Interview de Cédric Forcadel, directeur général des services, et Patrick Robert, directeur des services techniques à la mairie d’Alizay (Eure), par Sophie Ozanne, membre de la Commission nationale écologie du NPA.
Comment est né votre projet de cantine bio ?
Cédric : Ce projet est né de la volonté politique de prendre la main sur un service communal central pour la vie des gens, la nourriture, donc la santé des enfants et des personnes âgées ; de viser le 100 % bio et de convertir des espaces communaux vers l’agriculture biologique, en associant la population aux méthodes et techniques de culture, au maraîchage... Un projet qui va bien au-delà de la simple fourniture de 200 repas chaque jour.
Quelles ont été les étapes ?
Cédric : En 2018, la restauration scolaire, précédemment gérée en délégation de service public, a été municipalisée. En 2022, Patrick et moi, le cuisinier et le maire, nous nous sommes formés auprès de Gilles Pérole, adjoint au maire de Mouans-Sartoux, commune de 10 000 habitantEs près de Cannes. Cette commune menait depuis plusieurs années une expérience de restauration municipale bio, autosuffisante et solidaire. La municipalité nous a accueillis à bras ouverts, heureuse de partager son expérience et de nous aider dans notre démarche.
Patrick : J’avais une formation Bac + 3 que j’ai poursuivie à Mouans-Sartoux pour acquérir un diplôme Bac + 4 permettant de piloter le projet de bout en bout. Formation dispensée en stages sur place et en cours à distance, pendant un an, le tout aménagé pour que je continue mon travail de directeur des services techniques.
Patrick : Notre commune, qui ne compte que 1 600 habitantEs, possédait déjà une cuisine, un local et l’équipement, donc de quoi transformer les aliments sur place.
Cédric : À travers ce projet, nous poursuivions d’autres objectifs : nous donner les moyens de végétaliser davantage les plats, de promouvoir l’agriculture biologique et de la rendre accessible à toutes les bourses, d’être autosuffisants, de faire se rencontrer les enfants de l’école et les personnes âgées. Notre ambition est de viser la souveraineté alimentaire avec, d’ici deux ans, la création d’une ferme municipale, mais aussi le lancement du projet Bio pour tous : la fourniture de 50 repas bio à prix coûtant (2,20 €), principalement pour des personnes du village en grande difficulté.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Cédric : Nous avons dû trouver les moyens d’approvisionner en denrées biologiques notre cantine, de contenir le prix des repas, de former des agents.
Patrick : grâce à une table de tri où tout est pesé chaque midi, grâce aux portions à la demande et à des pratiques adaptées, nous avons réussi à diminuer le gaspillage de 130 g par repas et par enfant à 25 g. En y ajoutant des « micropratiques » de préparation des repas, les coûts en volume sur l’année ont été maintenus. Le prix des denrées (dont 20 % en bio) est passé de 2 € en 2022 à 2,20 € en 2024 pour 100 % de bio.
Cédric : Pour l’approvisionnement, nous passons un marché avec une régie qui nous met en relation avec des grossistes bio et nous commençons à avoir des producteurs à proximité. Comme le boulanger de la commune que nous avons accompagné pour qu’il fournisse une fournée en bio pour la cantine, et qui, aujourd’hui, en propose davantage vu la demande des habitantEs.
Patrick : Avec nos équipements, nous pouvons stocker sur place des aliments et, avec le système « cuisson minute », les plats cuisinés non chauffés peuvent être conservés trois jours. La technique a été adaptée à notre projet politique.
Combien paient les familles ?
Cédric : Un repas revient à 9,38 € (prix des denrées, fonctionnement, amortissement, salaires). Nous avions une grille tarifaire selon le principe du quotient familial. Nous l’avons modifiée en créant des tranches supplémentaires pour les plus hauts revenus, afin que la gratuité s’applique pour les revenus les plus bas. Ainsi, les prix vont de 0 € à 4 € (revenus supérieurs à 6 000 €/mois). Ce système a permis de dégager un excédent, et une baisse de 10 centimes a été faite pour tous les foyers. Hormis un fonds européen pour les fruits, les légumes et les laitages, nous n’avons aucune subvention. L’agglo Seine-Eure a néanmoins financé l’intervention de Bio en Normandie1 pour l’analyse des menus et la proposition de recettes, environ 3 000 €. C’est le budget communal qui finance le projet à hauteur de 250 000 € par an.
Et le personnel ?
Cédric : 16 personnes encadrent les 180 enfants qui déjeunent à la cantine chaque jour. C’est indispensable pour expliquer, aider, conseiller. Nous avons le personnel propre à la cantine, auquel s’ajoutent les jeunes en service civique ayant bénéficié d’une formation BAFA. Notre commune, affiliée à la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), issue d’une association d’éducation populaire créée par le PCF en 1925, a l’agrément pour dispenser cette formation gratuitement pour les jeunes volontaires, qui, en retour, assurent 72 h gratuitement par an au service de la commune.
Patrick : Cinq agents communaux, dont des directeurs de service, deux ATSEM (agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles) et deux bénévoles complètent l’effectif.
Pourquoi associer les personnes âgées ?
Cédric : La mixité générationnelle nous a paru évidente. Une cinquantaine de personnes âgées, en alternance les mardis et jeudis, à raison de 12 personnes à chaque fois, se retrouvent à table avec des enfants de 3 à 11 ans. Les échanges, les discussions, les histoires racontées par les ancienNEs réjouissent les plus jeunes, qui, à leur tour, dynamisent les papis et les mamies.
Patrick : Les échanges se poursuivent lors de rencontres dans le village. Il suffit de les voir le midi pour constater les bienfaits de ce mélange intergénérationnel. Je précise que les parents d’élèves sont aussi invités à déjeuner à la cantine, à leur demande.
Le projet de ferme, c’est toustes aux champs demain ?
Cédric : Effectivement, le projet de cantine bio et la recherche de l’autosuffisance alimentaire nous ont poussés à réfléchir au-delà de la simple fourniture de repas à la restauration scolaire. Nous voulons créer des zones d’activités nourricières dans la commune et mener des programmes d’éducation populaire sur l’agriculture paysanne et l’alimentation.
Patrick : Nous avons le lieu et les bâtiments pour implanter une ferme municipale où seront faits des semis, des plantations, du maraîchage, des échanges de techniques, et pour aménager une cuisine avec du matériel « comme à la maison » pour des cours de cuisine avec toutes les personnes qui s’impliqueront.
Cédric : Le but n’est pas seulement d’alimenter la cantine en denrées et de donner le surplus de récolte à l’épicerie solidaire du village, c’est aussi de mettre en place une éducation populaire à l’alimentation moins carnée, de saison, biologique. Et toujours avec le souci du partage entre les générations. Nous avons adhéré au Réseau national des fermes publiques2 et participé à la réunion à Épinal en juin dernier. Nous visons la végétalisation des repas deux fois par semaine en 2026.
Patrick : Le Réseau des fermes publiques est né d’une dynamique lancée en 2024 à Mouans-Sartoux, commune pionnière.
Cédric : Que disait Marx déjà ? La réappropriation des moyens de production change les rapports sociaux de production. À notre modeste échelle, c’est ce qui nous inspire dans notre commune pour changer la vie des gens.
- 1. Bio en Normandie : association de producteur·ices bio.
- 2. Portées par les collectivités, les fermes publiques visent à produire localement, en régie, des aliments sains pour les cantines et à structurer des politiques alimentaires durables. Aujourd’hui, plus de 60 collectivités représentant près de 600 communes souhaitent s’engager dans la création ou le développement d’une ferme publique. L’objectif du Réseau national des fermes publiques (RNFP) est clair : favoriser les échanges, structurer l’accompagnement et valoriser les expériences locales.