La grève chez General Motors a été aux États-Unis la plus longue grève totale chez l’un des trois grands constructeurs automobiles depuis cinquante ans. Alors qu’une prévisible récession de l’industrie automobile mondiale est déjà entamée et que les États-Unis sont plongés dans une crise politique, cette grève met, au sein du pays capitaliste le plus puissant du monde, l’activité revendicative de la classe ouvrière au premier plan.
Cette grève est une conséquence différée de la grande récession de 2008 -2009 dont les travailleurs de l’automobile ont été les premières victimes. La production y avait alors diminué de moitié passant de plus de 11 millions de véhicules en 2006 à 5,7 millions en 2009. Du jamais vu depuis la crise de 1929. En échange d’un prêt de sauvetage de 51 milliards de dollars octroyé à General Motors en faillite, l’administration Obama était devenue au sens strict, propriétaire de la firme automobile, possédant directement 60 % de son capital. La seule exigence fixée à la direction de l’entreprise, restée largement inchangée, fut de restaurer les profits. Pour ce faire, la recette classique du capitalisme a été utilisée, la destruction du capital immobilisé dans les moyens de production : quatorze usines ont été fermées.
Mobilisation autour d’une grève
General Motors sauvé ainsi par des fonds publics, a ensuite renoué avec les profits, 12 milliards de dollars de bénéfices en 2018, les dividendes et la consommation somptuaire des hauts dirigeants. Et pendant ce temps, l’UAW, l’Union des travailleurs de l’automobile, seul syndicat reconnu par les trois « grands » constructeurs automobiles, a accompagné les sacrifices demandés au travailleurs/ses, entérinant le blocage des salaires, une précarisation croissante du travail, et la prolongation du système de salaires à deux niveaux, où les embauchés après 2007 gagnent moitié moins que les plus anciens Ces renoncements étaient censés préparer des lendemains plus heureux pour les salariés. Et chez GM, le nombre des emplois régis par un contrat de travail UAW est passé de 470 000 à 50 000 aujourd'hui ! L’annonce en décembre 2018 de la suppression de 15 000 emplois et de la fermeture de plusieurs usines dont trois sur le territoire des États-Unis a prouvé une nouvelle fois que les sacrifices imposés aux travailleurs n’avaient servi qu’à augmenter les profits. La grève chez General Motors a commencé le 15 septembre 2019, le jour de l’expiration du précédent contrat de travail négocié par l’UAW quatre ans auparavant. La règle veut en effet que dans l’automobile les négociations s’engagent avec seulement l’un des trois grands constructeurs afin d’obtenir un accord devant s’appliquer aux deux autres. Il y a quatre ans ce fut Chrysler, aujourd’hui c’est avec General Motors, la firme contre laquelle les griefs étaient les plus importants après les fermetures d’usines annoncées en décembre 2018
Cette grève a donc été déclenchée dans le cadre d’une négociation institutionnelle bien formatée par un syndicat l’UAW dont l’histoire remonte aux moments intenses de lutte des classes des années 1930, mais qui est devenu une « machine » dont plusieurs membres importants de la direction sont aujourd’hui impliqués dans des affaires de corruption. Du point de vue d’en bas, c’est tout autre chose : une grève de plus d’un mois de près de cinquante mille salariés tenant des piquets de grève, vers lesquels sont venus plusieurs des candidats du parti démocrate dont Bernie Sanders, recevant un soutien de nombreux associations et syndicats, encouragés par voisins et familles, et vivant avec l’allocation de 250 dollars par semaine(devenue 275 dollars après quelques semaines) fournie par l’UAW, au maximum la moitié de la paie habituelle chez GM : tout cela ne peut que modifier la conscience de milliers de travailleurs/ses aux prises avec un patron qui ne veut rien céder.
« C’est le moment de reprendre ce qu’ils nous ont pris ! » : voilà ce qui s’entend sur les piquets de grève. Il s’agit pour les grévistes de réussir à inverser le cours de la politique suivie par General Motors depuis ces dernières années. Au blocage général des salaires s’ajoute la division entre les plus ancienNEs, les nouveaux/elles embauchéEs, les temporaires et les sous-traitants, tous travaillant dans les mêmes ateliers avec des salaires, des droits à la retraite et aux congés, des assurances santé tous différents. C’est un mouvement contre la précarisation des emplois et pour l’égalité entre touTEs les salariéEs. L’UAW a finalement signé un accord ainsi caractérisé par un regroupement de syndicalistes UAW d’opposition, la Caravane des Travailleurs de l’Automobile : « les inégalités continuent et les concessions demeurent ». La grève s’est prolongée jusqu’au 25 octobre 2019, lorsque l’accord a finalement été ratifié par le vote d’une majorité relative de 57 % des 40 790 votants sur un total de 48 000 travailleurs/ses concernéEs.
De plus, alors que qu’un accord signé avec l’un des trois grands constructeurs est appliqué dans ses grandes lignes chez les deux autres, il n’est pas sûr que dans la situation actuelle les travailleurs de Ford et Fiat-Chrysler acceptent les accords qui leur seront proposés. Les mobilisations engagées le 15 septembre ne sont pas closes !
Une forme de « ruée vers le Sud »
Phénomène bien connu dans toute l’industrie automobile mondialisée, le rôle des équipementiers et des sous-traitants augmente alors que les échanges se multiplient entre lieux de production sous les contraintes despotiques du « juste à temps ». Aux États-Unis comme en Europe les constructeurs automobiles proprement dits ne fabriquent plus qu’aux environs de 20 % de la valeur de l’automobile sortie de chaîne. La part des salaires ne représente que 5 % du coût total de fabrication d’un véhicule chez un constructeur automobile. La délocalisation de la production d’automobiles depuis la région de Détroit et des grands lacs a commencé depuis déjà plusieurs années. Elle a d’abord été le fait des firmes japonaises et européennes qui construisent de nouvelles usines automobiles dans les États du Sud des États-Unis, là où ne s’appliquent pas le droit syndical et les dispositions négociées par l’UAW dans les zones « historiques ». Ainsi, l’UAW se voit interdire le droit d’y implanter des sections syndicales avec des batailles qui durent depuis plusieurs années autour de l’usine Nissan de Canton dans l’État du Mississippi et celle Volkswagen de Chattanooga dans l’État du Tennessee. Des votes organisés par les directions d’usine ont, dans les deux cas, confirmé la non-reconnaissance du syndicat de l’UAW, c’est à dire son interdiction de fait.
Le Sud ne s’arrête pas au Rio Grande. La création en 2014 de la zone de libre échange l’ALENA entre les États-Unis, le Canada et le Mexique a permis de commencer à mettre en place un espace intégré de production automobile à l’échelle de l’Amérique du Nord. C’est le même phénomène qu’en Europe où les différents pays de l’Europe centrale et de l’Est, ainsi que ceux du pourtour méditerranéen, ont été intégrés à un espace de production aux usines interchangeables et soumises à une féroce concurrence interne. La différence est que la géographie de l’Europe permet des implantations dans de nombreux de pays alors que la seule base extérieure à bas salaires contiguë aux États-Unis est le Mexique.
Il est devenu en quelques années l’un des grands producteurs mondiaux 4 100 000 véhicules fabriqués en 2018, le double de la production française à titre de comparaison. Et plus des trois quarts de cette production est exportée, dont 2,7 millions vers les États-Unis. Mais les flux sont inverses en ce qui concerne les pièces : les importations en provenance des États-Unis représentent en valeur plus de la moitié de la production au Mexique. La mise au chômage technique de 6 000 ouvriers d’une usine de General Motors faute d’approvisionnements suite à la grève est la preuve pratique de l’importance de ces échanges. Devant cette intégration progressive à un même espace de production, les discours de Trump ont été jusqu’à présent de peu d’effets, les firmes nord-américaines ayant continué à investir au Mexique comme avant son élection.
Vouloir transformer la longue grève des travailleurs de GM en une grève contre le Mexique, c’est à dire contre les travailleurs mexicains fait partie de la panoplie des fake news de Trump. Ce n’est pas parce que le correspondant du Monde aux États-Unis s’en fait le colporteur qu’elle devient réalité. Toutes les images des piquets de grève, diffusées partout dans le monde, montrent le slogan « UAW on strike » ou bien des revendications portant sur les salaires et l’assurance maladie.
Des bagnoles américaines peu exportables
General Motors, au moment des guerres commerciales de Trump, est bien sûr partie prenante de la mondialisation de la filière. GM a vendu en 2018 plus de voitures en Chine qu’aux États-Unis, 3 600 000 voitures contre 3 000 000. Grâce aux alliances nouées avec ses entreprises chinoises associées, GM a transféré en 2018 plus de 2 milliards de dollars de profit. Le déficit commercial des États-Unis avec le reste du monde pour le secteur automobile n’est en rien causé par cette activité. Il est colossal : en 2017, 169 milliards de dollars contre un solde positif de 150 milliards de dollars pour l’Union européenne et de 127 milliards de dollars pour le Japon. Ce déficit, une constante depuis des décennies mais accentué aujourd’hui, est principalement du à la faiblesse des exportations vers le reste du monde. La production des États-Unis n’est exportée qu’à hauteur de 13 % contre des proportions de 33 % pour l’union Européenne et de 50 % pour le Japon.Le motif principal : depuis toujours les bagnoles américaines made in USA sont peu vendables ailleurs. L’exploitation récente du pétrole et du gaz de schiste a encore aggravé le phénomène avec la mode des mastodontes SUV, ogres en consommation d’essence et encore moins exportables. Pour une firme multinationale, l’important est la consolidation de ses profits d’où qu’ils viennent dans le monde. Pour l’appareil d’État d’un pays capitaliste, le suivi des comptes de son commerce extérieur entre importations et exportations est nécessaire. C’est là une vraie contradiction entre firmes mondialisées et appareils d’État, fût-il celui de la première puissance du monde.
La mondialisation de l’économie capitaliste est un processus, pas un état du monde achevé et stabilisé. Le départ de General Motors d’Europe, suite à la vente des filiales Opel Vauxhall à PSA, et le repli de Ford après avoir fermé l’usine de Blanquefort témoignent de ces mouvements d’aller et retour dont la seule boussole est le profit. Mais tous leurs plans pour affecter les ressources en vue d’un profit maximum ne savent et ne peuvent pas prendre en compte les imprévus de la lutte des classes. Voilà ce que signifie cette longue grève chez General Motors.
Jean-Claude Vessilier