Suite de l’article publié la semaine dernière dans l’Anticapitaliste.
Dès le premier jour où il a été question de négociation, la direction des chèques a décidé d’en finir avec l’occupation des locaux. Le 6 ou le 7 juin, les pompiers aidés d’un chef de centre proche du syndicat fasciste, la CFT, viennent expulser « la chienlit » et mettre fin à l’occupation. La photo de la grimpette du chef de centre à l’échelle des pompiers pour ouvrir une fenêtre est restée célèbre parmi les employées des Chèques. Les occupantes ont été dégagées les unes après les autres, l’opération a pris un certain temps.
Durant ce mois de juin, les négociations sont en cours, l’occupation des locaux a pris fin, les trains recommencent à circuler, les grévistes reviennent de province, une assemblée générale va être réunie pour décider de la suite.
Le résultat des négociations est annoncé par la CGT. Il a été obtenu un samedi libre sur deux, un retour sur quatre, ce qui correspond à 4 heures de réduction du temps de travail hebdomadaire, et 200 francs d’augmentation pour touTEs. Ont également été gagnés : les accueils des jeunes arrivantes dans les gares parisiennes ainsi que le droit syndical et des locaux syndicaux à Paris-Chèques.
Quand les filles parties en province entendent ce qui a été acquis, elles votent la reprise à main levée, sans hésiter. Elles n’avaient pas espéré autant. Mais pour celles qui comme moi ont vécu cette grève, même avec les revendications satisfaites, on n’avait pas envie de reprendre le collier.
La CFDT appelle à poursuivre le mouvement, mais nous sommes ultra minoritaires à voter en ce sens.
Ce fut la reprise du travail, la mort dans l’âme, le contact rugueux avec les non-grévistes, le cauchemar des coffres débordant de chèques « en souffrance ».
La manif de la droite, qu’on avait cru un moment disparue, a déferlé sur les Champs-Élysées, ils ont eu peur pour leur « bien », pour leur fric, pour leur ordre et là ils reviennent dans leur quartier pour signifier que ça a assez duré !
Pour celles qui avaient vécu ce moment de parole, d’échanges, de lutte, la vie avait changé de couleur, des possibles avaient été entrevus, la reprise du travail même avec les revendications satisfaites était un crève-cœur. Pourtant, il a fallu frimer devant les anti-grèves et montrer sans états d’âme que c’étaient nous, les grévistes, qui avions gagné.
Heureusement assez vite on a repris le chemin de l’action sur nos thèmes favoris, les horaires, les cadences… Les procès-verbaux destinés à nous faire peur avaient beaucoup perdu de leur effet.
Et ce fut tout l’après-68 avec tout ce qui changeait partout, les femmes qui fêtaient « plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme ! », les immigréEs qui sortaient de l’ombre, y compris chez Citroën où l’extrême droite avait du mal à imposer sa loi, les luttes sur la contraception et l’avortement avec le MLAC, les luttes sur l’homosexualité, les groupes femmes et, « en même temps », comme dirait Macron, des forces qui tentaient de canaliser ces mouvements.
On a résisté tant qu’on a pu mais il y en eut de plus forts que nous, d’abord pour minimiser le mois de mai 1968 dans le monde du travail, ensuite le faire oublier et, pire encore, dans les années 1984-1990, le dénigrer, moquer les « dinosaures » soixante-huitards, enfin tout mettre en œuvre pour tenter d’éteindre cet élan. Mais aujourd’hui nous sommes là, jeunes et plus très jeunes, pour dire que les luttes, ce n’est pas fini, et qu’en 2018 il est des combats à reprendre, d’autres à continuer, d’autres à inventer et qu’enfin notre lutte collective ne cesse jamais.
Gisèle Moulié