Publié le Mardi 14 octobre 2014 à 16h18.

La naissance d'une nouvelle génération sous les gaz lacrymogènes - Le mouvement des parapluies à Hong Kong

Par Vincent Sung. 

Le mouvement des parapluies, qui implique toutes les couches sociales de Hong Kong, est complètement différent des mouvements de masse des décennies précédentes à Hong Kong, à la fois par ses méthodes de lutte pacifiques, sa spontanéité et la perturbation massive de l'ordre public. Si la question politique en a été l'élément déclencheur,  de profondes tensions sociales et économiques sous-tendent le mouvement.

 

Le contexte

Les élections du conseil législatif (legco) et du président, au suffrage universel, font partie du programme des mouvements pro-démocratie depuis la cession de Hong Kong à la Chine en 1997.

La loi fondamentale, qui est appelée la mini-constitution de Hong Kong, pose que le président de Hong Kong peut éventuellement être élu au suffrage universel. Mais le gouvernement de Pékin a retardé l'échéance de sa promesse de mise en œuvre.

En mai 2013, une coalition, Occupy Central, dirigée par le juriste Benny Thai, le sociologue Chan Kin-Man et le pasteur Zhu Yao Ming ont officiellement lancé leurs plan de campagnes pour une élection directe du président en 2017 et ont menacé d'organiser l'occupation du centre de Hong Kong (le centre commercial et financier de Hong Kong)et le paralyser si nécessaire. 

Une des revendications de Occupy Central était une votation citoyenne (un simili plébiscite) pour laisser le peuple choisir un des trois modes d'élection du président. Près de 800 000 personnes y ont participé en votant en ligne ou dans des bureaux de vote. La nomination civile, qui implique de proposer des candidats à l'élection du président par les citoyens, a été majoritaire.

 

L'explosion

En août 2014, le comité permanent de l’assemblée populaire nationale (CPAPN) de la République Populaire de Chine (RPC) décidait que les électeurs n'auraient que le choix parmi une liste de deux ou trois candidats après une sélection par un comité de nomination formé par l'actuel comité électoral (qui est actuellement responsable de « l'élection » du président).

Le comité électoral est composé de 1 200 personnes, qui sont des capitalistes pro-chinois, des politiciens... L'actuel président, CY Leung, a été « élu » par la clique de ce comité antidémocratique en 2012. Il est l'un des plus pur et dur soutien de Pékin et est largement considéré comme un membre discret du PC Chinois.

Le 22 septembre, la fédération des étudiants de Hong Kong (HKFS qui est formé par les syndicats de huit instituts d'enseignements supérieurs) a appelé à une grève étudiante de cinq jours. Scholarism (un groupe militant de lycéens dont le leader est Joshua Wong) a appelé les lycéens à rejoindre la grève. 

Le 26 septembre, ils ont lancé une manifestation afin d'occuper la place civique, qui est proche du gouvernement central HQ, après que CY Leung et d'autres dirigeants ont refusé d'accéder à leurs revendications. La police a réprimé le mouvement et arrêté deux dirigeants de HKFS ainsi qu'un de Scholarism, Joshua Wong. Mais de plus en plus de gens les ont rejoints dans la place pour les  soutenir.

Ce n'est qu'à partir de là que les trois leaders du mouvement ont annoncé le lancement de OC, quelques jours avant ce qui était prévu dans leurs plans à cause de la poussée de l'action de masse. De manière inattendue, ils ont été hués par une partie des manifestants, alors que les protestataires étaient sortis du parc pour demander à la police de relâcher les trois représentants étudiants.

La police a utilisé le gaz au poivre et finalement du gaz lacrymogène pour disperser le rassemblement. La brutalité policière sur des étudiants pacifiques a initié une vague de colère débouchant sur un mouvement de masse. Des milliers de personnes sont sorties pour soutenir les manifestants mais les routes menant à la place civique étaient bouclées par la police. Les protestataires étaient coincés près de l'Amirauté, bloquant les routes et montant, spontanément, des barricades. Les protestations se sont aussi étendues à Mong Kok  de Kowloon.

La confédération des syndicats de Hong Kong (HKCTU, un syndicat indépendant appartenant au camp démocratique) a appelé à une grève générale pour le 29 septembre, dont l'effet fut limité.

 

Les dynamiques du mouvement

En général, les médias de Hong Kong se référent au mouvement Occupy Central (OC), campagne initiée une année auparavant par les trois figures politiques mentionnées ci-dessus. Même si HKFS et Scholarisme avaient rejoint la coalition OC, ils ont organisé leur propre campagne de manière indépendante. Les jeunes étudiants sont la force motrice du mouvement et ils ont fait attention à garder leurs distances vis-à-vis des trois leaders de OC et d'autres courants pan-démocrates.

Donc ce mouvement dépasse ce que les médias locaux ont nommé le mouvement OC (comme perçus par les trois leaders au départ  qui était un plan) strictement centralisé de protestation du haut vers le bas.

Au contraire, un mouvement massif a rapidement jailli  des protestations étudiantes après que la police a utilisé des grenades lacrymogènes. C'est une sorte de désobéissance civile, avec des caractéristiques importantes comparées aux précédents grands mouvements sociaux de Hong Kong, basée sur la spontanéité et la décentralisation des méthodes de luttes. Les manifestants ont fait preuve d'une autonomie exceptionnelle dans leurs luttes.

Le mouvement a été surnommé « la révolution des parapluies » par les médias étrangers. Ce n'est clairement pas une révolution. Le symbole du parapluie a été une belle coïncidence. A l'origine, les manifestants utilisaient le parapluie pour se protéger tant du soleil que de la pluie, mais ils s'en sont aussi servis pour se protéger des gaz au poivre. Ils ont aussi utilisé des équipements standards comme des lunettes de protection ou des foulards. 

C'est donc un mouvement de masse spontané, les manifestants ont fait preuve d'auto-discipline dans les sites occupés, comme le ramassage et le tri des déchets, le nettoyage des rues... De nombreux petits forums de discussions ont eu lieu avec des chances égales pour tous les participants d'y soutenir financièrement les petits commerçants afin d'obtenir leur appui, particulièrement pour les plus pauvres habitant à Mong Kok.

Les gens ordinaires ont été émus par l'esprit de sacrifice que montraient les étudiants pour le futur de Hong Kong. Ils leur ont constamment fourni de l'eau, de la nourriture et autres provisions. Ils ont protégé les étudiants quand des membres de la mafia ou des laquais pro pékin (qui ont certainement été enrôlé par des partisans de CY Leung) ont attaqué les manifestants, harcelé sexuellement certaines femmes, détruit les barricades, les stands et les tentes. La police n'est pas intervenue, elle s'est contentée de regarder.

 

Des tensions sociales

Selon un rapport de l'ONU de 2008-2009, Hong Kong est la région qui connaît les plus grandes inégalités économiques entre les riches et les pauvres de tous les pays capitalistes développés depuis une dizaine d'années.

Un rapport du Credit Suisse Research Institute de 2010-2011 a montré que 1,2 % de la population détient 53 % du patrimoine de Hong Kong. La plupart d'entre eux sont des magnats de l'immobilier et des oligarques financiers. Le gouvernement de Hong Kong a rarement pris des mesures effectives pour limiter les problèmes de polarisation sociale.

La moitié des sièges du Legco (le parlement) sont des « électeurs fonctionnels » désignés plus par leur secteur économique que par le suffrage universel. De manière générale, ces membres du parlement se sont toujours et avec véhémence opposés au suffrage universel.

D'un autre côté, ils opposent régulièrement leur veto à tout projet de loi qui pourrait protéger le droit du travail et les gens ordinaires. Ils préfèrent soutenir les projets de loi visant à privatiser les services publics pour l'intérêt des consortium.

« L'hégémonie des promoteurs immobiliers » est un problème social sensible à Hong Kong. L'énorme oligarchie des promoteurs, qui monopolise le marché immobilier, pratique des prix de vente et des loyers très élevés. Selon le FMI, en 2013, la hausse du prix de l'immobilier à Hong Kong est la seconde du monde. Il est désormais quasiment impossible, pour un jeune couple, d'acheter un petit appartement. Une autre conséquence désastreuse de ces prix démentiels est la spéculation immobilière, qui est principalement due à l'afflux de capitaux de Chine.

Cette oligarchie des promoteurs n'a pas seulement dominé le marché immobilier, mais a aussi conquis la vie des gens pour gagner de l'argent, pour les déplacements nécessaires, pour les biens domestiques... Les conditions de vie de la classe ouvrière se  sont été détériorées car leurs bas salaires ne peuvent compenser une inflation galopante. Les petits commerçants ont été expulsés des quartiers à cause de l'envolée des loyers au profit des chaînes de supermarchés, de fast food etc.

En mars 2012, la grève de 40 jours des dockers, une des plus grandes grèves qu'ait connue Hong Kong ces dernières décennies,  appelée par le syndicat des dockers de Hong Kong (affilié à la HKCTU) pour obtenir des augmentations de salaire et de meilleurs conditions de travail alors que les grévistes travaillaient pour des filiales de Hutchison Whampoa Ltd qui appartient à l'empire économique de l'homme le plus riche d'Asie, Li Ka-shing (qui est aussi un symbole coupable de l'hégémonie des promoteurs), a rencontré un large soutien populaire, avec des actions de solidarité des jeunes.

Les effets négatifs du programme de visite individuelle (IVS), qui permet aux chinois du continent de visiter plus librement Hong Kong, ont amené à des conflits entre les habitants de Hong Kong et les continentaux chinois aux habitudes sociales différentes. Les continentaux chinois ont acheté de nombreux biens domestiques, comme des biens pour nourrissons, qui ont causé beaucoup de désagréments  à la population locale et le gouvernement a finalement restreint les quantités de biens que les voyageurs peuvent ramener, au début 2013. Ce tourisme déformé par l'IVS a entraîné des situations paradoxales, ainsi dans certains quartiers on compte plus de bijouteries que de boulangeries.

La droite locale, qui prétend défendre le mode de vie et la culture locale, a émergé ces dernières années et a aggravé la haine entre la population locale et les continentaux chinois. Ils appellent les continentaux chinois « sauterelles » et attaquent de la même manière les militants de gauche. Certains des plus

extrême à droite défendent même l'indépendance voire le retour sous le règne de la colonisation britannique. Ils ont réussi à attirer quelques jeunes, désabusés par le gouvernements, dans leurs rangs.

 

A la croisée des chemins

Les jeunes constituent la force motrice du mouvement, la plupart d'entre eux sont nés après 1990. En plus, des discussions précédentes sur la spontanéité et l'aliénation de la direction pan-démocrate, ils sont plus militants et osent s'opposer aux contrôles déraisonnables des manifestations par la police.

Cette jeune forme de militantisme remonte, à peu près, au mouvement de 2010 contre une ligne à grande vitesse (une LGV entre Hong Kong et Guangzhou néfaste pour l'environnement mais conforme aux intérêts des promoteurs), quand les manifestants ont bloqué le Parlement pour empêcher les partisans du projet de partir. 

Ceci étant, aucune concession n'a été accordée par le régime de CY Leung (le rejet du projet de réforme du CPAPN ou sa démission), le mouvement est confronté au challenge de « que faire après ? ». Des débats houleux traversent le mouvement pour savoir si il faut se retirer (même de l'amirauté de Mong Kok) pour éviter une nouvelle répression (potentiellement meurtrière). 

Comme les protestataires ont une autonomie importante, ils s'opposent à la construction d'une estrade et à la formation de piquets par peur d'une récupération du mouvement dans certains quartiers occupés. Malheureusement, la droite locale peut prendre avantage de cette peur de la récupération et distribue déjà des tracts contre les militants de la gauche alternative avec des slogans comme « méfiez-vous des idiots gauchistes ! ».

Il y a un groupe militant pour une alternative de gauche appelé Left 21. Ses membres se sont engagés très fortement dans le mouvement, sur une base individuelle vue l'atmosphère néfaste. Dans les débats ils ont mis en avant le fait que la démocratie doit être liée aux droits des travailleurs et aux conditions de vie etc.

 

Conclusion

Pour résumer, ce mouvement a des dimensions sociales et économiques. La signification est que des jeunes se révoltent contre les injustices sociales, comme l'hégémonie des promoteurs, les inégalités sociales et la main mise du capital de la Chine (ils pensent que tous ces problèmes sont liés à un système non démocratique). Ils ne peuvent pas imaginer leur futur dans une telle société. 

Néanmoins, la seule spontanéité du mouvement ne peut pas le faire avancer. La stratégie et l'organisation doivent être prises en compte quand les manifestants affrontent un appareil d’État aussi puissant (soutenu par le PCC), et qu'il est indispensable d'obtenir le soutien de la classe ouvrière. Pendant ce temps, la droite locale cherche toujours à opposer les habitants de Hong Kong aux continentaux chinois pendant que les médias pro-Pékin labellisent ce mouvement comme étant « sous influence étrangère ».

Le PCC est certainement heureux de voir ce mouvement se transformer en campagne contre les continentaux chinois. Donc il est nécessaire pour la gauche radicale locale de disputer la direction du mouvement et de se lier aux chinois du continent pour soutenir ce mouvement. 

Le mouvement apporte un expérience importante aux gens en les libérant du poids du « respect de la loi » et en leur donnant des opportunités de s'enrichir politiquement au travers des nombreux forums et réunions.

Quelque soit le résultat final, ces jeunes pacifiques et astucieux ont gagné le soutien de la majorité du peuple de Hong Kong. Ce qui est sûr, c'est qu'à l'avenir il y aura une fantastique force de résistance à la classe dirigeante de Hong Kong (les capitalistes pro-Pékin et les oligarques) ainsi qu'au PCC.