Par Dominique Lerouge.
Début 2011, la révolution tunisienne a apporté la preuve que les mobilisations peuvent chasser un dictateur en place depuis des dizaines d’années. Le mot même de révolution, que la pensée dominante avait classé depuis la fin des années 1970 au rayon des archaïsmes obscènes, est subitement l’un des plus utilisés dans les médias…
Cette première victoire a servi de signal aux peuples de la région pour entrer en lutte pour la démocratie, la dignité et la justice sociale. Le même refus s’est exprimé de la politique néolibérale des dictateurs corrompus et de leurs maîtres occidentaux, passant par les mécanismes de la dette, la libéralisation des échanges, la suppression des subventions aux produits de première nécessité, les privatisations et leur cortèges de licenciements, la croissance des inégalités sociales et géographiques, le chômage de masse notamment parmi les jeunes et les femmes.
Des révolutions inachevées mais qui continuent
En Tunisie et en Egypte, des millions d’hommes et de femmes peuvent maintenant s’exprimer et s’organiser à peu près librement. Mais simultanément, l’appareil d’Etat est resté quasiment intact et les possédants d’hier ont gardé la quasi totalité de leurs avoirs. Ils ne cessent depuis de vouloir réinstaurer les conditions de domination et d’exploitation en vigueur avant 2011.
Se situant dans le même cadre capitaliste néolibéral, les islamistes rêvent d’y ajouter un ordre social lourd de menaces sur les libertés individuelles et collectives, notamment en ce qui concerne les droits des femmes.
De son côté, l’impérialisme maintient la pression. Il utilise toutes les opportunités pour renforcer sa domination dans la région et les pays alentours, comme le prouve l’intervention militaire française au Mali.
Suite aux victoires électorales des islamistes en Tunisie et en Egypte, on a entendu affirmer que la page révolutionnaire était tournée et que l’hiver islamiste aurait succédé au « printemps arabe ».
Les manifestations et les grèves qui secouent ces deux pays depuis la fin 2012 prouvent qu’il n’en est rien. Il en va de même en Syrie, malgré la barbarie du régime d’Assad.
Depuis deux ans, avec des hauts et des bas, les grèves et les manifestations n’ont en fait pas cessé dans la région. L’aspiration à la liberté et à la justice sociale est toujours aussi forte. Les luttes de tous niveaux et de toutes sortes, que les peuples n’ont pas cessé de mener depuis deux ans, ont été à l’origine de l’acquisition d’une grande expérience et d’une importante maturation politique. Reste à ce que celle-ci puisse s’incarner dans une alternative politique.
Une gauche qui reste à construire
Pendant des dizaines d’années, la gauche politique a été en grande partie broyée par les dictatures. Elle se limitait dans de nombreux pays à des petits groupes clandestins. La tâche à laquelle elle doit faire face aujourd’hui est immense. Il lui faut participer pleinement à la (re)construction d’un mouvement social, notamment du mouvement ouvrier, et devenir une force politique crédible auprès de populations ayant, pendant des dizaines d’années, vécu dans la terreur et été privées de toute possibilité d’expression politique.
Disposant de forces inférieures à leurs divers adversaires, les révolutionnaires se réclamant du marxisme sont en permanence menacés soit de se retrouver isolés, soit de se faire satelliser par des forces poursuivant des objectifs contraires aux leurs. Entre ces deux écueils, la marge est étroite.
En Tunisie, la réponse a été la création du « Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution », regroupant des forces de gauche, des courants nationalistes arabes et des indépendants. Ce front vise à proposer, dans les luttes et dans les urnes, une alternative à toutes celles et ceux qui refusent à la fois l’établissement d’un pouvoir religieux poursuivant la politique néo-libérale antérieure, et d’être la cinquième roue du carrosse de ceux qui ont gouverné le pays de 1956 à 2011, et se situent dans le même cadre économique et social.