En 1968, la grève et l’occupation de l’usine Peugeot à Sochaux-Montbéliard ont commencé le 20 mai, quelques jours après celles des usines Renault de Cléon, Flins et Billancourt et alors que la grève générale s’était étendue dans tout le pays.
Autour de l’usine, qui emploie alors 26 000 salariéEs dont 15 000 OS, tout est Peugeot avec un patronat de droit familial qui régente syndicats maison, logements, centres sociaux et le club professionnel de foot. Ce paternalisme historique connaît des fissures sérieuses dans les années 1960 avec l’accroissement très rapide du nombre des ouvriers recrutés parmi les paysans de la région. Dès 1961, une première grande grève a lieu pour obtenir 5 % d’augmentation des salaires, et contre les cadences. En 1965, une grève tournante de près de 9 semaines avait échoué à obtenir une augmentation uniforme de 20 centimes, environ 10 % du salaire horaire.
En mai 1968, l’occupation de l’usine est le fait d’un noyau actif de 200 à 300 salariéEs alors que l’intersyndicale paritaire CGT-CFDT, érigée en comité central de grève, contrôle le mouvement et mène seule les discussions avec la direction de l’usine. Voix ouvrière – qui deviendra LO – y dispose de militants reconnus au plan de l’ensemble de l’usine.
Face aux revendications des grévistes, la direction ne lâche rien et passe à l’offensive en organisant « sa » consultation des salariéEs. Les syndicats y répondent par une autre consultation le samedi 8 juin. Pour la reprise, un écart de 49 voix sur 5 284 votants. Dans ces conditions, pas d’habillage possible de la reprise en victoire.
Dans la nuit de samedi à dimanche, des grévistes ont fait du porte à porte pour préparer la réaction du lundi matin. Le lundi 10 juin, un rassemblement en carrosserie se tient pour discuter du protocole. Un cortège s’organise, et dans les ateliers le bouillonnement s’installe. À 15 h, 10 000 ouvriers de la première et de la seconde équipe votent la grève avec occupation. Et la nuit quelques centaines de grévistes restent dans l’usine pour tenir les piquets.
Décidé directement à Paris par la famille Peugeot et le ministre de l’Intérieur Marcellin, avec l’approbation du Premier ministre Pompidou, l’assaut est donné contre les occupants de l’usine par les CRS le mardi 11 juin à 4 h 30 du matin.
Ouvriers de l’usine non encore en poste et jeunes de la ville accourent aux portes, affrontent les CRS et réussissent à les déloger de l’usine. Les CRS tirent à balles réelles, tuant Pierre Beylot, un ouvrier de 29 ans. Henri Blanchet, atteint par l’explosion d’une grenade, meurt en tombant d’un mur. On compte 150 blessés, certains grièvement. Une bataille rangée entre les ouvriers révoltés et les CRS durera toute la journée, imposant le repli définitif des CRS de l’usine et de la ville à 21 heures.
La grève dure jusqu’au 20 juin. Parmi les conquêtes : 13,6 % d’augmentations de salaire, une diminution progressive de la durée du travail avec compensation totale de 46 h 15 à 45 heures, les heures de grève payées à 80 % en mai et à 25 % en juin, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise. Loin d’être à la mesure des aspirations, ce n’était toutefois pas le retour à la situation d’avant la grève. En témoigneront les années de lutte qui suivront dans l’usine.
50 ans après à Montbéliard, ils étaient 200 à s’être réunis, lundi 11 juin 2018, devant la « portière » où Pierre Beylot a été assassiné. Avec le lycéen Gilles Tautin, noyé dans la Seine à Flins après une charge des CRS, les seuls morts de Mai 68 ont ainsi été tués auprès de deux des plus grandes concentrations ouvrières d’alors.
Jean-Claude Vessillier