Publié le Mercredi 5 février 2020 à 13h06.

États-Unis : faire face à Trump et à l’impérialisme

Nous sommes au début du processus qui va déboucher sur l’élection présidentielle américaine de novembre prochain. Au sein du parti républicain, les jeux sont faits : ce sera Trump. Les primaires démocrates vont commencer et opposent une large palette de candidats, du milliardaire Michael Bloomberg qui fut maire républicain de New York à Bernie Sanders qui se réclame du « socialisme ». Trump sera un adversaire coriace.

Dès son investiture, Donald Trump a commencé à se battre pour sa réélection, et ses chances sont certaines. Pourtant, lors de son élection en 2016, beaucoup s’interrogeaient : comment un tel individu a-t-il réussi à devenir président des États-Unis ? Quel est le projet de cet homme virevoltant qui s’exprime à coups de tweets ? Depuis le tohu-bohu n’a pas cessé avec une valse incessante des ministres et des conseillers tandis que les États alliés des États-Unis découvrent au jour le jour les initiatives de leur chef de file. On peut toutefois observer une chose : les grands patrons qui, au début du mandat, faisaient preuve d’états d’âme sur telle ou telle décision (hausse des droits de douanes renchérissant les produits importés ou mesures contre les immigrés les privant d’une main-d’œuvre nécessaire par ses compétences ou sa précarité), se taisent désormais. Plus encore : un des gourous de Wall Street, le financier Steve Eisman le déclare franchement : « Un nouveau mandat pour Trump serait très bien vu par les marchés ».

« Un nouveau mandat pour Trump serait très bien vu par les marchés »

Globalement, au-delà des aléas parlementaires et de l’instabilité de son entourage, Trump a réussi à largement démanteler l’Obamacare, la réforme très insuffisante du système de santé mise en place par Obama, et fait perdre leur couverture santé à 13 millions d’Américains. Trump a remis en cause les réglementations environnementales, suspendu l’application de l’accord de Paris sur le climat et est en train d’engager la procédure pour en sortir définitivement. Les (faibles) restrictions mises aux agissements spéculatifs des banques ont été assouplies. Une réforme fiscale extrêmement favorable aux hauts revenus et aux entreprises a été adoptée. Les cours boursiers explosent. Pendant ce temps, les inégalités continuent d’augmenter. Trump se félicite d’un chômage faible (inférieur à 4 %) mais derrière ce chiffre il y aussi des personnes découragées qui se retirent de l’activité, des marginaux également hors de la population active et un nombre extrêmement élevé d’emprisonnés (en premier lieu d’Afro-américains, qui ont une probabilité d’être emprisonnés six fois supérieure à celle des Blancs).

La croissance est limitée mais la récession et la crise financière prévue par beaucoup d’économistes (et dont l’irrationalité des cours boursiers au regard des résultats des entreprises est un signe annonciateur) ne sont pas encore arrivées. Ce qui permet à Trump de plastronner et de vanter un mode de gouvernement en fait 100 % pro-business mais avec un discours et des actions qui malmènent ce qui a été l’orthodoxie économique depuis environ quatre décennies : il relativise les préoccupations d’équilibre budgétaire (baisse des impôts des riches et hausse des dépenses militaires), il méprise l’indépendance de la banque centrale et n’hésite pas à l’admonester publiquement pour l’inciter à baisser encore les taux d’intérêt, enfin, il remet en cause le discours sur les bienfaits du libre-échange et du multilatéralisme commercial.

Trump se pose en « ami du peuple ». Aux États-Unis (et ailleurs), le néo-libéralisme est discrédité auprès de larges secteurs de la population. Dans ce contexte, explique Daniel Tanuro dans son ouvrage sur Trump (Le moment Trump. Une nouvelle phase du capitalisme mondial, Demopolis, 2018), se manifestent à la fois la recherche confuse d’une alternative à gauche et l’attirance pour une « révolte réactionnaire ». Trump est le produit de cette situation dans le contexte américain, instrumentalisant cette révolte réactionnaire au service d’« un projet de capitalisme sauvage, brutal et très autoritaire ». Pour renforcer son assise politique, il a cherché à se concilier des fractions du syndicalisme américain ; c’est une des fonctions de sa dénonciation, au nom de l’emploi, des règlementations environnementales et de la concurrence étrangère.

Trump n’hésite pas également à faire appel aux sentiments racistes visant les Afro-américains, les Musulmans et, avec plus de prudence, les Latinos et les Juifs. Son retour permanent sur la nécessité de construire un mur anti-immigrés à la frontière avec le Mexique relève du même registre. Sa reprise du discours réactionnaire sur l’avortement va dans le même sens : il est le premier président en exercice à avoir participé à la marche annuelle contre l’avortement, le 24 janvier dernier.

Trump se vante de préserver, voire de faire revenir les emplois aux États-Unis mais cette prétention se heurte aux réalités du capitalisme mondialisé qui sait lui imposer ses exigences. Tim Cook, le patron d’Apple, ex-fan d’Hillary Clinton, a ainsi réussi à gagner la grâce d’un président qui, fin juillet 2019, martelait qu’Apple ne bénéficierait pas de traitement de faveur dans la guerre commerciale avec Pékin : il a obtenu des exemptions douanières sur plusieurs composants importés de Chine. Trump a engagé une guerre commerciale avec la Chine dans laquelle un armistice vient d’être signé à la mi-janvier avec un accord commercial transitoire. Cet affrontement ajoute aux incertitudes pesant sur l’économie mondiale mais ce n’est pas, pour l’instant, la préoccupation principale de Trump. Agiter le péril chinois est un bon argument électoral mais, surtout, la présidence Trump correspond à une nouvelle phase de ce capitalisme mondial que les États-Unis ont dominé politiquement et économiquement de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début du millénaire. Aujourd’hui, les États-Unis demeurent bien la seule puissance capable d’intervenir militairement partout dans le monde et ils jouissent encore d’une avance technologique par rapport à tous leurs concurrents tandis que demeure la centralité monétaire du dollar. Mais le monde a commencé à basculer et s’élève une future nouvelle superpuissance : la Chine.

L’impérialisme de Trump 

Il s’agit pour Trump de ralentir la montée de la Chine. Sur le plan économique avec des droits de douane et sur le plan technologique en barrant la route à des entreprises comme Huawei, en freinant les transferts des technologies américaines vers la Chine, et en obtenant la fin des subventions aux entreprises d’État... Il n’y a pas que le terrain économique, les États-Unis montrent aussi leurs muscles en mer de Chine méridionale où l’US Navy conduit régulièrement des opérations baptisées « liberté de navigation » afin de répliquer à Pékin qui y revendique la quasi-totalité des îles et récifs face aux autres États riverains.

Trump a considérablement augmenté le budget militaire américain (voté au Congrès avec le soutien de beaucoup d’élus démocrates) Avec le haut état-major américain, a été mise en chantier une doctrine militaire qui banalise le nucléaire. En août 2019, les États-Unis ont dénoncé le traité de désarmement nucléaire INF sur les missiles à portée intermédiaire (au motif, selon eux, que la Russie ne le respectait pas). Une nouvelle course aux armes nucléaires est donc engagée. En fait, selon les spécialistes, les États-Unis espèrent profiter de la fin de ce traité pour moderniser son arsenal pour contrer la montée en puissance de la Chine, qui cherche à affirmer sa suprématie militaire en Asie.

Comme l’écrit le chercheur en géopolitique Pascal Boniface, « Pour D. Trump, les États-Unis doivent diriger le monde. Ils n’ont ni alliés ni amis, ils n’ont que des vassaux. Kim Jong-un est mieux traité qu’Angela Merkel […] pour satisfaire les besoins de sa diplomatie » et faire croire qu’il a remporté un succès1. En Amérique du Sud, les États-Unis soutiennent les tentatives de renversement (Venezuela) ou les renversements effectifs (Bolivie) de régimes qui contreviennent à leurs intérêts, et Trump est revenu sur l’accord de 2014 signé par Obama avec Cuba. Dans le même temps, le traité nucléaire avec l’Iran est dénoncé unilatéralement, contre l’avis de ses alliés, et les menaces de sanctions contre toutes les entreprises qui continueraient à commercer en Iran les poussent à se retirer de ce marché. Et toutes les initiatives israéliennes sont soutenues, les États-Unis transférant même leur ambassade à Jérusalem. Bref, Trump est ouvertement brutal. Cette brutalité vise aussi les États européens qu’il menace d’un relèvement des droits de douane si un nouvel accord commercial n’est pas rapidement conclu et les admoneste pour des dépenses militaires « insuffisantes ». Il est allé jusqu’à se mêler des affaires internes de l’Union européenne en soutenant avec force le Brexit de son « ami » Boris Johnson.

Les apparences en comparaison plus feutrées des présidences démocrates de Bill Clinton ou d’Obama, dissimulaient mieux une politique qui était elle aussi impérialiste et férocement capitaliste. Et les mandats de Bush, avec l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, ont été dans les faits bien plus violents que celui de Trump – jusqu’à aujourd’hui. Par-delà l’individu Trump, la brutalité du style révèle en fait une logique plus profonde : la réaction de l’impérialisme états-unien à son propre affaiblissement. Alors que ses entreprises militaires se sont avérées désastreuses à tous les points de vue, que ses ennemis (l’Iran et la Russie) l’emportent stratégiquement au Moyen-Orient ou en Libye, et que sa domination économique est menacée par la Chine, le style autoritaire de Trump est un moyen pour la puissance états-unienne de se réaffirmer.

Daniel Tanuro résumait ainsi cette logique : « Avec son équipe de milliardaires bigots et de généraux galonnés, le nouveau locataire de la Maison Blanche s’est mis en tête de gérer les États-Unis à la baguette, comme une grande entreprise. […] Trump a un projet, qui consiste pour ainsi dire à restructurer radicalement la multinationale USA Inc. Il sait que le groupe est encore dominant mais en danger de perdre sa position de leader mondial. […] Que fait un patron qui arrive à la tête d’une entreprise dans une telle situation ? Il donne rapidement quelques signes clairs de sa détermination, se défait des activités qui ne sont pas (assez) rentables, sème la peur, licencie du personnel (femmes et immigrés en premier), recentre le groupe sur son core business, augmente les cadences de travail, remonte les bretelles de ses directeurs de succursales (c’est bien ainsi que Trump a traité le Président du Mexique et le Premier ministre australien !) et établit de nouvelles alliances stratégiques pour préparer l’affrontement avec ses ennemis principaux2 ».

  • 1. Pascal Boniface, « Trump, un impérialisme débridé », « Les possibles », revue du Conseil scientifique d’ATTAC, n°20, printemps, 2019.
  • 2. « La place du trumpisme dans l’histoire », Contretemps.eu