Publié le Mercredi 5 octobre 2011 à 23h14.

Crise et dette : lutter contre la spirale infernale

Depuis la fin du mois de juillet 2011, on assiste à un nouveau tournant dans la crise économique. La croissance s’asphyxie. Les marchés financiers semblent reculer inexorablement tandis que les incertitudes se propagent sur la solidité des banques.

Les politiques gouvernementales américaine et européennes courent derrière les événements avec comme seul point fixe l’austérité pour les classes populaires

Depuis plusieurs mois, apparaissaient des signes du ralentissement d’une croissance déjà relativement limitée (car dans plusieurs pays, les pertes de production résultant de la récession de 2009 n’ont pas été effacées, tandis que se maintient un chômage élevé).

Aux États-Unis, production et consommation décélèrent depuis plusieurs trimestres et le chômage reste à des niveaux records.

En France, la croissance du produit intérieur brut (PIB) a été nulle au 2e trimestre. La production industrielle a reculé de 0,6 % et la consommation des ménages de 0,7 %. Le chômage a recommencé à augmenter depuis mai. Le gouvernement a été contraint de revoir ses prévisions à la baisse.

La croissance a également ralenti dans la plupart des pays de l’Union européenne. La brutalité du coup d’arrêt enregistré en Allemagne a surpris avec une progression du PIB de 0,1 % au 2etrimestre. Au total, pour l’ensemble de l’Union européenne, le produit intérieur n’a augmenté que de 0,2 % au 2etrimestre.

Vers une nouvelle récession ?

Certains économistes évoquent une nouvelle récession aux USA et dans l’Union européenne. Il est trop tôt pour trancher mais un nouveau ralentissement généralisé de l’économie se profile. Outre la stagnation de la demande des ménages du fait du chômage élevé, il s’explique en Europe, notamment, par les effets des mesures d’austérité. Ce ralentissement pourrait ne pas épargner la Chine même si celle-ci conserve un taux de croissance sensiblement plus élevé que les USA ou l’Europe. La crise économique n’est pas finie et une chose est certaine : le chômage va rester élevé.

La crise financière va durer

Les dettes publiques ont explosé dans les deux dernières années du fait de l’augmentation des déficits publics. Ceux-ci renvoient à des politiques de baisse d’impôts en faveur des revenus élevés (aux USA avec Bush, en France avec Jospin d’abord, Chirac, Sarkozy…), aux effets de la crise (moindres recettes en impôts et cotisations sociales) et aux mesures d’aides massives aux entreprises et aux banques. Les dettes représentent désormais une charge considérable pour les différents États.

En France, par exemple, pour 2011, le remboursement du capital représentera environ 97 milliards d’euroset le paiement des intérêts 45 milliards d’euros, soit au total 142 milliards d’euros. À titre de comparaison :

- les recettes de l’impôt sur le revenu ont été de 50,3 milliards d’eurosen 2010 ;

- le budget de l’enseignement scolaire hors retraites des enseignants (2011, prévisions) est de 45,6 milliards d’euros.

Le paiement des intérêts de la dette absorbe donc presque toutes les recettes de l’impôt sur le revenu.

La crise des dettes publiques européennes a démarré en Grèce. Elle provient des doutes sur la capacité du pays à faire face à la charge de sa dette dans les délais prévus. Pour prêter à la Grèce (dont le déficit budgétaire est important), les banques ont exigé des taux d’intérêts élevés étranglant un peu plus le pays. Comme la situation s’est tendue, à partir de 2010 l’Union européenne a mis en place des plans d’« aide » à la Grèce. En fait, plutôt que d’aider les Grecs, il s’agit de protéger les intérêts des banques ayant des titres de la dette grecque. En contrepartie, des plans d’austérité très durs ont été imposés à la Grèce (et acceptés par le gouvernement du « socialiste » Papandréou) : baisse des salaires, des retraites, privatisations, hausse des impôts. Ces plans ont contribué à casser encore plus la croissance donc les recettes du budget, tandis que les riches Grecs continuaient à frauder massivement le fisc. Le doute s’est ensuite étendu à l’Irlande, au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie…

Les banques détiennent des quantités importantes de titres de la dette publique car les États sont habituellement considérés comme des débiteurs plus sûrs que les agents économiques privés,et ces titres rapportent des intérêts. Ces quantités et leur composition géographique sont mal connues, il y a donc aujourd’hui une incertitude renouvelée sur la santé des banques. En témoigne la chute vertigineuse des cours de leurs actions (le cours de l’action Société générale au 5 septembre est ainsi de moitié inférieur à celui du début juillet). Mais il ne s’agit pas que de rumeurs malveillantes. Christine Lagarde, depuis le FMI, multiplie aujourd’hui les déclarations sur la fragilité des banques européennes. La faillite de banques importantes n’est certes pas à l’ordre du jour mais les banques vont limiter leurs opérations. Ainsi, on pourrait assister à un accès au crédit plus difficile pour les particuliers ou les entreprises, ce qui va peser sur la croissance.

Crise des dettes publiques et incertitudes bancaires se combinent donc pour faire plonger les Boursesmalgré les annonces du mois d’août après le sommet Sarkozy-Merkel et les mesures de soutien aux banques prises par la Banque centrale européenne (BCE). Par contraste, les entreprises du CAC 40 affichent des profits considérables au 1er semestre 2011 : une partie de ces profits provient d’activités réalisées dans les pays « émergents » (Chine, etc.) mais ces résultats témoignent aussi de la capacité des grands groupes à reporter les difficultés sur les sous-traitants et les PME (et, bien sûr, sur les salariés).

L’austérité pour toute perspective

Le stock de dette publique accumulée, la liberté sans limite laissée aux spéculateurs sur les marchés financiers ligotent les États. Mais les choix auxquels sont confrontées les différentes bourgeoisies se concrétisent différemment et conduisent à des hésitations voire à des affrontements sur la voie à suivre. La crise de direction de la politique économique est incontestablement une des dimensions de la situation économique présente. Aucun Roosevelt ne se profile à l’horizon.1

Aux USA, la politique économique gouvernementale est paralysée par l’exigence des républicains de compression à marche forcée du déficit budgétaire, sans remise en cause des baisses d’impôt pour les ménages les plus riches mises en place sous la présidence Bush. Fin juillet, pour obtenir la hausse du plafond de la dette, Obama a capitulé une fois de plus devant les exigences des républicains. Cela n’a pas évité la dégradation de la note américaine par Standard & Poors le 6 août au motif, notamment, de l’incertitude sur le futur de la politique de réduction de la dette.

En Europe, tout tourne pour l’instant autour de la dette publique. Après la Grèce, les attaques spéculatives ont touché l’Irlande, le Portugal, et puis maintenant l’Italie et l’Espagne. Le 8 août dernier, après une réunion des ministres des Finances du G7, la BCE a accepté d’acheter des titres de la dette italienne et espagnole. Les mauvaises créances étaient passées aux banques, puis aux États, elles vont désormais vers la BCE. Les réunions des États européens se multiplient et courent après les événements. Les hésitations sur l’analyse de la situation s’amplifient et la zone euro est soumise à de telles tensions que certains prédisent son éclatement. Mais deux axes perdurentdans les politiques gouvernementales : dans l’immédiat, sauvetage du système financier laissé pour l’essentiel libre de spéculer et, pour le présent et l’avenir, austérité.

Certains des gouvernements de droite de l’Union européenne sentent le besoin de donner quelques gages aux mouvements de mécontentement (au premier rang de ceux-ci les « Indignés » espagnols). Ainsi Silvio Berlusconi a d’abord inclus dans le plan d’austérité italien une taxe sur les hauts revenus (mais il y a renoncé). En France, Sarkozy et Fillon ont annoncé fin août un nouveau plan de rigueur avec une taxation exceptionnelle des très hauts revenus. Cette taxation est tellement dérisoire qu’elle est prévue pour rapporter en 2012 seulement 200 millions d’euros soit moins de cinq fois moins que ce que va rapporter la hausse des taxes sur les complémentaires santé (mutuelle, etc.) : 1,1 milliard !

Derrière la crise, la lutte des classes

Laurent Joffrin débute ainsi son éditorial dans le Nouvel Observateur du 17août dernier : « Il y a dans cette crise une vaste entourloupe en cours, masquée par le tumulte des marchés et la noria des réunions d’urgence […] Dans le brouillard de l’événement, sous les apparences de la dure nécessité, les féodalités financières et les classes dirigeantes imposent progressivement […] un programme de fer qui préserve leurs intérêts, alors même que leur influence sur la planète apparaît maintenant à tous pour ce qu’elle est : une désastreuse sacralisation de l’argent fou. D’expédients en mesures transitoires, de replâtrage en improvisation, les gouvernements […] se dirigent lentement vers les solutions préconisées par les maîtres de l’argent : maintien du pouvoir des marchés, refus des réformes de structure de la finance et de la banque, coupes dans les dépenses publiques pour rembourser la dette. Autrement dit, protection des possédants et austérité pour les peuples. » Dans un éclair de lucidité peu habituel dans ce magazine (la suite de l’article n’est pas à la hauteur de son début), sont bien campés les grands enjeux de la situation actuelle.

Il existe des alternatives à cette austérité sans fin au détriment des classes populaires. Des alternatives solidaires autres que le nationalisme du Front national. Pourquoi continuer à payer la dette rubis sur l’ongle ? Aujourd’hui, toutes les dépenses sont examinées et remises en cause quelle que soit leur utilité. Dans le public, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), on supprime des postes d’enseignants, on ferme des bureaux de poste, on casse l’hôpital, etc. Les annonces de Sarkozy sur des mesures pour la dépendance sont oubliées. Dans le privé, on fait la chasse aux « temps morts » et on supprime des postes de travail. Et une seule catégorie de dépenses devrait demeurer intouchée : celles qui concernent la dette ! Il serait plus légitime de payer la dette que des infirmières.

C’est insupportable ! Il faut soumettre la dette publique à un « audit », un examen populaire, pour porter un jugement sur son origine. Et dans le même temps, décréter une suspension immédiate des paiements de la dette existante. La dette illégitime qui représente l’essentiel de la dette devra être répudiée. Une campagne unitaire et résolue autour de la dette serait un des instruments pour préparer la nécessaire contre-offensive du monde du travail. o

Henri Wilno