Publié le Jeudi 14 novembre 2024 à 15h00.

Cholet : « Il est encore possible de sauver l’outil de production, mais Michelin n’entend pas changer d’avis »

Entretien. Vendredi 8 novembre, trois jours après que la direction de Michelin-Cholet a réuni ses employéEs dans un hangar glacial pour leur annoncer officiellement la fermeture imminente de leur usine, ce sont plus de 600 personnes qui ont, au départ d’une usine à l’arrêt, manifesté dans la zone industrielle de la ville. Toutes les organisations syndicales de l’entreprise (CFDT, CGT, SUD) étaient présentes, ainsi que des délégations des partis politiques de gauche (LFI, NPA-A, LO, UCL, PS, LE...). Les manifestantEs étaient d’autant plus remontéEs que les rencontres organisées le matin à la sous-préfecture avec le ministre de l’Industrie, Marc Ferraci, et les représentants de Michelin n’avaient rien donné, sinon confirmer la complicité et l’effroyable cynisme du gouvernement et du groupe capitaliste. Nous avons à cette occasion interrogé deux militants CGT de Michelin, Richard Grangien, secrétaire du CSE, et William, ouvrier de production.

Comment s’est déroulée la rencontre avec le ministre Ferracci et Michelin ce matin à la sous-­préfecture ?

Richard. Les trois organisations syndicales ont pu parler avec le ministre. Mais c’est surtout lui qui a parlé au début ! On a cru qu’il n’allait jamais s’arrêter, et on a vu tout de suite qu’il se situe dans « l’après » [fermeture]. Il n’a d’ailleurs pas oublié de nous dire que l’État ne pourra « rien », qu’avec le capitalisme, on ne peut pas faire autrement.

À l’inverse de son discours se plaçant dans la perspective du « plan social », nous pensons à la CGT qu’il est encore possible de sauver l’outil de production. Il suffit que tout le fric qu’ils placent dans le plan social [300 millions] soit utilisé dans les machines et pour diversifier la production, ce qu’ils n’ont pas voulu faire pendant des années. Mais évidemment, Michelin ­n’entend pas changer d’avis. 

La deuxième partie de la réunion fut plus « politique ». Il y avait le maire de Cholet [Bourdouleix, LR soutenu RN], le député [Masséglia, Ensemble], trois du Sénat, le département, la région, et des représentants de la direction de Michelin. Ceux-ci ont commencé par dire que ce qu’avait fait Fabien Roussel [annoncer la fermeture sur FR3] n’était pas correct [la fermeture, si !]. J’ai répondu que Roussel n’avait fait que retirer le couteau qu’ils nous avaient planté dans le bide, que cela faisait des mois que nous demandions des réponses qu’ils ne nous donnaient pas, qu’ils laissaient le site dans l’inquiétude. Ils voulaient que les gens soient déjà résignés au « plan social » qu’ils voulaient imposer. Michelin a ensuite déballé ses arguments : concurrence chinoise, coût de l’énergie… Devant les éluEs politiques (qui généralement semblaient surpris du comportement de Michelin), ils ont essayé de faire passer le message que l’énergie était trop chère et que des aides seraient bienvenues... Quant à l’argument de la Chine, comme ils délocalisent la production en Pologne et en Italie, il ne tient pas. Les pneus ne reviendront pas en France moins chers. Cela leur permettra d’augmenter les marges, les profits des actionnaires, mais pas de lutter contre la concurrence. La direction de Michelin aura été indécente du début à la fin. 

Comment se passe l’intersyndicale ?

Richard. Lors de la réunion à la sous-préfecture, tous les éluEs syndicaux ont dit la même chose. Ils avaient vécu la même chose : quand on nous a annoncé la nouvelle, on nous a parqués dans un grand entrepôt, comme mille vaches qui rentrent dans un abattoir.

On n’est pas ressortis morts, mais abattuEs. Là, on est en mode survie. Depuis mardi, on se croise, on échange, comme tous les salariéEs, on s’entend plutôt bien pour l’instant. Là, il n’est pas question d’élections professionnelles, mais de survie de l’usine. On ne peut pas se permettre de se prendre la tête entre nous.

Que penses-tu de l’affluence à cette manifestation ?

William. Je suis surpris : il y a beaucoup plus de monde aujourd’hui qu’hier et avant-hier, où nous n’étions que 200-250. Des camarades d’entreprises de Cholet nous ont rejoints. 

Et de la venue du ministre sur place ?

William. J’arrivais quand le ministre repartait [sous les huées] mais je n’attends rien de lui et du gouvernement. Si Michelin a décidé de fermer, c’est que c’est acté. La direction prétend dans les médias que c’est à cause du coût de l’énergie et de la concurrence chinoise mais — cela transparaît dès qu’on est en réunion avec la direction ou les managers de proximité — le premier « concurrent » de Michelin-Cholet, c’est Michelin-Olsztyn [en Pologne]. Michelin se fait elle-même sa propre concurrence. 

La production de Cholet va se répartir en Europe entre la Pologne et l’Italie [à Cuneo] où la main-d’œuvre est moins chère.

Le défaut d’investissement à Cholet est souvent évoqué, peux-tu en dire quelques mots ? 

William. Les derniers investissements, qui ont coûté plusieurs millions d’euros, ont été faits fin 2021 et en 2023 pour deux machines Iris à base de caméras et d’IA, censées remplacer une partie de l’effectif du service de contrôle (un peu plus de la moitié sur 40). Mais c’était à nous, avec nos outils, avec ce qu’on sait et même avec nos doutes (comme c’est du caoutchouc, la matière est plus ou moins malléable), d’apprendre aux machines ce qu’elles doivent faire. Celles-ci n’ont pas eu le temps d’être finalisées, juste fiabilisées, et elles vont partir sur un autre site, polonais ou italien (à Cuneo, ils en ont déjà 5). Il est d’ailleurs prévu que le premier service à disparaître soit la fabrication, dans six mois. Il ne resterait alors que les services administratifs et le mélange des gommes…

Que comptez-vous faire la semaine prochaine ?

William. Normalement, l’usine est censée redémarrer mardi. Mais les collègues avec qui j’ai parlé ont perdu toute motivation. Ils ont l’impression d’être pris pour des moins-que-rien. On leur promet une prime de 600 euros dont 400 pour la performance, mais comment être performant quand on sait qu’on sera jeté ? Moi j’ai passé 15 ans ici, mais d’autres en sont à 30, et en 15 minutes on leur dit « dans 6 mois, vous n’êtes plus là ». 

Il y aura donc une poursuite de la grève ?

William. Mardi 12 et mercredi 13, c’est sûr. Mercredi 13 novembre, on monte à Clermont-Ferrand [pour le CSE central de Michelin, où la fermeture doit être officialisée]. Il n’y aura pas que Vannes et Cholet. Tous les sites vont converger là-bas. 

Ici, on est déjà une bonne centaine à partir et il n’y aura pas que des Michelin, mais aussi des conjointEs, des enfants… Et des techniciens [supérieurs] qui ne font pas grève viennent ­également s’intégrer au mouvement.

Propos recueillis par JLG