Publié le Mardi 23 juin 2020 à 10h18.

Les communistes juifs dans la Résistance, entretien avec Maurice Rajsfus

Nous republions une interview de Maurice Rajsfus parue dans l’hebdomadaire de la LCR, Rouge n° 1163 du 7 juin 1985, et mis en ligne sur le site de RaDAR.

Maurice Rajsfus, auteur du livre « Des Juifs dans la collaboration » (Editions EDI), vient de publier « L’An prochain, la révolution » dont le sous-titre est explicite : « Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne 19 30-194 5 » ( Éditions Mazarine, 95 F). Nous l’avons rencontré pour discuter de l’histoire de ces militants.

 

Dans ton livre, tu as mis en lumière le destin tragique des militants juifs communistes.

Ils se sont retrouvés coincés dans une ambiguïté épouvantable. Pour la plupart, ils sont nés aux alentours de 1910, et se sont engagés politiquement au moment où l’étoile stalinienne était à son zénith.

Ils sont devenus staliniens en ayant l’impression de devenir révolutionnaires. Une des activités de la sous-section juive du PC était la chasse aux opposants, dont les trotskystes.

D’après des documents de police, elle aurait été créée en 1927 et fut dissoute dix ans après. Elle, comme la Main-d’œuvre étrangère - devenue par la suite Main-d’œuvre immigrée (MOI) - se donnait pour but l’encadrement et le contrôle par le PC de tous les militants étrangers qui arrivaient de l’Est. C’est un des aspects à démythifier.

Les militants communistes juifs emboîtèrent le pas au chauvinisme du PC en lançant dans leur presse en 1937, aux futurs migrants : « Ici, c’est complet ! » Peu d’entre eux ont rompu à cette époque. L’un des facteurs déterminants fut les procès de Moscou, où les principaux accusés étaient juifs. Bien que Trotsky soit juif, les attaques contre lui n’avaient pas eu le même effet. Quant au pacte germano-soviétique, de vieux communistes juifs en parlent encore comme du « coup de poker génial » de Staline. Mais dans l’ensemble du milieu juif, comme dans les rangs du PC, pour beaucoup ce fut Je désarroi et l’atomisation.

 

De quand peut-on dater les débuts de la Résistance ?

De juillet 1941, après l’attaque d’Hitler contre l’Union soviétique. Cependant, si les communistes juifs ont attendu comme le PC, ils étaient prêts les premiers.

Depuis 1940, on savait ce qui se passait à Varsovie, et avant cela les juifs immigrés avaient connu les persécutions, d’où un réflexe d’auto-défense.

A partir de là, le PC veut se faire pardonner le Pacte. Beaucoup de militants ont été arrêtés lors de sa réapparition au grand jour en août 1940. Beaucoup vont tomber à partir de 1942 dans les actions « pour le communiqué», qui permettaient au PC de se refaire une image.

 

Comment s’est développée sa politique militaire?

Elle est essentiellement le produit de la transformation de nature de l’OS, l’Organisation spéciale. Au départ, il s’agissait d’un service d’ordre, chargé notamment de la protection rapprochée des dirigeants et de l’exécution de « traîtres ». Fin 1941, elle regroupe de nombreux militants de la MOI, pour beaucoup anciens d’Espagne.

C’est au début 1942 qu’elle se transformera en groupes de Francs-tireurs et partisans (FTP).

La saignée sera effroyable pour ces militants courageux, mais disposant de peu de moyens. En 1943, il ne restera plus dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Marseille ou Toulouse que

des groupes FTP-MOI, en majorité composés de juifs immigrés. Il y a eu une politique consciente d’expédier dans les maquis, où les pertes étaient moindres, les militants français plus « présentables » que ces immigrés, parlant mal le français, même s’ils étaient rebaptisés « patriotes ».

 

Le cours chauvin du PC, à ce moment, n’a pas que des explications nationales ?

En juillet 1943, l’Internationale communiste est dissoute. C’est un événement d’importance pour le PC qui cherche à entrer au gouvernement mis en place à Alger. Le PC va peu à peu prendre par ses sous-marins la tête du Front national et suivre un cours ultra-nationaliste. En même temps, il a besoin d’actions spectaculaires.

A l’automne 1943, les groupes de la MOI seront laminés. Il ne restait plus sur Paris que les rescapés des quatre détachements MOI dirigés depuis le mois de septembre par Manouchian. Ces militants, traqués par la police et décimés par la répression, demandèrent l’autorisation de se replier. A. Rayski ne l’obtint pour les dirigeants du groupe juif qu’en juillet 1943. Manouchian ne l’obtiendra pas.

 

Une affirmation tenace du PC veut que le groupe dirigé par Manouchian n’ait été composé que de militants communistes. Qu’en est-il ?

C’est une contre-vérité. A côté de militants communistes se trouvaient des combattants d’une autre sensibilité. L’un d’entre eux, Tarov, ancien officier de l’Armée rouge, avait été trotskyste.

Tomas Elek n’était pas communiste. Il y avait aussi des anarchistes espagnols. Il est établi qu’il y a eu un lâchage politique de ces militants qui se savaient filés et menacés d’une arrestation imminente.

Ils sont tombés au moment où le PC se préparait à entrer au Comité de la France libre d’Alger et était persuadé qu’un débarquement allié était sur le point de se produire sur les côtes du Pas-de-Calais. L’exemple du lâchage s’est reproduit à Toulouse où l’unité de la MOI, la 35e brigade, avait le « tort » de ne pas s’en prendre qu’aux « boches », mais d’abattre aussi des notables français qui collaboraient. Évidemment, cela s’intégrait mal dans la perspective de l’union nationale.

Lorsque l’information d’un coup de filet contre cette unité est parvenue à la direction des FTP, « on » a oublié de prévenir les combattants concernés. Pour l’union nationale, il fallait pouvoir chanter la Marseillaise sans accent. Il faut rappeler le mot d’André Marty en 1945: « Chassez moi tout ces "sky" des directions du Parti. »

 

Arrive la Libération. Que firent les militants rescapés ?

Beaucoup d’entre eux souhaitaient poursuivre le combat politique sur place, mais la direction du PC invita les principaux responsables à aller construire le socialisme dans leurs pays d’origine ... Si cela ne posait pas de problèmes majeurs aux communistes italiens dont le parti s’était replié en France, il n’en allait pas de même pour les juifs des pays de l’Est. Pourtant un certain nombre partiront.

En 1949, quand commencent les premiers procès dans les démocraties populaires, c’est aussi le procès des anciens des Brigades internationales et de la MOI. L’un des exemples les plus connus est celui d’Arthur London, qui l’a raconté dans L’Aveu. II y a une continuité entre le lâchage de l’équipe de Manouchian et les procès des démocraties populaires.

 

Malgré tout cela, ton livre n’est pas désespéré.

Non ! Il faut en tirer une morale sur le stalinisme, pas sur le militantisme des communistes juifs. Je dirai qu’il faut jeter le bébé stalinien avec l’eau du bain !

 

Propos recueillis par Jean Lantier et Jean-Jacques Laredo