Publié le Mardi 8 octobre 2013 à 14h09.

Egypte : la révolution n’est pas terminée

Le 22 août, Hosni Moubarak a été mis en libération conditionnelle. A ce jour, sa condamnation à vie pour complicité dans les meurtres de 850 manifestants lors de l’acte I de la révolution égyptienne, en janvier 2011, n’a pas été formellement mise en cause. Mais cette décision donne une indication sur le résultat de la procédure judiciaire, plus largement sur le sens des événements en train de se produire en Egypte.

En instaurant un climat de terreur, les militaires font tout ce qu’ils peuvent pour créer les conditions qui leur permettraient d’en finir avec la révolution. Leur intervention concomitante pour briser la grève des ouvriers de l’acier à Suez montre si besoin est qu’après les Frères musulmans, c’est bien la population pauvre, la classe ouvrière et ses organisations qui sont visées. 

Le ralliement au nouveau pouvoir de la presque totalité des partis politiques – salafistes, libéraux, nassériens et autres formations de la gauche réformiste –, à l’exception notable de l’extrême gauche et de quelques secteurs du mouvement syndical, facilite évidemment la tâche des militaires. Ce sont ces partis qui ont tenté de transformer l’immense mouvement de révolte populaire ayant culminé dans la manifestation du 30 juin en un mouvement de soutien au général Al-Sissi. Non sans un certain succès, en confortant l’illusion que le « peuple » pourrait donner une sorte de « mandat » aux militaires pour en finir avec la violence des Frères musulmans avant de rentrer gentiment dans leurs casernes et de laisser la révolution continuer.

Mais jusqu’à quel point cette illusion est-elle partagée, et pour combien de temps ?

Toute l’ambiguïté de la situation tient à ce décalage considérable entre une crise économique qui continue à alimenter en profondeur le processus révolutionnaire, une agitation sociale sans précédent, la volonté intacte de la population de continuer à se battre pour en finir avec la misère et la dictature, et la très grande difficulté à traduire sur le plan politique ses espoirs et son combat. Les pauvres d’Egypte sont encore condamnés pour toute une période, sans doute assez longue, à tâtonner et à apprendre à leurs dépens en mettant à l’épreuve toute sorte de faux amis avant de trouver la voie d’une véritable politique de classe indépendante.

Les militaires rêvent d’en finir avec ce processus, mais rien n’est acquis. Ce ne sont pas les seuls d’ailleurs qui en ont rêvé. N’oublions pas que les Frères musulmans aujourd’hui victimes de la répression ont tout fait pour étouffer la révolution, réprimant violemment les divers mouvements de contestation auxquels ils ont dû faire face, jusqu’à menacer par la voix de Morsi d’« écraser » la révolte qui l’a finalement emporté.

La classe dominante est loin d’être unifiée. Les Frères musulmans représentaient pour elle une assez bonne solution, soutenue par Washington et le FMI. Aujourd’hui les généraux, qui font directement partie de cette classe dominante, en contrôlant peut-être le quart du PIB égyptien, hésitent à se maintenir en première ligne : déjà violemment contestés en décembre 2011, ils savent que les illusions peuvent vite se retourner contre eux. Mais quelle force politique est capable aujourd’hui de donner le change ? Et que peut faire l’impérialisme US, manifestement à la peine et confronté aux ambitions divergentes de l’Arabie Saoudite et du Qatar ?

L’armée aimerait peut-être transformer la situation actuelle en scénario à l’algérienne. Elle a laissé délibérément les Frères musulmans s’attaquer aux coptes pour mieux prendre en tenaille la population. Mais l’Egypte n’est pas non plus l’Algérie. C’est un mouvement de masse qui a conduit au renversement de Morsi et il n’a pas dit son dernier mot. o

 

 Jean-François Cabral

Voir également, en pages Actualité, l’analyse et les positions de l’organisation des Socialistes révolutionnaires d’Egypte.