Entretien. Dirigeant de DEA (Gauche ouvrière internationaliste, composante de Syriza), Antonis Ntavanellos est membre de la direction de Syriza. Au lendemain de la victoire du Non, il nous livre ses analyses sur la situation ouverte en Grèce.
Quelle est la situation après cette grande victoire du Non ?
Il faut d’abord revenir sur la bataille du référendum : une confrontation entre les classes. Du côté du Oui, d’abord la bourgeoisie, ensuite les classes moyennes supérieures qui ont encore de l’argent dans les banques. Du côté du Non, les travailleurs, les pauvres, ceux qui ont perdu leur emploi. Dans la coalition du Oui, il y avait tous ceux qui ont dirigé la Grèce depuis des décennies : les grands capitalistes, les ex-Premiers ministres, l’ex-roi de Grèce, la droite, le Pasok, ainsi que les sociaux-libéraux de To Potami.
Les résultats du vote ont confirmé cette polarisation : le vote Non a été le plus fort dans les quartiers populaires. Un point important : le Non a été majoritaire, non seulement au niveau national mais dans toutes les régions de Grèce.
Le centre politique du Non a été Syriza. Mais un nouveau cadre politique commence à se dégager. Le sectarisme a été surmonté, et Antarsya a non seulement pris position clairement pour le Non, mais a fait campagne dans la rue, dans les quartiers, dans les régions. De nouvelles relations sont en train de se créer entre la gauche de Syriza et Antarsya. C’est une bonne nouvelle, et pas seulement pour nous, DEA, et avec la Plateforme de gauche nous allons réfléchir aux moyens de consolider cette unité. Quant au KKE, il a fait une campagne abstentionniste sur « Non au Oui et Non au Non », mais la direction n’a pas été suivie par bon nombre de militants et de cadres dans les entreprises et les quartiers : de vraies différenciations commencent à apparaître.
Peux-tu nous expliquer pourquoi la Confédération des syndicats du secteur privé a pris position pour le Oui ?
Cette confédération est dirigée par le Pasok en alliance avec la droite. Ce sont des bureaucrates qui s’accrochent à leurs postes de manière totalement anti-démocratique. Il y a un grand énervement à la base sur ce sujet. Ils vont payer pour ça.
Aube dorée, les néo-nazis, avait pris position pour le Non ?
Officiellement Aube dorée soutenait le Non. Mais en réalité, durant la campagne, ils n’ont pas eu d’activité en ce sens. À la lecture de leur presse, on ne pouvait pas savoir clairement s’ils étaient pour le Oui ou le Non. Ils ont surtout mené une propagande contre les « bolcheviks » du gouvernement, et ont fait des appels du pied un peu déguisés à l’armée qui un jour devra agir pour garantir la continuité de l’État grec et de ses intérêts... Aujourd’hui Aube dorée attend la suite des événements.
Après la victoire du Non, comment expliquer la réunion d’union nationale tenue par Tsipras hier (lundi 6 juillet) avec les dirigeants des principaux partis du Oui pour un appel commun ?
Il faut comprendre les contradictions de Syriza. Ce n’est pas un parti de l’austérité, et il a donc été impossible pour Tsipras d’accepter les propositions des créanciers. En même temps, dans Syriza, il y a des différences politiques et stratégiques très importantes. La ligne politique de la majorité de la majorité est de trouver un compromis « réaliste », mais ils sont maintenant dans une situation très difficile pour deux raisons. D’abord, je crois que l’Union européenne va adopter une position très dure et ne pas leur laisser de marges pour négocier. De plus, la base sociale de Syriza et de la gauche grecque est plus mobilisée qu’avant le référendum.
Il faut aussi comprendre qu’il y a une grande confusion, une désespérance devant la situation économique, d’abord au vu de la situation des banques qui peuvent ne plus fonctionner dans quelques jours. La majorité de Syriza est donc face à des décisions très difficiles.
La recherche de l’union nationale ne donnera sans doute rien. Mais de toute façon, il faut arrêter ça, et on va se battre, c’est le moment. Personne au sein de la Plateforme de gauche de Syriza ne soutient le document sorti de cette réunion de présidents des partis avec le président de la République grecque. Dans la situation actuelle, il ne suffit pas d’expliquer, il faut militer contre cette ligne politique car ce serait comme si le référendum n’avait pas eu lieu.
Tsipras va déposer des propositions à Bruxelles ?
Au moment où nous parlons, on ne les connaît pas exactement. Les dirigeants européens ont de toute façon une position très dure. S’il n’y a pas d’accord complet, certains parlent d’un accord intérimaire : la Grèce recevrait les crédits nécessaires pour payer la BCE, il y aurait de nouvelles mesures d’austérité, et la perspective d’une renégociation de la dette serait évoquée. C’est possible mais si c’était le cas, il y aurait des difficultés importantes pour la direction de Syriza. De nouvelles étapes sont devant nous.
Est-ce qu’il existe un plan B en cas d’échec des négociations ?
Officiellement non. La position officielle de la direction de Syriza est de trouver une solution « en Europe ». Mais après le référendum, la discussion sur les perspectives alternatives est devenue plus ouverte dans la société. Il y a partout des camarades qui discutent de ce qu’il faut faire s’il n’y a pas d’accord avec les créditeurs, d’accord acceptable, et ça, c’est nouveau.
Il commence à y avoir de larges discussions sur la nécessité de changer les dirigeants de la Banque centrale de Grèce et sur la nationalisation des banques. Il faudrait aller très vite vers un contrôle des mouvements de capitaux et des mesures de protection de la population. S’il n’y a pas d’accord à Bruxelles, la question du contrôle des banques va devenir rapidement brûlante.
Un dernier point que tu voudrais souligner ?
Je voudrais revenir sur la question de la solidarité internationale. Elle nous a beaucoup aidés pendant la campagne du référendum. Partout des gens, y compris des travailleurs, discutaient de ce qui se passe en Espagne, en Irlande, au Portugal, etc. Et ça continue d’être essentiel, car la population comprend que si nous restons seuls, nous serons vaincus. Tout le monde ici discute de l’Espagne. Il faut renforcer la solidarité internationale.
Propos recueillis par Henri Wilno le mardi 7 juillet au matin