«Le Brésil, faites un effort pendant un mois, calmez-vous ! Si les Brésiliens peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil et pour la planète football, quoi ». A cette infecte leçon de morale du président de l’UEFA, Michel Platini, et aux leçons de patriotisme d’un autre multimillionnaire du foot, Pelé, le peuple brésilien répond par un gigantesque bras d’honneur.
Le 15 mai 2014, un an après les manifestations massives de juin 2013, et à quatre semaines du début de la Coupe du monde, des professeurs, des chauffeurs de bus, des agents du métro, des métallos, des chômeurs, des étudiants, des dizaines de milliers de Brésiliens ont manifesté « contre la Coupe de merde ». A Belém, le bâtiment où était exposé le trophée de la Coupe du monde a été caillassé par des centaines de manifestants. La tournée de la sainte relique à travers le pays a été suspendue provisoirement.
Puis, le 22 mai, après une journée de grève… des policiers pour les salaires, Sao Paulo a été secouée par une grande manifestation du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), à laquelle s’est ralliée une multitude de mouvements sociaux, comme par exemple le « mouvement pour les transports libres » (gratuits) et les « comités populaires de la Coupe ». Tous ensemble pour scander : « Copa sem povo : tô na rua de novo » (Coupe du monde sans le peuple, me voilà de nouveau dans la rue) et « Fifa Go Home ! Copa para quem ? Não vai ter copa ! » (Fifa, rentre chez toi ! Pour qui est cette Coupe du monde ? La Coupe du monde n’aura pas lieu). Un dirigeant du MTST déclarait au début de la manifestation : « Nous sommes ici contre la Coupe. Contre les dépenses énormes en faveur du Mondial, alors que nous n’avons ni logement, ni santé, ni rien ».
Au Brésil, la croissance qui ne profitait guère qu’aux plus riches est en berne, le chômage monte, les transports sont lamentables et leurs tarifs s’emballent, l’éducation et la santé sont complètement déficientes. Mais pour construire douze stades et toute sorte d’infrastructures destinées au Mondial, l’Etat a dépensé plus de dix milliards d’euros. Par rapport aux prévisions initiales, la facture a doublé puis triplé. Personne n’est dupe : les industriels du BTP et les politiciens s’en sont mis plein les poches, en attendant que la FIFA elle-même empoche deux ou trois milliards de bénéfices.
Après une tournée de la FIFA, au cours de laquelle son représentant a exhorté les autorités à « se donner des coups de pied aux fesses », les travaux se sont accéléré. Et huit ouvriers sont morts, un par mois, écrasé par un bloc de béton, tombé d’un échafaudage, électrocuté. La spéculation effrénée autour du Mondial a provoqué l’expulsion de 250 000 personnes, contre une indemnité souvent dérisoire, et une flambée des prix de l’immobilier qui empêche tout relogement. A Sao Paulo, 4 000 familles organisées par le MTST vivent dans un vaste campement de tentes rebaptisé « Coupe du peuple ». Elles ont été contraintes de quitter leur quartier en raison de la hausse des loyers provoquée par la construction du nouveau stade de la ville. Comme 99 % des Brésiliens, elles ne pourront même pas se « consoler » en y allant voir jouer les plus grandes équipes : le prix du billet est évidemment inaccessible.
Alors n’en déplaise à Platini, beaucoup de Brésiliens sont bien décidés à se mobiliser dans le mois qui vient. La Coupe du monde fait se rencontrer le monde entier, comme nous le disent les pubs de la FIFA ? Cette fois, elle pourrait bien unifier toutes les révoltes du peuple brésilien.
C’est ce que nous dit cette peinture réalisée sur une école de Sao Paulo par l’artiste de rue Paulo Ito : le peuple brésilien n’accepte plus de n’avoir qu’un ballon dans l’assiette.
Yann Cézard