Entretien. Lors du rassemblement du mardi 22 novembre organisé par le collectif Stop VOG (Stop Violences obstétricales et gynécologiques) devant l’hôpital Tenon, nous avons rencontré la fondatrice du collectif, Sonia Bisch. Le médecin gynécologue Emile Daraï exerce encore à Tenon. Il a été mis en examen pour « violences volontaires » au lendemain de cette entrevue
Quelques jours après la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles [le 19 novembre à Paris], quel bilan le collectif en tire-t-il pour les violences obstétricales et gynécologiques ?
Pour nous, c’était vraiment important d’être présentes à la manif de samedi dernier parce que les violences obstétricales et gynécologiques font partie des violences sexistes et sexuelles. Il y a la même inversion de la culpabilité, les mêmes plaintes classées sans suite. C’est absolument scandaleux. Il y a une omerta. Les victimes sont vraiment écrasées. Malheureusement, peu de plaintes aboutissent. La seule solution, c’est vraiment de militer pour que les pouvoirs publics s’emparent de cette question, agissent et mettent en place des mesures efficaces. C’était important que nous soyons présentes lors de la marche organisée par Nous toutes. Notre collectif organisait un cortège avec d’autres associations, d’autres collectifs. On a senti vraiment qu’il y avait une effervescence, une ambiance incroyable. C’est fort de partager toute cette belle énergie ensemble, parce que la lutte est très difficile. À Stop VOG, on reçoit 200 témoignages par mois en moyenne, qui sont extrêmement durs à lire. C’est donc très important de pouvoir se ressourcer ensemble, de sentir qu’on est portées et soutenues par le mouvement Nous toutes et que ça avance.
Le professeur Daraï exerce toujours à l’hôpital Tenon et est au contact des femmes, malgré toutes les plaintes et tous les témoignages de violence, malgré le recours judiciaire aussi. Est-ce que cela ne démontre pas la limite de cet appel aux institutions médicales et judiciaires ?
C’est sûr ! Mais si on ne lutte pas, on aura encore moins de choses. On est obligées de militer, d’expliquer que ce n’est pas normal, de visibiliser cela auprès des médias. Jusqu’à présent les victimes étaient seules dans leur coin et malheureusement, elles n’étaient pas entendues. On fait tout ce qu’on peut pour interpeller les médias et visibiliser une situation absolument scandaleuse. Si on a 200 témoignages par mois, si on a autant d’affaires, c’est juste qu’il y a une impunité totale du corps médical actuellement. L’image d’Épinal, ce sont des médecins qui ont fait dix ans d’études, qui sont donc forcément compétents et bienveillants, mais en fait pas du tout ! Il y a vraiment des personnes qui dérapent… à cause d’un manque de moyens et de personnel, à cause d’un manque de formation aussi, qui n’est pas suffisamment bonne. Il y a des pratiques qui sont complètement délétères, qui sont contre-productives. On dénonce cette affaire de Tenon qui est un peu le haut de l’iceberg, parce que c’est un ponte, qu’il a 36 plaintes au pénal et qu’il est toujours en poste. C’est scandaleux ! Combien d’autres continuent à commettre des violences ? Il faut vraiment changer le système et que le médical arrête de protéger les mauvais éléments. L’Ordre des médecins pourrait s’auto-saisir pour Daraï, mais il ne le fait pas. Le gouvernement pourrait dire quelque chose depuis un an, mais il ne s’est pas exprimé. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) continue à inviter Daraï à des colloques. C’est comme si la parole des patientes ne comptait pas. Ces gens ont fait dix ans d’études pour prendre soin des patientes. Je n’arrive pas à saisir ce qui fait que ces gens méprisent autant la parole des patientes.
Grâce aux témoignages, on voit bien le caractère systémique des violences. Il ne s’agit donc pas d’une « brebis galeuse » dans une institution, qui serait par ailleurs fonctionnelle, mais bien de toute l’institution qui a un rôle, un rôle qui n’est pas celui de protéger les femmes…
Le système est problématique. C’est aussi un problème de formation. Au Canada, cela fait trente ans que les patientes expertes sont intégrées dans la formation initiale et continue. Trente ans ! Et nous, on n’y est encore pas ! Ils ne peuvent pas construire la bientraitance tout seuls. L’entre-soi, c’est fini ! On ne construit rien de positif avec l’entre-soi. Il faut vraiment écouter les patientes, écouter leurs points de vue. Comme ça, ils pourront répondre à leurs attentes. J’entends beaucoup de critiques des professionnelEs sur les réseaux sociaux, mais vu que les patientes n’ont pas été entendues jusque-là, il n’y a pas d’autre choix pour elles que d’aller sur les réseaux sociaux. Il faut déjà les entendre quand elles envoient des lettres, quand elles se plaignent. Pour un professeur qui a 36 plaintes au pénal, il faudrait peut-être commencer par agir. Cela redonnerait confiance aux patientes envers le corps médical qui se discrédite totalement en le protégeant. Il faut au moins le suspendre !
Il y a un enjeu de pouvoir dans le secteur médical, en particulier sur la question gynécologique et obstétricale. Faites-vous des alliances avec des soignantes, des médecins ou des syndicats qui peuvent vous aider, de l’intérieur, à porter le rapport de forces ?
Il y a des gynécologues qui nous contactent, mais extrêmement peu. Il y a des étudiantes et des étudiants en médecine mais qui ont peur de s’afficher parce que c’est un milieu très très hiérarchisé et qu’il n’y a pas tant de liberté de parole qu’on pourrait le penser. Si on critique l’autorité, c’est compliqué pour sa carrière. On se rend compte que c’est dangereux actuellement d’être du côté des femmes. Un peu plus de sages-femmes nous contactent, mais en définitive trop peu de professionnelEs de santé nous contactent.
Les sages-femmes, qui sont une profession organisée et qui se mobilise, peuvent-elles davantage soutenir vos revendications en raison de leur formation et de leur approche différente de celle des médecins ? N’y a-t-il pas des liens à faire ?
Nous, on repartage beaucoup la lutte des sages-femmes ; elles moins la nôtre. Bien sûr, il y a des sages-femmes qui nous soutiennent, nous contactent mais, comme je l’ai déjà dit, être du côté des femmes, c’est dangereux ! Il vaut mieux pour sa carrière rechercher l’alliance des médecins. C’est compliqué, mais en fait c’est une question de pouvoir.
Notre travail en tant qu’association, c’est de redonner l’information, de récupérer de l’information pour la transmettre. On pense que de cette façon, on va inverser la honte de camp, inverser le rapport de force. Il n’y a pas d’autres choix finalement pour que les femmes, que les patientEs soient entendues et respectées.