Publié le Lundi 1 août 2016 à 13h34.

Syndicats sous les projecteurs de la lutte

Sur fond d’évolutions de plus longue date, la brutalité de l’offensive gouvernementale et patronale a provoqué une série de repositionnements au sein du mouvement syndical. 

La lutte contre la loi travail a illustré une nouvelle fois la fracture du mouvement syndical en France. Certes, depuis 1995, l’évolution de la CFDT engagée à la fin des années 1970 avait mis à jour cette ligne de rupture. Elle avait valu à cette confédération de nombreux départs au fil des mobilisations sur les retraites ou Sécu. Une ligne de fracture souvent déniée par la direction de la CGT au nom du syndicalisme rassemblé mais qui, sur le terrain, ne saurait échapper aux militant-e-s.

 

Diviser pour régner…

Depuis les origines du syndicalisme, la bourgeoisie française s’est efforcée de mettre en place des contre-feux au syndicat le plus radical, en fait la CGT. Ce fut d’abord, avec la bénédiction de la hiérarchie catholique, la création en 1919 de la CFTC dont le mot d’ordre fondateur était « la paix sociale ». Fondée en 1944, la CGC se fixait comme objectif d’éviter que les cadres ne soient influencés par la CGT, en les syndiquant de façon séparée. Enfin, Force ouvrière scissionna la CGT en 1947 en réponse à la stalinisation de cette dernière, avec le soutien de l’AFL-CIO américaine et de la CIA.

Cette volonté de minimiser la place de la CGT s’est manifestée de façon permanente au fil des années. Notamment à travers la création pour les élections professionnelles d’un deuxième collège réservé aux salariés les plus qualifiés, puis d’un troisième collège réservé aux cadres, tous salariés censés ne pas se reconnaître dans la CGT. Bien des comités d’entreprise ou d’établissement, bien des CHSCT sont aujourd’hui, grâce à cette répartition, dirigés par la CFDT et ses alliés avec l’appui du chef d’entreprise.

 

… Ou unir dans l’intégration ?

A partir des années 2000 et notamment sous Sarkozy, la bourgeoisie française a tenté de faire franchir un pas supplémentaire à l’intégration de l’ensemble du mouvement syndical. La multiplication des concertations, des diagnostics partagés et la signature de nombreux accords, y compris par la CGT, ont conforté cette orientation. L’accord sur la représentativité de 2008, construit et validé par la CGT et la CFDT, même s’il a suscité des critiques, en a signifié une consolidation essentielle. La politique du dialogue social permit l’adoption des différentes contre-réformes des retraites et marqua durablement les mobilisations.

Mais la multiplication des attaques contre les acquis sociaux a suscité un développement des résistances, qui a réactivé les clivages au sein du front syndical. D’un côté, ceux qui, autour de la CFDT,  les valident dans leur quasi-totalité ; de l’autre, autour du front CGT-FO-FSU-Solidaires, les militants qui accompagnent voire encouragent celles et ceux qui les combattent. Si la stratégie du syndicalisme rassemblé est en échec, celle du dialogue social continue cependant de parasiter l’action de la « petite » intersyndicale.

 

A la lumière de l’épreuve de force

La lutte contre la loi travail marque une évolution dans le partage du champ syndical. En ce qui concerne la CFDT, fidèle à sa politique d’accompagnement des reculs sociaux, pas de contestation importante, même si on peut voir dans chaque manifestation des cortèges de ses syndicats, dont celui de la métallurgie de la région parisienne. D’ores et déjà, de nouveaux départs de militants sont annoncés.

Force ouvrière continue d’être capable, au moins dans des manifestations de rue, de mobiliser de nombreux salariés. La FSU n’en finit plus de glisser dans le camp de l’accompagnement des politiques gouvernementales, un processus engagé depuis l’arrivée au pouvoir de Hollande. A l’opposé, la CGC, à l’issue d’un congrès qui a évincé la secrétaire générale sortante, s’est engagée dans une dénonciation modérée de la loi travail.

Solidaires est confronté à plusieurs problèmes, nés en partie de son relatif développement. Le renouvellement de sa direction lors du dernier congrès a marqué une prise de distance avec les forces politiques, une sorte de « recentrage » laissant de côté ce qui sortait du champ strictement syndical. Solidaires s’inscrit dans une stratégie « unitariste », illustrée notamment lors de sa co-signature du communiqué de presse intersyndical commun du 23 février sur la Loi El Khomri, en actant deux regroupements dont l’un de pâle dénonciation avec la CFDT et l’autre plus mobilisateur…  l’un et l’autre « oubliant » cependant l’exigence du retrait de la loi. Cette difficulté à se démarquer du cadre unitaire, notamment avec la CGT, s’est retrouvé dans la mobilisation à la SNCF ou lors de l’acceptation du parcours de la « manifestation » du 23 juin.

La réduction du poids du PCF dans le syndicalisme a laissé une place plus importante aux différents courants du PS. C’est un des éléments d’explications du repli de la FSU, en accord avec les évolutions sociologiques du corps enseignant. A contrario, le gouvernement a par sa politique minorisé ses relais au sein des la CGT, et contraint ceux dont il dispose dans Force ouvrière à s’engager dans la mobilisation.

L’affrontement total engagé par la bourgeoisie pourrait bien ne plus tolérer un syndicalisme capable a minima de défendre les acquis sociaux. Le glissement de la CFDT et de ses ombres dans la franche collaboration de classe illustre le syndicalisme dont rêve la bourgeoisie. Dans d’autres pays, tels que l’Italie (CGIL) ou l’Espagne (CCOO), les confédérations sœurs de la CGT ont déjà fait le choix de s’allier aux « sœurs » de la CFDT.

L’intransigeance du gouvernement, sa politique brutalement répressive ont pour conséquence de laisser peu de marge de manœuvre au syndicalisme. Lutte de classe ou bataille pour occuper des places dans le dialogue social : un débat, des choix qui ne nous sont pas indifférents et qui risquent de peser lourd dans les mobilisations à venir.

 

Robert Pelletier