Publié le Mercredi 25 octobre 2017 à 23h40.

1917 : La prise du pouvoir en Octobre

Loin d’être une opération conspirative, la prise du pouvoir en octobre est un rebondissement de la crise révolutionnaire commencée en février. Elle est publiquement débattue pendant plusieurs semaines à partir de la fin du mois d’août, car elle apparaît à des millions d’ouvriers, de paysans, de soldats comme la seule manière d’obtenir enfin ce pour quoi ils se sont mis en révolution.

Les soldats veulent en finir avec la guerre, désertent avec armes et bagages par dizaines de milliers. Les paysans, excédés par le refus du gouvernement provisoire de tenir ses promesses, partent en masse à l’assaut des domaines seigneuriaux. En septembre et octobre, près d’un millier de demeures seigneuriales sont ainsi mises à sac et brûlées, les terres redistribuées.

Débat public

Dans les usines, le contrôle sans pouvoir montre ses limites, les menaces de fermeture de nombreuses grandes entreprises se multiplient. Que contrôler lorsque les directions s’en vont ? 

Pour toutes ces raisons, les discussions dans les soviets, les comités d’usine, de soldats, de gardes rouges, de milices, reviennent toujours à la question du pouvoir d’État, du pouvoir « aux soviets ».

Le débat au sein du parti bolchevik est public. Lénine, convaincu que seul le prolétariat peut dénouer la crise, multiplie les messages depuis son exil. Comme les bolcheviks sont majoritaires dans le prolétariat, il pense que c’est à eux que doit revenir le pouvoir, pour peu qu’ils le prennent. D’autres dirigeants, dont Zinoviev et Kamenev, sont hostiles à l’insurrection car ils pensent que le parti sera majoritaire dans toutes les élections à venir. Ils publient un article contre l’insurrection dans le journal de Gorki. D’autres débats existent : faut-il prendre le pouvoir avant l’ouverture du deuxième congrès des soviets prévue le 25 octobre ? Quelles sont les places respectives du parti et des soviets ?

Le gouvernement provisoire sera incapable d’empêcher la prise du pouvoir. Il n’existe en fait déjà plus et personne ne veut mourir pour lui. Toutes ses décisions accélèrent sa chute. La menace d’un envoi au front déclenche une mutinerie générale, les soldats et marins se placent sous les ordres du Comité militaire révolutionnaire du soviet de Petrograd. Le pouvoir essaye d’interdire la publication de la presse bolchevik ? Une escorte impose la réouverture et la parution. Il organise le sabotage du téléphone ? Il est rétabli.

Plus un ordre à Petrograd n’est exécuté sans décision du Comité militaire révolutionnaire, qui proclame le 21 octobre son autorité sur toute la garnison, puis le 23 octobre sur la forteresse Pierre-et-Paul. Un canot avec 40 hommes réquisitionne la banque d’État sans un coup de feu. Les gares, ponts, téléphone, postes sont pris sans affrontement. La relève se fait partout « sur ordre du soviet ». La ville est aux mains des insurgés le 24 octobre. L’événement passe inaperçu aux yeux de l’immense majorité des habitantEs, les restaurants et l’opéra sont ouverts, les transports circulent, il n’y a aucune manifestation particulière dans les quartiers ouvriers. 

La révolution continue 

Les quelques milliers d’hommes qui investissent le Palais d’hiver, siège de ce qui reste du gouvernement provisoire, en entrant par une porte non gardée, ne se voient opposer aucune résistance1. Il reste moins de 300 soldats, essentiellement des élèves officiers, les autres ont rejoint leur casernement ou tout simplement sont partis manger et se laver. La prise du Palais d’hiver a détruit… une fenêtre et une corniche. « À l’insurrection ont participé 1 600 gardes rouges, 706 marins de Kronstadt, 47 unités militaires, 12 comités d’usine, 5 comités de quartier, une vingtaine de comités divers, des groupes anarchistes, une minorité de syndicats. »2

  • 1. L’attaque du film Octobre d’Eisenstein est imaginaire.
  • 2. Marc Ferro, « Révolution russe. "Le Comité militaire déclare échu le gouvernement provisoire" », www.alencontre.org.[/fn] C’est bien la révolution qui continue et le soir même, à 22 h 40, le congrès des soviets commence ses travaux.

    Lénine y fait la déclaration suivante :

    « Camarades, la révolution des ouvriers et des paysans, dont les bolcheviks n’ont cessé de montrer la nécessité, est réalisée. 

    Que signifie cette révolution ouvrière et paysanne ? Avant tout, le sens de cette révolution, c’est que nous aurons un gouvernement des soviets, notre pouvoir à nous, sans la moindre participation de la bourgeoisie. Les masses opprimées créeront elles-mêmes le pouvoir. Le vieil appareil d’État sera radicalement détruit et il sera créé un nouvel appareil de direction dans la personne des organisations des soviets. Une nouvelle étape s’ouvre dans l’histoire de la Russie, et cette troisième révolution russe doit en fin de compte mener à la victoire du socialisme. 

    Une des tâches à notre ordre du jour est la nécessité de mettre immédiatement fin à la guerre. Mais pour mettre fin à cette guerre, étroitement liée au régime capitaliste existant, il est clair pour tous qu’il faut vaincre le capital lui-même. […]

    À l’intérieur de la Russie, une énorme partie de la paysannerie a dit : c’est assez jouer avec les capitalistes, nous marchons avec les ouvriers. Nous gagnerons la confiance des paysans seulement par le décret qui abolira la propriété des propriétaires fonciers. Les paysans comprendront que le salut de la paysannerie ne se trouve que dans l’alliance avec les ouvriers. Nous établirons un véritable contrôle ouvrier sur la production.

    Nous avons appris à travailler en parfaite intelligence. La révolution qui vient de se faire en témoigne. Nous possédons la force d’une organisation de masse qui triomphera de tout et qui conduira le prolétariat à une révolution mondiale.

    Nous devons aujourd’hui nous consacrer en Russie à l’édification d’un État prolétarien socialiste.

    Vive la révolution socialiste mondiale ! »

    À Moscou, le pouvoir restera en suspens 10 jours durant, avec une sanglante guerre de rues contre les cadets et les étudiants, avec au moins 500 morts du côté des révolutionnaires.

    Patrick Le Moal