Publié le Lundi 5 septembre 2016 à 09h32.

Les cacher ou les montrer ? Pour une histoire politique des seins

L’histoire du sein, même en occident elle n’a pas été linéaire, les seins n’ont pas toujours été cet objet de fantasme, et d’hypersexualisation d’aujourd’hui.

On a donc longtemps représentés les seins surdimensionnés, et comme des facteurs de fertilité, de symbole d’une civilisation en bon état, c’est les petites statues préhistoriques, la Déesse de la fertilité Cybèle dans l’Égypte ancienne, ou Gaia chez les Grecs, puis la louve chez les Romains.

On passe ensuite au mythe du lait, reprise avec toutes les madones au lait, de la Vierge allaite des textes sacrés, à toutes les représentations de la Renaissance ( Agnès Sorel étant le symbole de ce nouvel esthétisme)

Jean-Jacques Rousseau marque une révolution avec un retour à la nature nécessaire et la réassignation des femmes à leur rôle ménager et nourricier 

Libération avec divers épisodes révolutionnaires et Années Folles

Parenthèses des 2 guerres mondiales avec propagande nataliste Vichy notamment

Puis mouvement féministe des années 60/70 

Aujourd’hui, avec 3ème vague, nouvelles question posées ; rapport au porno, Femen etc…

Attendre impatiemment leur arrivée, ou la craindre, découvrir ses seins à l’adolescence, les apprivoiser, jouer avec, vouloir les montrer, ou pas, en jouir, ou en souffrir.. apprivoiser l’idée de leur perte possible.. c’est cette histoire intime, mais collective que nous allons voir ensemble, lieu de domination mais aussi outil de réappropriation de nos corps.

 

  1. Le contrôle du corps des femmes

 

Le corps des femmes est un champ de bataille et es seins plus particulièrement, sont un lieu de contrôle social très fort, parce qu’ils sont ce symbole de la féminité, donc un lieu fantasmé par les hommes, et un contrôle social via l’allaitement notamment, donc lieu de tension et d’exarcerbation du modèle mère ou pute

 

1.1. Porter ses seins

 

Les femmes ont toujours porté des dispositifs pour maintenir (plus ou moins en les cachant suivant les époques) mais l’histoire des corsets, soutien-gorge, nous montre quel type de regard la société porte sur les seins.

 

On porte plutôt des brassières chez les grecques et les romaines, puis au Moyen Age. On porte des corsets à partir du 16e dans les cours européennes, avec des formes et des modes qui ont évolués, mais sont globalement des instruments de torture pour les femmes

 

Avec la création des soutien gorge du 20e, on assiste à une « libération des corps » les femmes peuvent désormais plus facilement bouger, travailler, respirer

 

Le mouvement féministe après 1968 va plutôt contre ce soutien gorge, qu’elles appellent à jeter comme tous les corsets, gaines et autres attributs sans réellement les brûler, mais si dans l’imaginaire collectif, les féministes vont désormais sont caricaturées ainsi (voir Christine Bard : es études récentes de

 

→ A l’inverse, on a aussi chercher à dissimuler/supprimer ses seins

Au Cameroun encore aujourd’hui se pratique le repassage des seins (1/4 des femmes est concernée) par cette pratique barbare qui consiste à effacer toute féminité naissante chez les petites filles via des bandeaux comprimants et le repassage régulier par des pierres chaudes, pour leur éviter toute risque de tentation des hommes

 

De même, lacérer les seins a toujours été une punition pratiquée sur les corps des femmes (la plus connue : Sainte Agathe qui subit ce martyr de la part des romains qui le pratiquer beaucoup), mais couper les seins a été une pratique des armées d’occupations, des allemands pendant la 1 GM ou par armées coloniales

On la pratique encore aujourd’hui au Pakistan notamment comme une sanction pour non respect des normes (en l’occurrence pour allaitement en public)

 

1.2. Le sein nourricier

 

La pratique de l’allaitement a évolué au cours des siècles, et est vu de manière différente en fonction des cultures

 

Dans Europe médiévale, on met beaucoup en nourrice, d’abord dans le classe bourgeoise au 16e, mais pas seulement, aussi dans la classe moyenne au 17e, et ouvrières au 18e

Bouleversement c’est JJ Rousseau notamment avec son Emile et de l‘Éducation correspond à l’idée de retour de la nature, et donc à réattacher toutes les femmes à l’allaitement pour reconstruire des familles stables «  Une fois que les femmes redeviennent mères, bientôt les hommes redeviendront pères et maris »

 

Il va créer un retour au sein dans l’aristocratie, qui va redescendre toute l’échelle sociale (qui voudrait en effet aller contre la nature).

Pour les classes « dangereuses », cela va devenir une forme de contrôle sociale : charité contre allaitement, exemple un décret 1793 conditionne l’obtention des aides d’État aux indigentes à l’allaitement des enfants, en 1919 idem toute femme allaitant peut obtenir un an de pension, idem avec les 1ères assurances sociales de 1930 les allocations familiales y sont conditionnées (repris par Vichy)

 

Mais allaiter est aussi un acte patriotique (cf les représentations de la Révolution Française), opposé à la dégénérescence d’Ancien Régime, le lait produira de bons citoyens

De même manière, instrumentalisé le régime nazi qui va lui jusqu’à mesurer le lait produit, ou le régime de Vichy qui va créer une sorte de banque du lait pour les mères nécessiteuses

 

Aujourd’hui allaitement fait débat très fortement dans notre société (cf dernière campagne UNICEF)

  • Discours réac porté par la Leach League en vogue depuis les années 80 relayé par des pédiatres type E. Antier qui prône un allaitement exclusif, et le plus longtemps possible (cad concrètement sans travail salarié à coté) pour créer un attachement etc.. qui est aussi une revanche contre les féministes (cf « servitude volontaire » pour Beauvoir)

  • Pression de certains milieux écolo très forte anti lait maternisé, qui dit que c’est le mieux pour le bébé, polémique porté notamment par le livre de Badinter Le Conflit, La femme et la mère qui répond à ces injonctions

  • Pression médicale gagnée par la Leach League qui fait toute femme passant par une PMI ou une sage femme a droit à un discours +/- culpabilisateur sur le sujet

 

Cette pression fonctionne car l’allaitement (en temps le temps du congés maternité) remonte depuis les années 70.

Il ne s’agit de théoriser l’une ou l’autre solution, mais de voir qu’il s’agit d’un faux choix, bien souvent dicté par des conditions économiques de la famille (retravailler vite est une nécessité pour certaines, prolonger le congés maternel est éventuellement envisageable pour d’autres)

 

1.3. Le sein guerrier

 

Au-delà du lait qui est devenu un aspect politique, le sein est devenu un symbole de la République et de ses valeurs.

Voir les différents bustes de Marianne, de l’allégorie de la Révolution qu’est la Liberté guidant le peuple de Delacroix qui célèbre la révolution de 1830.

 

Mais, c’est aussi une arme de la propagande nationaliste, pendant 1 et 2GM notamment, mais aussi pendant les guerres coloniales, de nombreux crimes de guerre ont été conquis sur les seins des femmes, coupés et exhibés comme des trophées de guerre et comme contrôle de l’ennemi

 

Parenthèse sur les Amazones : mythe de ce peuple de femmes guerrières intrépides et sauvages se coupant un sein pour aller combattre des hommes.

Ce qui est le plus marquant, c’est que ce mythe est perduré, qu’il soit ou pas en partie réel, qu’il est fait à ce point peur et serve de repoussoir au patriarcat

(sertla rhétorique d’un féminisme violent)

 

 

Amazones ouvrent pour nous la 2éme partie de cette présentation ou l’on verra, que, fort heureusement, les femmes ont repris le contrôle de leur corps et de leurs seins

 

 

  1. La réappropriation de son corps

 

2.1. Les seins nus

 

Les seins nus ont disparue de l’espace public il y a bien longtemps avec essor du christianisme et du puritanisme, mais des mouvements renaissent ces dernières années en Europe et en Amérique du Nord pour faire reconnaître des espaces topless safe (ou nudiste) sur la plage et ailleurs.

 

Pourquoi juge-t-on cette pratique plus érotisée que celle d’un homme topless ? En quoi un téton féminin est-il plus une « partie génitale » qu’un téton masculin, car c‘est bien sous le coup de cette loi qui jugé toute démonstration nue ? D’ailleurs il a l’air de se pratiquer sans qu’on ait besoin de l’autoriser ici, sur les lieux de tourisme en général, et dans les compétitions sportives

Au contraire, on a légiféré pour interdire l’exposition des seins nus des femmes dans les piscines, exemple avec le règlement de Paris Plage qui prévoit explicitement que « toute tenue qui laisserait entrevoir les parties génitales ou la poitrine constitue une exhibition sexuelle, punissable d'un an d'emprisonnement »

 

Aux USA la bagarre est plutôt menée par les femmes qui allaitent, puisqu’elles rentrent dans le cadre de cette interdiction et subissent des amendes

Le mouvement de libération des seins (ou plutôt des tétons -free the nipple) y a pris un certaine essor ces dernières années, avec l’implication de nombreuses stars, lié en partie à la censure de Facebook

 

L’un des autres espaces de cette contestation reste les lieux de loisirs ; piscines et plages notamment.

A Paris, le groupe des Tumultueuses a organisé des actions seins nus en piscines

En Suède, de même, les femmes ont désormais le droit de venir seins nus à la piscine, c’est un exemple intéressant parce que c’est une décision prise par le défenseur des droits au nom du principe de non discrimination entre hommes et femmes

 

 

 

 

2.2. Les seins politiques

 

Difficile de parler seins nus, sans parler FEMEN, même si ce mode d’action politique n’est pas nouveau, il était et est pratiqué dans de nombreux pays d’Afrique (lors de manifestations pour la décolonisation notamment), il l’a été également de manière mixte aux USA dans les années 70/80 contre la pub et la pornographie.

 

La pratique du happening n’est pas nouveau non plus, Act Up l’a beaucoup pratiqué, mais chez les FEMEN il se pratique est seins nus. Ces seins qui sont le lieu et leur outil de militantisme, elles les voient comme leurs « armes »et un moyen de ses réapproprier leurs corps et de se libérer du patriarcat.

Comme l’explique Inna : «  Se réapproprier son corps, son sexe, est la seule clé possible pour tendre vers la liberté et en finir avec cette oppression malsain. La nudité féminine détachée du système patriarcal devient alors le symbole de la libération des femmes : nos corps deviennent des armes et s’imposent comme une nouvelle voix, une transformation de féminisme. Nous sommes nues car nous sommes féministes. »

 

D’ailleurs le sens de leur Manifeste prône d’ailleurs «  Le patriarcat qui contrôle notre chair et oppresse nos esprits a désormais trouvé dans nos corps nus et combattants le moyen de son anéantissement ».

 

Pour elles, elles sont une sorte du commando du féminisme, son avant-garde.

Elles jouent avec les médias, et leur offre un corps nu et violenté. « Ce quel les médias sont besoins c’est de sexe, de scandales et d’agression : il faut leur en donner. Être dans les journaux c’est exister »

 

Elles sont évidemment beaucoup questionnées et critiquées, dans les milieux féministes pour

-Avoir un discours d’un féminisme non inclusif (elles sont très anti-religions, anti-vielles féministes), à force de vouloir être la jeunesse du féminisme, elles ont du mal de partir de là ou les gens en sont

-Elles se soumettent d’une certaine manière à l’esthétique patriarcale en offrant des corps jeunes, sveltes, aux poitrines impeccables et aux dessous sexy (cf article Mona Chollet ou elles décrit victimes de tout ce qu’elle a dénoncé dans « nouveaux visages d’une aliénation féminine)

 

 

 

2.3. De nouveaux seins ?

 

Même s’il touche de plus en plus, et de jeunes femmes, l’expression, les questionnements autour de ce cancer, particulier quand même, me semblent récents dans la société.

 

Elle rebalaie une partie des choses, qui ont été dites tout au long de ce topo sur le regard que porte les autres sur nous, sa place sociale, amoureuse etc.. et parce qu’il touche à un point important de notre identité de femme

 

Bien sur le cancer du sein n’est pas un maladie nouvelle, mais s’est développé, il touche tout de même 1 femme sur 8. On l’opère dès le Moyen Age (sans anesthésie à l’époque) mais on ne se pose pas la question de comment vivent les femmes derrière, les médecins se cantonnant au triptyque diagnostic – traitement –guérison, pas toujours avec beaucoup d’humanité, et sans discuter vraiment avec les femmes.

 

Après une mastectomie, 30% des femmes vont passer par une chirurgie reconstructrice (par choix, par contrainte budgétaire). C’est seulement depuis le scandale mondial des prothèses PIP que l’on semble s’intéresser à la parole des femmes, à leur désir, à prendre de le temps de les écouter et de se forger un avis sur leur souhait d’avoir ou non recours à la chirurgie (par ailleurs c’est aussi des services qui ont beaucoup fermés avec les restrictions budgétaires et ont quasi disparus du secteur public)

 

Vous trouverez de nombreux témoignages et BD sur des femmes qui ont fait le choix de se faire tatouer, de se faire réimplanter un sein, ou de ne rien faire de plus.. et de l’assumer.

 

 

Conclusion :

 

Le contrôle individuel et collectif des hommes sur les seins et sur les corps depuis des millénaires a pris des formes différentes, mais toujours pour nier le fait qu’ils leur appartiennent et leur attribuer un rôle social : de la nourriture pour les bébes, du sexe potentiel pour les hommes du sexe, une cause de maladie pour les médecins une source de profit pour les capitalistes, un symbole de perversion pour les autorités religieuses, un symbole nationaliste : pour les autorités politiques..

 

Et pour les femmes ? Quand entend on leur parler les femmes, de leur désirs,de leurs complexes,de leurs problèmes, de l’attente angoissée qu’ils arrivent à l’adolescence, de leur découverte renversante, du plaisir qu’ils leur procurent, de l’envie de les exhiber, ou plutôt de les dissimuler, du plaisir qu’éprouve certaines à allaiter, de l’angoisse pour toutes de la maladie et de leur perte.

 

Au-delà du simple sujet anecdote on pourrait conclure comme Marilyn Yalom, dans son livre Le sein, une histoire : « La manière dont une femme considère ses seins est un bon indicateur de son estime de soi ainsi que du statut collectif des femmes en général »

 

 

Pour lire, et poursuivre :

 

+Articles

Didier Jean Jouveau Claude-Suzanne, « L'allaitement est-il compatible avec le féminisme ? », Revue Spirale 3/2003 (no 27) , p. 139-147

Christine Bard : « Mon corps est une arme »., des suffragettes aux Femen in « Les Temps Modernes » n°678 2014

Marie-Anne Paveau, Quand les corps s’écrivent. Discours de femmes à l’ère du numérique. 2016

Et aussi, sur le site de La Brèche… 

+ Essais :

Elisabeth Badinter, Le Conflit, La femme et la mère, Flammarion, 2011

Béatrice Fontanel, Corsets et soutien-gorge. L'épopée du sein de l'Antiquité à nos jours, La Martinière, 1997

JC Kaufmann, Corps de femmes regards d'hommes : sociologie des seins nus, Nathan, 1995

Martin Monestier, Les Seins, Encyclopédie historique et bizarre des gorges, mamelles, poitrines, pis, et autres tétons, des origines à nos jours, Le Cherche Midi, 2001

Caroline Pochon Allan Rotshild, Le culte des seins, Democratic Books, 2011

Marilyn Yalom, Le sein, une histoire, Gallade Editions, 2010

Coll, Manifeste FEMEN, Editions Utopia, 20155

 

+ Documentaires :

Le Culte des seins, Laure Michel, Arte, 2010

Secrètes rondeurs , 2014

Sur les FEMEN : Nos seins, nos armes de Nadia El Fani et Caroline Fourest

Sur le mouvement de libération des tétons : Free The Nipple , 2014

 

+ BD :

Lili Soh, La guerre des tétons, 2 tomes

Isabel Franc Susanna Martín, Alice au pays du réel, 2016

Michel Dufranne, Denis Lefebvre , Journal d’une Femen, 2014

 

+ Sites à visiter :

http://lesamazones.fr/

http://tchaogunther.com/