois de résistance et du fait qu’un autre monde est possible.
Contre la République du mensonge : bataille démocratique dans l’espace médiatique
Né dans la Zad, le mouvement est désormais trop vaste pour se passer des médias de masse, et c’est dans l’espace médiatique que se déroule une grande partie de la bataille. Et parce qu’il dure depuis maintenant quarante ans, il sait aussi bien que les gouvernants utiliser le terrain médiatique. Face au monde opaque des décisions économiques et politiques, le mouvement s’emploie à révéler la réalité – chaque révélation portant alors atteinte à la crédibilité des gouvernants. Mais l’essentiel n’est pas tant de trouver l’information que d’en faire la démonstration aux yeux de la population dans son ensemble.
Le mouvement s’est employé à étudier et contester sans relâche le « dossier » qui a permis la Déclaration d’utilité publique (DUP) de 2006. Mais ce que les militants savent depuis des lustres, il leur faut avant tout le montrer. Passons en revue l’utilité du projet d’aéroport, son impact environnemental et son intérêt économique.
Les limites de l’aéroport actuel, d’abord : le mouvement a amplement diffusé les comparaisons avec d’autres aéroports dans le monde, sans convaincre largement. Puis la réalité du projet NDDL : le nouvel aéroport serait plus petit que l’ancien, supposé saturé. Les dirigeants des compagnies aériennes locales ou internationales finissent par l’affirmer, le nouvel aéroport n’apporterait rien du point de vue commercial ou aérien. C’est même le patron de Vinci qui l’affirme : le transfert n’est « pas une réponse à des problèmes aéronautiques, mais un choix politique de développement du territoire ».
La biodiversité ? On connaît depuis longtemps 109 espèces protégées menacées par le projet. Mais lorsque les naturalistes en lutte en profitent pour inventorier la biodiversité de la Zad, ils y découvrent cinq nouvelles espèces protégées, semant le doute sur le sérieux des études officielles. Ces cinq-là comptent plus médiatiquement que les 109 autres, d’autant que le magazine Science&Avenir, très peu politique, affirme que la biodiversité de la Zad est désormais « une des mieux étudiées de France ».
Manuel Valls affirmait il y a peu que la nécessaire protection de la zone Natura 2000 en bout de piste de l’aéroport actuel allait à l’encontre de son extension, mais l’argument avait déjà été réfuté par les conservateurs de cette zone, et une note récente de la DREAL (direction régionale de l’environnement), qui prend position pour le maintien de l’aéroport actuel, met en évidence ce mensonge d’Etat.
Comme ce sont les études économiques qui ont encore le plus de poids, la bataille d’image va se poursuivre principalement sur ce point. Un premier rapport mettait en doute l’étude économique de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), qui justifie encore la DUP ; les opposants ont peu à peu obtenu la révélation des documents tenus secrets et tentent de montrer le bricolage des calculs. Les syndicats ont déjà fait part de leur incrédulité face aux promesses d’emploi : qu’une quelconque note interne surgisse, et la crédibilité de ces promesses pourrait être ruinée.
Mais l’essentiel de la bataille médiatique tourne autour de la répression policière. Face à face, un mouvement capable de résister à une intervention de 1000 policiers et gendarmes en 2012 et un Etat prêt à tout pour laver cet affront. L’Etat ne peut tolérer ce qu’il appelle une « zone de non-droit », où des « hordes de guérilleros zadistes » terroriseraient les populations. D’où la fabrique médiatique de la violence. Qu’un véhicule disparaisse, les zadistes l’auront dépouillé, qu’une manifestation survienne, et trois tags sur une vitrine se transforment en « saccage du centre-ville » de Rennes. D’où les appels du mouvement à manifester loin de ces pièges médiatiques. Sur le périphérique nantais bloqué par les manifestants le 9 janvier, c’est bien après la levée du blocage que les CRS sont intervenus contre les tracteurs, pour tenter de faire croire à la nécessité d’une intervention musclée et accréditer l’image de la violence du mouvement. Peine perdue, puisque les paysans ont pu déjouer le piège devant les caméras.
Des paysans justement, bien plus difficiles à incriminer médiatiquement que les autres occupants anonymes de la Zad : impossible de leur attribuer une image de « casseurs », de « chômeurs fainéants vivant aux crochet de la société ». L’incrimination des écologistes radicaux est également à bout de souffle médiatique : après la mort de Rémi Fraysse sur la Zad de Sivens, les arrestations arbitraires de nombreux militants écologistes durant la COP21 ont immédiatement été perçues comme un excès de l’état d’urgence.
Puisque les arguments de fond en faveur de l’Etat sont en passe de s’écrouler, la bataille médiatique se déplace sur un autre terrain, celui de la démocratie. La gauche aux manettes de la Région n’était pas d’une grande finesse lorsqu’elle appelait à « karchériser les opposants », la droite n’est pas plus maligne : le conseil régional a payé des publicités pour une pétition demandant l’expulsion de la Zad, démontrant du même coup son mépris des citoyens qu’elle est censée représenter et son véritable objectif, non l’aéroport mais la Zad.
De la cacophonie gouvernementale à la parodie démocratique… seule la lutte les fera plier !
Reculs et ressacs en cascade, on assiste depuis quelques mois à un florilège de déclarations contradictoires, qui rendent la lisibilité de la politique gouvernementale pour le moins complexe.
Même si on peut en déduire qu’en réalité, cette navigation à vue traduit le fait que le gouvernement lui-même n’a pas réellement de stratégie politique.
Notre-Dame-Des-Landes semble pourtant plus que jamais au cœur des enjeux de pouvoir, des marchandages et tractations en tout genre. Et le PS est sans doute encore en train de calculer le prix politique au sein de son électorat et de ses éventuels partenaires de la réalisation ou non de ce projet, notamment en vue des échéances électorales de 2017.
Depuis l’été dernier, via les déclarations répétées de la préfecture de Loire-Atlantique, l’Etat n’a cessé de brandir la menace d’une intervention policière sur la Zad, d’une expulsion imminente des habitant-e-s et occupant-e-s qui laissait à penser qu’une fenêtre de tir était ouverte entre janvier et mars. En décembre, les pressions d’AGO-Vinci pour exiger l’expulsion sans délai des paysans de la Zad aboutissaient à des référés à l’encontre des paysans historiques. C’était bien une rupture de l’accord scellé en 2012 avec le candidat Hollande, un accord arraché au prix d’une grève de la faim et qui stipulait qu’aucune expulsion ne devait intervenir avant la fin de toutes les procédures juridiques en cours. Prédominait un discours d’Etat qui évinçait la question du projet au nom de la restauration de l’état de droit et de l’évacuation de la Zad, alors même que les assignations à résidence frappaient particulièrement des militants écologistes radicaux.
Au même moment, le succès de la tracto- vélo marquait cependant le début d’une remobilisation de masse à l’échelle régionale et nationale. Cette remobilisation allait brouiller et infléchir le discours d’un gouvernement à court de solution et de plus en plus dépendant du calendrier électoral. On entrait alors, début 2016, dans une nouvelle phase puisque l’exécutif semblait, par la voix de Ségolène Royal, indiquer qu’il n’y aurait pas d’évacuation par la force – ce qui implicitement peut signifier qu’il y aurait des négociations. Si l’on conjugue une telle annonce avec le jugement du 25 janvier qui confirme l’expropriation mais ne l’assortit d’aucune astreinte financière, nous voici dans une situation où l’occupation peut se poursuivre et le mouvement continuer à se structurer.
Le gouvernement vient finalement de livrer sa dernière trouvaille : un « référendum » comme ultime porte de salut, son unique possibilité de se débarrasser d’une manière ou d’une autre de ce caillou dans sa chaussure avant les échéances électorales de l’an prochain... alors même qu’une remise à plat du dossier est en cours au ministère de l’écologie.
En mettant en avant ce paravent « démocratique », l’Etat entend s’en « sortir par le haut » comme il se plait à le dire. Pourtant, hors certains élus écologistes prêts à se vendre pour un plat de lentilles, cette proposition fumeuse ne correspond en rien, tant sur la forme que sur le fond, aux attentes du mouvement qui exige la fin du projet sans condition.
Hormis les questions de faisabilité et de périmètre, largement évoquées dans la presse, le mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a depuis longtemps rejeté la voie référendaire, en considérant que ceux qui ont falsifié des études, qui méprisent l’environnent et les populations, qui disposent de tous les pouvoirs de financement et de communication, n’ont aucun droit de poser les bases d’une telle consultation ; et que c’est avant tout à celles et ceux qui travaillent, vivent dans ce lieu et le défendent de décider de son avenir.
Sans oublier qu’un tel référendum ne mettrait en aucun cas fin aux expulsions, comme il n’inclurait pas non plus la dimension alternative que le mouvement porte en réponse au projet d’aéroport.
A l’heure où ces lignes sont écrites, nous sommes à la veille d’une mobilisation nationale dont nous ne doutons pas du succès. C’est en comptant sur notre seule force, notre seule conviction, que nous pourrons gagner en dépit des cacophonies gouvernementales et des fausses bonnes solutions démocratiques.
Sandra Cormier et Bertrand Achel
- 1. Voir dans notre revue, n° 40 de février 2013, le dossier pages 4 à 11.