À l’été 1914, le nombre de travailleurs est réduit de moitié, puis l’industrie est reconvertie en industrie de guerre grâce à une intervention massive de l’État...
De très grandes usines apparaissent dans la métallurgie et les industries chimiques, où jusqu’alors prédominaient des petites unités. La classe ouvrière se reconstitue, intensément brassée : des centaines de milliers d’ouvriers qualifiés sont retirés du front et affectés à des usines parfois éloignées de leur lieu d’origine. Des femmes entrent nombreuses dans l’industrie, comme des jeunes et une immigration d’origine coloniale.L’Union sacrée se traduit par une brutale régression sociale : amputation des salaires, allongement de la durée de travail, intensification des cadences. Dans un premier temps, le nombre de grèves s’effondre, même si existent des luttes contre la vie chère (par exemple en août 1914 au Havre).
Une brèche s’ouvreÀ partir de la fin 1916, c’est le début d’une vague ascendante de grèves et de luttes dans toute l’Europe qui durera jusqu’aux années 1923, avec des poussées révolutionnaires en Russie, Allemagne, Hongrie, Italie, et de très grandes vagues de grèves en France et en Grande-Bretagne.En France, il y avait 9 000 grévistes en 1915, il y en aura 41 000 en 1916, et 436 000 en 1917 (1). Les ouvrières de l’habillement, puis les « munitionnettes », s’illustrent à la fin de l’année 1916 dans les usines de guerre. Pour tenter de juguler la crise, le ministre socialiste de l’Armement Thomas instaure des salaires minima dans l’armement en janvier 1917. En pure perte : les grèves repartent au printemps 1917, et atteignent un pic au moment où les mutineries sont à leur maximum. Une brèche s’ouvre dans le conformisme social du temps de guerre.Les premières grèves de 1917 sont encore celles des ouvrières de la couture, les midinettes pour la semaine anglaise (pas de travail le samedi après-midi) et des augmentations de salaire. Puis le 28 mai, elles sont rejointes par les « munitionnettes ». Les cortèges deviennent de plus en plus massifs (54 000 grévistes le 30 mai). Apparaissent les « vive la paix ! » et « à bas la guerre ! », des drapeaux rouges. Les revendications intègrent des mots d’ordre pacifistes : « tous les flics sur le front, nos poilus reviendront » ou « les patrons au front, nos poilus reviendront » (2). Les grèves dans la région parisienne sont relayées dans les régions, où la guerre a dispersé les militants parisiens.Ces grèves ont une résonance dans certaines unités mutinées, comme l’illustre cette chanson composée par un soldat : « Allons Mesdames un bon mouvement / Faites donc sauter les munitions / À bas la guerre (bis) / Faites donc sauter les usines / Allez piller les Invalides / À bas la guerre » (3).
Patrick Le Moal
1 – Xavier Vigna, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle2 – Idem, p 723 – Cité par André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, p 170