Publié le Vendredi 22 janvier 2021 à 09h51.

Réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui

Le 18 mars 1871, éclate à Paris une révolution populaire qui conduit à la mise en place de la Commune. Les communards ont non seulement voulu instaurer une forme de gouvernement réellement démocratique mais mis en chantier toute une série de mesures progressistes concernant la justice, les droits des femmes, ceux des salariéEs, l’éducation…

 

Montant « à l’assaut du ciel » (selon la formule de Marx) pour la « République universelle », ils se préoccupaient des aspects les plus concrets de la condition populaire.

La Commune se heurta à une répression sans merci des Versaillais : aux quelques 20 000 exécutions sommaires d’hommes, de femmes et d’enfants succédèrent des milliers de procès et de condamnations à mort, à la prison et à la déportation. OuvrierEs et petitEs artisanEs constituent la grande majorité des châtiéEs. Un historien anglais note que la répression eut un impact terrible sur la classe ouvrière parisienne : « L’aspect de Paris changea de façon curieuse pendant quelques années. La moitié des peintres en bâtiment, la moitié des plombiers, des couvreurs, des cordonniers et des zingueurs avaient disparu ».

Mais il ne suffisait pas de tuer les communards, il fallait les discréditer. La presse s’y employa. Dans le Moniteur universel, on pouvait ainsi lire : « On traitera les Fédérés comme des brigands qu’ils sont, comme les plus épouvantables monstres qui se soient vus dans l’histoire de l’humanité ». Dans le Figaro du 8 juin 1871, on trouve un article intitulé : « Entreprise générale de balayage parisien » : « Jamais une occasion pareille ne se présentera pour guérir Paris de la gangrène morale qui le ronge depuis 20 ans […] Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et internationale […] Nous devons traquer comme des bêtes féroces ceux qui se cachent ». Quant aux femmes, qui participèrent en nombre à la Commune, les contre-révolutionnaires se déchaînèrent contre elles : « On les traitait de femelles, de louves, de mégères, de soiffardes, de pillardes de buveuses de sang » rappelle l’historien Maurice Dommanget, ceci sans parler des prétendues « pétroleuses1 » inventées par la propagande versaillaise. Et cela continuera : en 1875, lors de la pose de la première pierre de la basilique du Sacré Cœur à Montmartre, là où débuta l’insurrection parisienne, un des orateurs qualifia les communards d’« énergumènes avinés ».

Et la haine de la Commune va au-delà des réactionnaires patentés : la plupart des écrivains de l’époque affichent des positions hostiles, y compris, pour ceux qui seront plus tard des figures emblématiques de combats progressistes, Emile Zola et Anatole France qui dénonce dans la Commune un « gouvernement du crime et de la démence ».

Cette conjonction de la répression, de la dénonciation par la presse aux ordre et par une partie plus ou moins importante des intellectuels se manifestera sous des formes diverses lors des irruptions populaires sur la scène sociale et politique. À chaque fois, c’est la même rengaine, ceux qui luttent ne sont que des fauteurs de désordre.

En 1936, les politiciens de droite et certains journaux dénoncent les « gréviculteurs ». En 1968, De Gaulle vilipende la « chienlit ». Plus récemment, lors des grèves de 1995 contre le plan Juppé de démantèlement de la Sécurité sociale, dans le Figaro, Franz-Olivier Giesbert dénonçait le 1er décembre « les corporatismes et les archaïsmes qui ankylosent le pays » et le 11 décembre, Daniel Cohn-Bendit opposait le « mouvement de modernisation de 1968 » au mouvement conservateur de 1995, résumé par le slogan « touchez pas à nos acquis ». Après trois semaines de grève des cheminots, des sociologues reconnus et « de gauche » (Alain Touraine, Michel Wieviorka, Pascal Perrineau…) refusaient d’appeler « mouvement social » un conflit qu’ils estimaient apolitique, populiste, égoïste voire poujadiste et soutiennent en fait Juppé et la direction de la CFDT qui a trahi le mouvement. À chaque mouvement de lutte sur les retraites, et dernièrement en décembre 2019 dans les transports, le thème de la dénonciation des prétendus « privilégiés » refleurit.

Et cela s’est à nouveau manifesté avec les Gilets jaunes sur lesquels les pires calomnies ont été déversées par des journalistes et des intellectuels divers. « Cette collusion jaune-rouge-brun menace la démocratie » clamait Romain Goupil dans Le Monde, en se drapant dans son passé devenu comme Cohn-Bendit un supporter de Macron. Tous, bien sûr, se refusaient à condamner la répression policière.

Pour ces gens-là, la Commune est bien morte… mais ce n’est pas le cas pour le préfet de police Lallement, l’homme du cassage sans aucun scrupule des manifestations, qui n’hésite pas à évoquer devant des journalistes le général de Gallifet, un des pires massacreurs de communards. Quant à Emmanuel Macron, il a affirmé en mai 2018 : « Versailles, c’est là où la République s’était retranchée quand elle était menacée2. ». Les plus conscients des sbires du capital ont la mémoire de leur histoire. Il nous appartient de ne pas laisser notre histoire dans l’oubli.