Depuis le 27 septembre, le Maroc est traversé par une colère inédite. Chaque soir, dans les grandes villes comme dans les quartiers populaires, des foules de jeunes descendent dans la rue pour crier leur ras-le-bol : santé, éducation, dignité, justice sociale. Leur bannière ? GenZ 212, un collectif né sur Discord qui a déjà rassemblé plus de 180 000 membres et donné une voix à une génération qu’on disait résignée.
À l’origine, il y a un drame. Huit femmes sont mortes à l’hôpital d’Agadir après des césariennes, victimes d’un système de santé public en ruine, vidé de ses moyens par des décennies de privatisations et de clientélisme. Ce choc a cristallisé des années de colère accumulée. En quelques jours, l’indignation s’est transformée en organisation : des canaux numériques, une jeunesse connectée et l’envie d’en finir avec l’humiliation permanente.
Une jeunesse qui refuse de se taire
Les slogans des cortèges disent tout : « Le peuple veut l’éducation et la santé », « Liberté, dignité, justice sociale », « Pas de stades, des hôpitaux ! » Derrière, il y a le refus d’un modèle économique qui sacrifie le quotidien de millions de marocainEs pour construire des stades et des TGV destinés à la Coupe d’Afrique 2025 et au Mondial 2030. Alors que la monarchie espérait apaiser les frustrations dans le patriotisme footballistique, la jeunesse renvoie son mépris au pouvoir.
NéEs entre 1997 et 2012, ces jeunes ont grandi dans un Maroc où le chômage, les inégalités territoriales et le mépris des élites sont devenus la norme. Mais loin de la résignation, ils et elles transforment leur quotidien numérique en outil politique. Cette génération est connectée au monde : elle connaît les luttes de ses semblables au Sri Lanka, au Népal ou à Madagascar. Elle partage les mêmes codes visuels et culturels, comme ce drapeau de pirate de One Piece brandi dans plusieurs cortèges, clin d’œil à une soif universelle de liberté.
La réponse du régime : la matraque et le mensonge
Pris de court, le gouvernement a ressorti les vieilles recettes : arrestations massives, charges policières, criminalisation du mouvement. Plus de 400 personnes ont déjà été arrêtées. Dans la nuit du 1er au 2 octobre, trois manifestants ont été tués près d’Agadir par des gendarmes, officiellement en « légitime défense ». Le collectif, lui, ne cesse de rappeler son attachement au caractère pacifique de la mobilisation.
Le Premier ministre Aziz Akhannouch, milliardaire symbole de la collusion entre affaires et politique, se dit « prêt au dialogue ». Mais les jeunes n’y croient pas. Ils exigent sa démission et, dans une lettre ouverte adressée au roi Mohammed VI, demandent la dissolution pure et simple du gouvernement.
Le masque tombe
La GenZ 212 met à nu l’hypocrisie du régime. Derrière les vitrines flamboyantes d’un Maroc « émergent », il y a la réalité d’un capitalisme de rente, d’un autoritarisme qui protège une poignée de privilégiéEs et d’une majorité abandonnée aux hôpitaux délabrés, aux écoles surpeuplées et au chômage de masse.
Le Palais espérait briller à l’international grâce aux grandes compétitions sportives. Mais ce que le monde voit aujourd’hui, ce sont des jeunes marocainEs criant qu’ils veulent vivre, et non survivre.
Une brèche historique
Le mouvement n’a pas encore franchi la ligne rouge de la contestation ouverte de la monarchie, institution encore largement sacralisée. Mais il frappe au cœur de l’appareil en exigeant la chute du gouvernement. Déjà, la peur change de camp.
Au-delà du Maroc, c’est tout un souffle qui traverse la jeunesse mondiale : horizontalité des collectifs, rejet des élites, exigence de dignité. GenZ 212 s’inscrit dans cette lame de fond.
Quoi qu’il advienne dans les prochaines semaines, une certitude demeure : la génération Z marocaine vient d’arracher sa place dans l’histoire des luttes. Elle a montré qu’aucun régime, aussi verrouillé soit-il, n’est à l’abri quand sa jeunesse choisit la révolte.
Amel