L’écologie ne nous parle pas d’une crise supplémentaire qui vient s’ajouter aux autres, sociale, politique, démocratique... Elle nous parle des conditions matérielles de toutes nos luttes.
Les phénomènes extrêmes, dus au bouleversement climatique, révèlent dramatiquement notre dépendance à l’égard de l’état de la planète. De même, la pandémie met en évidence notre extrême dépendance à l’égard de l’état de nos corps : qu’ils soient malades ou menacent de l’être, et une grande partie de l’économie s’arrête. Dans les deux cas, le productivisme inhérent au capitalisme est en cause, par les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à son intoxication aux énergies fossiles, par la déforestation, l’élevage industriel, la mondialisation capitaliste…
Parce que la possibilité même de construire une société émancipée dépend des moyens mis en œuvre pour conjurer les catastrophes en cours – pandémies, effondrement de la biodiversité, changement climatique, artificialisation des terres, pollution de l’air et de l’eau… –, l’écosocialisme est notre boussole politique, notre projet pour un monde nouveau.
Il s’agit d’en finir avec le capitalisme, de sortir de la logique productiviste dans tous les domaines afin de bâtir d’autres mondes où la production ne sera plus dictée par le profit d’une minorité, mais au service des besoins sociaux.
Le changement ne peut être que radical et anticapitaliste
Pour limiter autant que possible les fléaux provoqués par le basculement climatique, les experts du GIEC préconisent de contenir l’augmentation de la température à 1,5°C (par rapport à l’époque préindustrielle) et de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour cela, pas d’autres choix que de laisser 80 % des ressources fossiles sous terre, de supprimer certaines productions, de produire et de transporter moins de marchandises, de viser une sobriété heureuse.
Cette transformation radicale exige de retirer le pouvoir aux grands groupes capitalistes de la finance, de l’énergie, de l’agro-industrie, etc., de les exproprier, afin de permettre une gestion commune et démocratique. Contrairement aux restructurations capitalistes, cette transformation ne peut se faire qu’en protégeant les salariéEs, en interdisant les licenciements et en garantissant salaires, droits et statuts et avec leur participation active. Leurs connaissances et expériences ont un rôle déterminant à jouer, en dialogue avec les usagerEs, dans des outils démocratiques chargés de restructurer ou de reconstruire les différents secteurs de l’agriculture, de l’industrie et des transports selon des critères sociaux et environnementaux.
La réduction et le partage du temps de travail sont l’antidote au chômage et à la précarité. Mais aussi la condition pour avoir du temps pour s’occuper de soi, des autres, pour participer aux activités du quotidien, aux délibérations et décisions démocratiques, pour ne rien faire, pour simplement goûter les plaisirs de l’existence.
Prendre soin, construire le commun
Un projet écosocialiste sera centré sur le soin, soin aux personnes, soin au vivant, soin à ce que nous appelons la nature. Aujourd’hui les tâches essentielles de santé, d’accueil des enfants, des personnes âgées et/ou dépendantes... sont dévalorisées, réalisées très majoritairement par les femmes, soit gratuitement au sein des familles, soit dans des emplois sous-payés et des conditions de travail épuisantes. Mettre le soin au centre exige la socialisation de ce travail avec des services publics organisés et contrôlés par les salariéEs et les usagerEs. Cette socialisation est indissociable du combat féministe contre la division genrée du travail et pour le partage des tâches.
Prendre soin, ce n’est pas (seulement) soigner, réparer, c’est d’abord éviter de rendre nos organismes malades, de détruire le vivant, en préservant au maximum l’environnement.
Les besoins essentiels – se loger, se déplacer, se nourrir, se chauffer, se soigner, travailler, étudier, se cultiver... – doivent être pensés à l’aune de critères à la fois sociaux et environnementaux définis collectivement et démocratiquement, leur accès pour touTEs doit être garanti en étendant le domaine de la gratuité et de la protection sociale. Une société écosocialiste est une société où seront généralisés le partage, l’échange, les usages communs, si indispensables à la vie en société.
Produire moins, produire mieux
Des productions inutiles, polluantes, dangereuses doivent disparaître. D’autres doivent diminuer ou être réorientées. En premier lieu, nous défendons la suppression du secteur de l’armement, outil de mort des colonisateurs dominateurs des peuples du Sud et gouffre sans fond de l’argent public. Une grande partie de l’industrie chimique qui empoisonne l’air, l’eau, le sol, les organismes vivants, le nucléaire, perpétuelle menace d’accident majeur, dont les déchets toxiques débordent des installations, doivent être abandonnés.
Il est nécessaire à la fois de réduire le volume de la production et de satisfaire les besoins sociaux de la population. Mais comment faire la différence entre les besoins artificiels, superflus et les besoins réels ? La publicité est un système de manipulation mentale dont la fonction est de créer de nouveaux besoins qui n’existeraient pas sans elle. Aiguillon redoutable de la surconsommation, pourvoyeuse de frustrations, elle représente aussi un énorme gaspillage d’énergie, de compétences humaines et de travail. Ce secteur doit être supprimé.
Mais il faut aller plus loin, les objets produits ne sont pas neutres, ils sont conçus comme des marchandises qu’il faut vendre. Tout leur cycle de vie est concerné : matières premières et énergie nécessaires à leur production et utilisation, matériaux nocifs pour la santé de la population ou pour l’environnement, non-recyclables... À l’opposé de l’obsolescence programmée et du gaspillage, nous voulons des biens solides et durables, des objets qui peuvent être démontés et réparés, dont les pièces de rechange restent disponibles, conçus pour économiser l’énergie et les matières non renouvelables.
Une société écosocialiste mettrait « l’être » avant « l’avoir », l’accomplissement personnel dans des activités culturelles, ludiques, érotiques, artistiques, politiques plutôt que dans l’accumulation de biens. Mais ce n’est pas contradictoire avec un réenchantement artistique de la vie quotidienne, le comblement du fossé entre l’art et la vie, une démocratisation des beaux objets.
Moins de transports…une nécessité
Baisser les émissions de GES impose de diminuer massivement le secteur des transports qui émet près d’un tiers des GES. Villes et campagnes ont été remodelées par l’automobile. La cherté des loyers a repoussé les classes populaires à la périphérie des villes, dans des quartiers paupérisés par la crise. Les politiques menées par tous les gouvernants y ont supprimé, comme dans les zones rurales, les services publics, augmentant ainsi les distances à parcourir. Les suppressions d’emplois ont allongé les trajets domicile-travail. Le chômage a transformé ces quartiers en no man’s lands déshumanisés. Encouragés par une politique d’incitation à la propriété privée, les lotissements de maisons individuelles prolifèrent, modifiant profondément l’espace et faisant exploser les trajets quotidiens. Mais pour les habitantEs, souvent modestes, des campagnes pavillonnaires, c’est souvent l’obligation d’avoir une, voire deux voitures. Les horaires de travail décalés, fractionnés ont supprimé les transports collectifs assurés par les employeurs.
Pour répondre aux besoins de mobilité, combiné au vélo et à la marche, le développement massif des transports en commun sur tout le territoire (bus en ville, en zones périurbaines et rurales, trains intercités, trams, RER…) est indispensable ainsi que leur gratuité pour les déplacements du quotidien.
L’utilisation de la voiture doit dépérir. La voiture pour des trajets très courts est déraisonnable. Elle ne doit être utilisée que si le bus, le vélo, la marche ne sont pas possibles. Moins de voitures en circulation, c’est moins de pollution, donc un gain pour la santé. C’est aussi moins d’argent public englouti dans les routes, autoroutes, parkings... Le secteur automobile subit de profondes restructurations, aux dépens des travailleurs/ses, il peut jouer un rôle important dans la transition écologique de l’économie. L’appareil de production avec toute sa technicité peut servir à fabriquer des trams, des trains... dont on a besoin. L’usine Renault de Choisy-le-Roi peut reprendre la fabrication d’autorails pour la SNCF, comme elle l’a fait pendant des décennies. Même chose pour le transport aérien et maritime.
Les loisirs n’échappent pas à l’explosion de la mobilité. Bouchons au moment des départs en vacances, « sauts de puces » en avions avec des billets pas chers car hyper subventionnés par les collectivités et les conditions de travail lamentables du personnel, croisières polluantes, il est grand temps de réfléchir à des loisirs soutenables pour la planète, hors des sentiers battus du consumérisme et du tape-à-l’œil. Le mouvement des Gilets jaunes a dénoncé l’inégalité entre les personnes obligées d’utiliser la voiture et les privilégiéEs qui prennent l’avion utilisant un kérosène détaxé.
La relocalisation des productions au plus près des lieux de consommation fera diminuer les flux incessants de camions, d’avions, de cargos, transportant des marchandises dont on n’a pas forcément besoin, à travers le monde, selon la logique capitaliste du moindre coût. Pour ce qui restera à transporter : priorité au fret fluvial et ferroviaire.
Des économies d’énergie, une meilleure efficacité
Les solutions existent pour produire l’électricité nécessaire à la satisfaction des besoins réels en sortant des énergies fossiles et en arrêtant le nucléaire. Cette production doit combiner les différentes sources d’énergies renouvelables. Le secteur doit redevenir un monopole public en dehors de toute marchandisation et logique de profit. Mais il faut avant tout baisser fortement les consommations. Un plan d’isolation thermique doit être engagé dans le secteur du logement. L’isolation des bâtiments mais aussi la construction dans les « trous » en ville ou la réhabilitation des maisons anciennes plutôt que bâtir des lotissements neufs, la réorganisation des espaces et des activités pour éviter de bétonner des zones, de rallonger les distances donc d’augmenter les transports... doivent guider les politiques d’aménagement des territoires.
Une autre agriculture est possible
Il est urgent d’appliquer le principe de précaution sur l’utilisation des produits dits phytosanitaires, de cesser d’utiliser les intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides...) et préserver la biodiversité qui est un bien meilleur rempart contre les maladies et les ravageurs est indispensable. Indispensable aussi d’interdire les OGM et d’abroger la réglementation sur les semences.
Mais il ne suffit pas de parler d’agriculture bio car bio ne veut pas dire écologique. Des hectares de serres chauffées ne peuvent en aucun cas être une solution souhaitable, pas plus que des productions ou des élevages qui reposent sur le travail d’ouvrierEs agricoles dont le statut est proche de l’esclavage, ou encore des élevages hors-sol dont les aliments proviennent de l’autre bout du monde. Les salariéEs de l’agriculture, des industries de l’agroalimentaire et de la grande distribution subissent aujourd’hui le coût social et sanitaire de la course au profit. Une politique agricole et agroalimentaire anticapitaliste et écosocialiste offrirait des emplois nombreux, utiles, plus riches et correctement rémunérés.
Des circuits courts, de production, transformation et distribution, avec des ateliers de fabrication, reconstituerait un tissu économique de proximité détruit par les industries agroalimentaires et la grande distribution. La reconstitution de ceintures vivrières autour des villes combattrait le bétonnage et permettrait aux urbains de renouer avec les rythmes naturels des productions végétales. Une gestion foncière, coopérative, traiterait la terre comme un bien commun associant au droit d’usage le devoir de prendre soin. Alors qu’il est urgent de changer le rapport entre les villes et les campagnes, le retour à la terre ne serait pas synonyme d’un retour au passé mais d’élaboration de formes de productions autogérées, égalitaires et créatives, une réappropriation des savoir-faire par celles et ceux qui produisent. Les terres arables sont dégradées, au point de n’être plus qu’un substrat minéral exigeant un apport massif d’intrants chimiques. Pour créer des systèmes agricoles réellement durables, il est indispensable de rendre sa vie au sol (agroécologie, agroforesterie). Il n’y a pas une agroécologie qui viendrait d’en haut, mais des agroécologies qui varient en fonction des territoires, des cultures, des modes de vie.
Un changement de l’alimentation est aussi incontournable, en particulier une réduction de la consommation carnée pour en finir avec l’industrie de la viande, « élevage » industriel, maltraitant pour les animaux, principal responsable de la déforestation et de l’expulsion des populations indigènes de leurs territoire, destructeur de biodiversité et… favorisant les pandémies.
La transparence et la démocratie dans la gestion du foncier doivent s’imposer, à l’opposé des choix actuels qui privilégient systématiquement l’agrandissement des exploitations au détriment de l’installation et des pratiques alternatives. De même, il faut combattre les grands projets inutiles et destructeurs – autoroutes, aéroports, LGV, parcs de loisirs, centres commerciaux, barrages... – qui détruisent chaque année des terres agricoles. Grâce à l’unité très large et à la détermination des paysanNEs, des occupantEs, des riverainEs, des défenseurEs de l’environnement et de la biodiversité... il est possible de gagner comme le prouve la lutte exemplaire de Notre-Dame-des-Landes.
Planification démocratique et prise des décisions
L’abstention électorale de plus en plus massive a sonné le glas d’un système où les citoyenNEs ne se sentent pas représentéEs. La Convention citoyenne, bien qu’elle ne soit qu’une pâle contrefaçon à la sauce Macron, a laissé entrevoir que des citoyenNEs pouvaient s’emparer de questions importantes, réfléchir et proposer des réponses. À une autre échelle, avec d’autres garanties démocratiques, les grands choix devront faire l’objet de controverses éclairées par des expertises contradictoires et les décisions être prises selon un mode autogestionnaire, avec des représentantEs éluEs et révocables, devant rendre des comptes.
L’écosocialisme, c’est aussi faire le pari de l’intelligence humaine, miser sur les innombrables capacités d’homo sapiens à prévoir, organiser, imaginer, inventer son avenir. Il est grand temps que le NPA mette au cœur de ses pratiques militantes le formidable outil de référence que représente l’écosocialisme.