Publié le Mardi 12 janvier 2016 à 11h00.

« Washington, nous avons un problème… »

C’est le titre choisi par The Economist pour sa une du 5 septembre dernier. Cette revue de référence des milieux de la finance tirait alors la sonnette d’alarme face à l’ascension de Donald Trump, en tête des sondages dans la course à la nomination républicaine pour l’élection présidentielle de la fin 2016.

L’hebdomadaire listait les positions les plus extrémistes, provocatrices ou stupides du milliardaire égocentrique : expulsion de 12 millions d’immigrés sans-papiers, construction d’un second mur à la frontière mexicaine (que le Mexique serait contraint de financer lui-même), lancement d’une guerre commerciale contre la Chine, accusée d’« exploiter » les travailleurs américains – sans parler d’un sexisme aussi exacerbé que caricatural. La dernière en date, énoncée en décembre, est d’interdire l’entrée des Etats-Unis à tous les musulmans « jusqu’à ce que le gouvernement y voie clair »

Pourtant cela ne lui a pas nui. Quatre mois plus tard, Trump est passé de 25-30 % d’intentions de vote républicaines à 35-40 %. Celui qui semble se détacher en seconde position, le sénateur du Texas Ted Cruz, est quant à lui le premier choix des évangélistes et du Tea Party, l’extrême droite du Parti républicain qui se défie du populisme de Trump, un personnage non issu du sérail et jugé incontrôlable. L’égérie du Tea Party, l’ex-candidate à la vice-présidence Sarah Palin, a récemment déclaré sa flamme à Marion Maréchal-Le Pen qu’elle a comparée à… Jeanne d’Arc. Le candidat pointant au troisième rang, qui bénéficie des financements les plus conséquents de « grands donateurs », le sénateur Marco Rubio, se situerait pour sa part – si l’on veut faire une comparaison française – quelque part entre Wauquiez et Philippot. Quant au représentant de l’establishment républicain, le fils et frère de président Jeb Bush, il recueillerait moins de 5 % des voix.

La droite étatsunienne a donc effectivement un problème. Devant cette situation, les milieux d’affaires se préparent très majoritairement (pour certains, la mort dans l’âme) à voter Hillary Clinton. Mais contrairement aux espoirs de l’appareil démocrate, rien n’est réglé à l’avance. Le dernier sondage national donne, en cas de duel Clinton-Trump en novembre prochain, 38 % de voix pour la première contre 37 % pour le second.

Tout cela reflète une crise sociale énorme – qui ne se traduit que marginalement à travers la campagne de Bernie Sanders, le très respectueux concurrent « socialiste » d’Hillary Clinton à l’investiture démocrate. Les réunions publiques de Trump voient se presser des gens de droite mais aussi nombre d’anciens électeurs d’Obama. Ce qui y prédomine – signalent de nombreux observateurs – est la « rage » face à un déclassement social qui marque la fin du « rêve américain ». Se présentant comme  l’archétype de l’« antipolitique », Trump ne manque pas d’utiliser la démagogie sur ce terrain-là aussi, par exemple quand il dénonce les gestionnaires de hedge funds qui ne paient pas d’impôts et sont « tous partisans de Jeb Bush ou Hillary Clinton ».

La revue étatsunienne Jacobin a publié récemment sur son site un débat sur le thème « Donald Trump est-il un fasciste ? » Les contributions les plus pertinentes répondent que non, le fascisme présentant des caractéristiques qui ici sont absentes (volonté de détruire physiquement les organisations du mouvement ouvrier et de renverser les institutions démocratiques-bourgeoises, soutien de secteurs significatifs du grand capital, etc.), mais que cela ne signifie pas que le discours de Trump – et d’autres candidats républicains – ne représente pas un sérieux danger.

Le secteur le plus intéressé à le décrire comme un « fasciste » est en fait… la direction du Parti démocrate, qui espère bénéficier une fois de plus d’un vote de « moindre mal ». C’est pourtant la politique des Démocrates, entièrement au service du capital par-delà telle ou telle mesure ou posture, qui pave la voie à de tels phénomènes. Une fois de plus dans les élections du 8 novembre, l’enjeu sera l’expression d’une politique indépendante des deux grands partis capitalistes.

Jean-Philippe Divès