Publié le Vendredi 19 avril 2024 à 18h00.

« Le patron de Neuhauser-InVivo en Moselle veut briser la forte dynamique militante d’une section syndicale jeune et féminisée »

Entretien. Christian Porta est le jeune (32 ans) délégué CGT de la boulangerie industrielle de Folschviller (270 salariéEs). Il est également secrétaire de l’Union locale de Saint-Avold. Sous l’invraisemblable motif de « harcèlement de la direction », il a été mis à pied le 7 février. La direction est déterminée à obtenir son licenciement mais un très fort mouvement de solidarité s’est mis en route. Christian, on le voit aussi à toutes les manifs Gaza à Metz, manifs dont il est un des animateurs.

Peux-tu nous présenter ton entreprise ? Elle n’a pas toujours été cette PME, et d’ailleurs Neuhauser n’est plus du tout Neuhauser petite entreprise de Moselle Est, proche de l’Allemagne. Qui est InVivo ?

En 1906, Neuhauser crée sa boulangerie. Son activité se développe mais c’est dans les 1970 et 1980 que l’entreprise familiale se lie à Lidl. Elle prend une dimension nationale et sera intégrée dans le groupe Soufflet en 2014. Le syndicalisme n’est pas très fort et les salaires sont très faibles. Douze sites de production fournissent alors des grandes surfaces en pain et viennoiseries. En 2021, Soufflet est racheté par InVivo, géant de l’agrobusiness, un des très gros du productivisme dans l’agriculture et dans l’alimentation. C’est une multinationale dont le chiffre d’affaires dépasse 12 milliards d’euros, qui emploie directement près de 15 000 personnes, qui stocke les céréales. Ses traders spéculent sur les prix des grains. InVivo participe directement à la financiarisation de tout le secteur. 

C’est dans ce cadre économique que vous développez, toi et tes camarades, votre action. « Les Neuhauser » font parler d’elles et eux très régulièrement, vous avez votre réputation de combativité. On se doute bien que ce n’est pas une génération spontanée… Et pour toi, comment ça s’est passé ton entrée dans le militantisme ? 

Je suis boulanger de formation. Enfant de quartier populaire, un peu loubard, je n’étais pas du tout militant quand j’ai commencé à bosser chez Neuhauser en 2014 comme intérimaire. Après plusieurs missions je signe un CDI et rapidement je suis délégué syndical. La section syndicale se renforce, se rajeunit, se féminise au fil des nombreuses bagarres. Bagarres sur les salaires d’abord, très faibles (autour de 1 300 euros) et sur les conditions de travail avec des plannings pas possibles. Depuis l’intégration dans InVivo, il y a eu de très forts mouvements avec débrayages et grèves sur le temps de travail, contre un plan de suppression de 180 emplois au niveau ­national. Nous avons eu de réelles avancées : nous sommes aux 32 heures payées 35 heures ; nos salaires se situent autour de 2 000 euros net. Notre section CGT compte 70 adhérentEs majoritairement femmes et jeunes. Un groupe combatif. Le patron de Neuhauser-InVivo en Moselle veut briser la forte dynamique militante d’une section syndicale jeune et féminisée.

Vos actions ne se limitent pas au corpo, vous êtes connuEs pour pratiquer un syndicalisme grand angle... 

Oui, clairement, nous situons notre action dans le cadre général, un cadre large. En 2018-2019, « les Neuhauser » étaient très présentEs dans le mouvement des Gilets jaunes qui a été particulièrement fort à Saint-Avold. Durant le confinement, nous avons imposé que les surplus soient distribués et non détruits… Le 8 mars, la grève féministe, nous en faisons notre affaire. L’interpro, de même : nous avons participé à dix journées de grève et avons bataillé pour une stratégie gagnante, pas ces journées saute-moutons. 

Ton rôle moteur est connu de tout le monde, évidemment de la direction de Neuhauser et même du groupe InVivo. C’est pourquoi la répression qui te vise est si forte. 

C’est évidemment ça. C’est ce syndicalisme combatif qui est leur cible mais les patrons ne peuvent pas le dire, alors ils inventent le prétexte dingue de « harcèlement sur les cadres dirigeants ». Ce qu’ils aiment c’est le syndicat « partenaire social ». Exemple très précis : lors du premier PSE (plan de sauvegarde de l’emploi avec 180 emplois en jeu), ils se sont arrangés pour me donner l’info « en avant-première » en me disant : « mais discrétion... ». Je leur ai répondu « Ça va pas être ­possible, parce que là, je vais vite partager la nouvelle ». Ils savent aussi le rôle encourageant que nous jouons pour nos collègues des 11 autres sites. Oui, nous sommes teigneux, bagarreurs, fermes ! Et ils ne le supportent pas. C’est la seule raison de la procédure de licenciement. Si quelqu’un est victime de harcèlement, c’est bien moi puisqu’on m’a adjoint en permanence un huissier de justice qui note mes moindres faits et gestes, mes moindres déplacements… Et qui coûte bonbon ! Une estimation sérieuse donne l’équivalent d’un 13e mois pour tout le monde à Neuhauser-Folschviller. Et puis, et ce n’est pas un détail, je suis sans salaire...

Pourtant la direction semble ne plus te viser tout seul. D’autres pourraient à leur tour devenir des cibles de la répression... 

En effet, il semblerait que trois autres camarades soient explicitement nomméEs dans les témoignages dans l’enquête en cours. C’est toute une équipe qui est visée, une dynamique collective de revendication que la direction veut casser. Et c’est pourquoi la solidarité doit être large et elle l’est !

Un comité de soutien s’est créé. Il prend des initiatives. Quel est son rôle ?

Il y a un mois, devant le siège national de InVivo à Paris, devant les grands silos du port de Metz, lors de deux réunions à Metz et à Saint-Avold, la solidarité s’est exprimée et s’organise. Le jeudi 25 avril sera une expression forte à Folschviller : c’est tout le secteur Alimentation qui appelle et au niveau local, à l’extérieur de l’entreprise, il y aura de l’écho ! Cette initiative sera très importante, c’est juste après l’avis que rendra l’inspection du travail le 22 avril. 

« Fin du monde, fins de mois, même combat », dis-tu souvent. Tu pourrais nous en dire plus sur les très prometteuses convergences qui se sont manifestées dans la dernière période ?

Oui, la convergence est explicite, presque comme une ­évidence : c’est effectivement très encourageant ! C’est que InVivo, malgré tout son greenwashing, est l’ennemi de la nature, de l’écologie ! InVivo est au cœur du capitalisme agro-alimentaire. Et d’un autre côté, les écolos conséquentEs sont attaquéEs, répriméEs dans les combats pour l’eau, contre la bétonisation, comme les syndicalistes, comme les Gilets jaunes. Si bien que dans les soutiens exprimés et vraiment actifs, il y a Extinction Rebellion, Greenpeace, la Confédération paysanne, Attac. 

Propos recueillis par Fernand Beckrich