La Voie démocratique, comme continuité politique et idéologique du mouvement marxiste-léniniste marocain, en particulier Ilal Amam1, a été créée en 1995 sur la base des acquis de 25 ans de lutte, la rupture avec le réformisme et le révisionnisme et les apports théoriques de Ilal Amam concernant les contradictions fondamentales entre le bloc de classes dominant constitué des gros propriétaires terriens, de la bourgeoisie mandataire et de l’impérialisme, en particulier français, d’une part, et la classe ouvrière et les masses laborieuses, d’autre part ; la désignation de la mafia makhzen, qui détient le pouvoir et une grande partie de la richesse du pays, comme l’ennemi direct le plus féroce et la principale entrave à toute avancée démocratique et sociale ; et les spécificités de la constitution de la nation marocaine comme nation amazigho-arabe et musulmane ayant de fortes spécificités régionales nécessitant la mise en place de larges autonomies.
Les leçons de 21 ans de lutte de La Voie démocratique ont conduit à définir quatre processus structurant notre action et notre combat :
- Le processus de constitution de l’organisation politique autonome de la classe ouvrière et des masses laborieuses à travers l’enracinement dans la classe ouvrière et les masses laborieuses et l’unification des organisations marxistes.
- Le processus de constitution des organisations autonomes des masses populaires (syndicats, associations, comités de quartier…), leur unification et intégration à la lutte pour la libération nationale et la démocratie.
- Le processus de constitution du front des classes populaires.
- Le processus d’édification d’une Internationale marxiste.
Le 4e congrès national s’est tenu en juillet 2016 sous le mot d’ordre « Construire le parti de la classe ouvrière et le front uni pour se débarrasser du makhzen et édifier l’Etat national, démocratique et populaire » dans un contexte national caractérisé par :
- Une crise économique profonde causée par la dépendance, surtout vis-à-vis de l’impérialisme français, le parasitisme du bloc de classe dominant, l’économie de rente, la prédation de la mafia makhzen, crise exacerbée par la crise actuelle du capitalisme.
- Une crise sociale touchant non seulement les classes défavorisées mais aussi la petite bourgeoisie et de larges couches de la moyenne bourgeoisie.
- Une crise politique attestée par le boycott massif des élections (80 % des inscrits) – le champ politique officiel est de plus en plus déconnecté des préoccupations populaires.
- Une offensive menée par le régime contre les masses populaires et les organisations militantes en profitant d’une conjoncture favorable (priorité à la lutte contre le terrorisme, luttes sanglantes dans plusieurs pays arabes, reflux du mouvement du 20 février), du soutien de l’impérialisme, en particulier français, et des aides financières des pays du Golfe pour faire passer des mesures antipopulaires (« réforme » des retraites au détriment des retraités, liquidation accélérée des services sociaux publics et du soutien aux prix des produits de base…). La contrepartie est l’approfondissement de la dépendance du Maroc, sur tous les plans, vis-à-vis de l’impérialisme, l’alignement sur les positions des régimes rétrogrades du Golfe et la participation à leurs guerres contre les peuples arabes.
-Une résistance populaire multiforme capitalisant sur les acquis du mouvement du 20 février et montrant les énormes potentiels de lutte de notre peuple : recul de la peur, recours systématique aux sit-in, marches et toutes formes de lutte. Mais ces luttes restent dispersées et n’arrivent pas, souvent, à se transformer en mouvements organisés et stables et à s’unir à cause de la faiblesse des organisations militantes et de leur modeste enracinement en leur sein.
Le 4e congrès national, prenant en compte cette situation et les leçons de la mise en œuvre des processus cités plus haut dans la réalité concrète, a permis de tirer les conclusions suivantes :
- L’unification des marxistes s’est révélée difficile (sectarisme, gauchisme, divergences concernant la stratégie du changement, la politique des alliances stratégiques…).
- Le mouvement du 20 février, qui s’inscrit dans les processus révolutionnaires qui ont embrasé le monde arabe, a échoué à atteindre ses objectifs, en particulier à cause de l’absence d’un parti organisant la classe ouvrière et les masses laborieuses et représentant leurs intérêts.
Aussi La Voie démocratique a-t-elle décidé, lors du 4e congrès national, de s’atteler sans plus attendre, de toutes ses forces et avec une détermination inébranlable, à la construction du parti de la classe ouvrière et des masses laborieuses qu’elle considère comme sa tâche centrale. Ceci, tout en continuant à tendre la main aux militants marxistes.
Sur le plan stratégique :
- La nature de l’Etat permettant l’essor de toutes les composantes de notre peuple, à savoir l’Etat national, démocratique et populaire comme phase posant les jalons pour le socialisme, les objectifs et étapes du changement révolutionnaire (étape du changement national, démocratique et populaire, étape du changement socialiste et les rapports entre elles), les instruments du changement révolutionnaire et les fronts de classe.
- Le programme de changement démocratique radical de transition vers le socialisme a été réexaminé, enrichi et précisé.
- Les organisations autonomes des masses populaires sont un enjeu stratégique de première importance car, grâce à elles, les masses apprennent à s’organiser, défendre leurs intérêts et gérer leurs affaires. Elles constituent des embryons de contre-pouvoir. Le parti doit les défendre contre la mainmise du pouvoir et des forces qui lui sont liées et aider à leur unification et leur participation à la lutte globale pour le changement, mais il doit être attentif à leurs doléances, suggestions et critiques et ne doit, en aucun cas, les considérer comme de simples courroies de transmission.
Au niveau tactique : les alliances tactiques permettent de réaliser une ou quelques tâches en isolant l’ennemi le plus féroce à un moment déterminé et en essayant de rassembler le plus large front possible pour l’abattre. Il est clair qu’un tel front ne peut se faire que sur une base politique et non idéologique, et qu’il est dépassé dès que les tâches pour la réalisation desquelles il s’est formé sont accomplies.
C’est pourquoi La Voie démocratique, tout en se battant bec et ongles pour la constitution d’un front démocratique, dont le noyau dur et la colonne vertébrale devraient être la gauche militante, lutte dans le même mouvement pour un front plus large, à l’instar du mouvement du 20 février, regroupant toutes les forces et personnalités souffrant de la mainmise de la mafia makhzen sur le pouvoir et la richesse et prêtes à se battre pour l’abattre.
Abdallah Harif
- 1. Ilal Aman (« En avant ») était une organisation marxiste-léniniste, constituée en août 1970, qui a été férocement réprimée, une série de ses membres ayant été condamnés à de lourdes peines de prison. Un de ses dirigeants les plus connus était Abraham Serfaty. Nombre de cadres de ce courant, après leur libération au début des années 1990, ont constitué La Voie démocratique.