Publié le Lundi 23 juin 2014 à 14h38.

Pour un mouvement social et ouvrier indépendant ! Pour une Ukraine libre !

Déclaration de l’Opposition de Gauche (Ukraine). 

Les affrontements et le massacre d’Odessa ont mis en évidence les dangers de guerre et de démembrement de l’Ukraine, que seul le développement d’un mouvement ouvrier indépendant peut être en mesure de conjurer1.

Le meurtre de masse du 2 mai à Odessa ne peut être justifié en aucune façon. L’organisation socialiste « Opposition de gauche » est convaincu que, quelle que soit l’origine des personnes tuées des deux côtés, la force utilisée contre la majorité d’entre elles a clairement dépassé le nécessaire exercice du droit à la légitime défense. Il faut procéder à une enquête impartiale sur ces événements et dénoncer nominalement les provocateurs et les tueurs, qui se trouvaient probablement de chaque côté de la confrontation.

A l’heure actuelle, nous ne pouvons pas encore nommer avec certitude les personnes responsables de ces meurtres, leurs organisations ou leurs groupes. Cependant, nous pouvons voir les conséquences politiques du massacre d’Odessa et nous ne pouvons que constater que des organisations politiques de gauche sont parmi celles qui portent une responsabilité politique.

Il ne fait aucun doute que la violence a été déclenchée et organisée en premier lieu par des groupes ultra-nationalistes et chauvins qui assassinent froidement et tentent d’exploiter le sang versé pour attiser dans la société une hystérie nationaliste bestiale, dans le but de « mobiliser la nation » contre ses « ennemis ». Il s’agit réellement pour eux de parvenir ainsi à leur rêve de dictature nazie, qui ne peut être établie que par un bain de sang et par l’intimidation des personnes. Cet objectif ne sera possible que si les Russes d’Ukraine ne voient en tout Ukrainien qu’un meurtrier « bandériste »2 et si les Ukrainiens ne voient dans chaque Russe qu’un « saboteur des services de renseignement russes ». Malheureusement, nous sommes arrivés bien trop près de la limite au-delà de laquelle cela peut réellement arriver.

 

Des militant de gauche égarés

Il semble néanmoins qu’à Odessa, le 2 mai, des militants d’organisations de gauche, qui il y a un an à peine participaient à des manifestations communes contre les restrictions aux libertés et se rassemblaient pacifiquement contre l’introduction d’un code du travail esclavagiste, se sont opposés des deux côtés de la barricade. Les militants de l’organisation « Borot’ba » (La Lutte) étaient présents dans le camp dirigé par les chauvins de droite de la « Odesa Drujina » (Garde d’Odessa). Dans l’autre camp, des anarchistes et des antifascistes ont pris part à des actions dirigées par leurs adversaires, en particulier des supporters de foot « ultras » de droite. Ce dernier groupe se distingue par sa brutalité particulière à l’encontre de ses adversaires.

Les organisations de gauche ont été incapables de mettre en avant un programme indépendant et distinct de la classe ouvrière. Sans parler du fait qu’elles n’ont pas été en mesure de prendre la tête d’un mouvement de masse, elles n’ont pas été capables de prendre leurs distances, ni même de détourner les masses de la violence fratricide attisée par les mots d’ordre nationalistes. Ces militants de gauche se sont retrouvés dans le piège du soutien inconditionnel à un mouvement relativement large mais qui, ces derniers temps, s’est presque totalement débarrassé de tout objectif socio-économique pour se transformer en un mouvement nationaliste. A ce moment, pour les protestataires à Odessa, la capacité ou l’incapacité – ou, en dernière instance le droit même – de l’Etat ukrainien à exister a malheureusement pris plus de poids que les droits des travailleurs en Ukraine, quelle que soit leur nationalité.

Au lieu d’élaborer une stratégie visant à éliminer les oligarchies capitalistes du pouvoir en Ukraine et en Russie, on débat actuellement pour savoir si la création d’un Etat ukrainien était un « malentendu » ou « une erreur historique ».

 

Des actions minoritaires

Il n’est donc pas surprenant que les larges secteurs des travailleurs des grandes usines de l’est et du centre de l’Ukraine ne prennent pas part à des actions de protestation de masse. Les mobilisations anti-Maïdan et pro-Maïdan sont aujourd’hui, dans l’ensemble, peu massives et elles ne peuvent en aucun cas être comparées aux puissantes mobilisations de Kiev pendant l’Euro-Maïdan, en janvier et février de cette année. Les radicaux armés restent des petits groupes d’aventuriers, même à Slaviansk, où ils ont pris le pouvoir et se maintiennent clairement par la seule intimidation de la population locale qui, en toute logique, ne veut pas devenir victime de l’opération anti-terroriste du gouvernement.

Il est très douteux que la majorité des habitants de Slaviansk soutiennent l’idée tsariste de ressusciter une « Russie Une et Indivisible », qui est l’objectif ouvertement proclamée par l’officier russe Strelkov-Hirkin, le « commandant en chef » de la « République populaire du Donetsk ». En même temps, il est clair qu’ils ne veulent voir à la tête de Slaviansk ni les « petits hommes verts » de Strelkov ni aucun autre soldat. Après tout, ils comprennent très bien qu’avec la poursuite de « l’opération anti-terroriste », les combats commenceront tôt ou tard dans les quartiers de leur ville et qu’eux – les habitants pacifiques – seront les premiers à en souffrir.

La grande majorité des travailleurs de Slaviansk et Kramatorsk ne prend pas part à ce soulèvement et continue chaque jour à traverser les check-points pour aller travailler. La question d’une grève générale n’a même pas été soulevée. Des gangs de lumpen-criminels locaux et des personnes âgées ignorantes et nostalgiques de l’URSS sont les principaux partisans de la « junte de Slaviansk ».

 

Les potentialités du mouvement ouvrier

En même temps, il ne fait pas de doute qu’il existe un mouvement ouvrier de masse organisé en Ukraine. Il s’est exprimé à Kryvoï Rog, quand la brigade d’autodéfense des mineurs a empêché l’escalade de la violence dans cette ville lors des tentatives des titushky [des voyous recrutés par les autorités et les patrons, NdT] pour attaquer le Maïdan local. Les travailleurs se sont également exprimés eux-mêmes à Chervonograd, dans la région de Lvov, où ils sont intervenus dans le processus politique et ont de facto nationalisé la centrale électrique locale, qui appartient à l’oligarque Rinat Akhmetov.

Le mouvement ouvrier s’est exprimé avec encore plus de force à Krasnodon, dans la région de Lougansk. Là, au cours d’une grève générale, les mineurs ont pris la ville sous leur contrôle. Il est important de souligner qu’ils ne veulent pas s’allier avec les séparatistes « anti-Maidan » de Lougansk, tout en déclarant qu’ils ne soutiennent pas non plus les dirigeants oligarchiques bourgeois du Maïdan de Kiev. Ils ont leur propre Maïdan à eux, celui des travailleurs armés de mots d’ordres pour la justice sociale et, contrairement au Maïdan de Kiev, ils ont, quant à eux, la sérieuse intention de réaliser ces mots d’ordre.

Ces travailleurs exigent non seulement une augmentation de leurs salaires, mais aussi la fin du recours à la sous-traitance dans les mines. Il ne s’agissait pas ainsi d’une grève pour de seules raisons économiques, mais d’un mouvement qui a soulevé la nécessité d’une solidarité entre les travailleurs des différents secteurs, un mouvement suffisamment puissant pour prendre toute la ville sous son contrôle. Et cela sans violence, sans blessés, ni tués ! La ville a non seulement été prise sans un seul coup de feu, mais aussi sans que personne n’offre la moindre résistance, même partielle.

Naturellement, le mouvement organisé des travailleurs est encore très faible à l’échelle nationale. Les syndicats de classe conscients et vraiment actifs ne sont concentrés que dans quelques centres de l’industrie minière. Mais il est clair cependant que c’est seulement lorsque les travailleurs interviennent vraiment dans une confrontation qu’il devient possible d’éviter de nombreuses victimes et de calmer l’hystérie chauvine.

 

Danger de guerre et de démembrement

L’émergence dans l’arène politique d’un mouvement ouvrier de classe indépendant reste peut-être la dernière chance de survie pour l’Etat ukrainien aujourd’hui et pour prévenir le développement de la guerre civile qui se déroule sous nos yeux. Si les scénarios de démembrement de l’Ukraine se réalisent, nous ne serons pas en mesure d’éviter une explosion de violence et de meurtres de masse. Et, parallèlement, la confrontation prendra de plus en plus un caractère inter-national et inter-ethnique, à l’opposé d’un caractère de classe. Lorsque la guerre en Yougoslavie a commencé, les forces d’extrême droite étaient également très faibles et marginalisées. Elles n’avaient pas plus de soutien dans la société que Yarosh et Tiahnybok n’en ont aujourd’hui. Mais, après moins d’un an de guerre, les groupes nazis serbes et croates ont commencé à dominer la scène politique yougoslave et à se transformer en grandes organisations de masse.

Si les mineurs des régions de Lougansk, du Donetsk, de Lvov et de Dniepropetrovsk ne parviennent par à unir leurs efforts pour arrêter cette guerre, nous serons tous entraînés dans une boucherie sanglante. Dans ce cas, la gauche en Ukraine sera détruite pour de nombreuses années. Et il est douteux qu’elle puisse également survivre en Russie.

Les travailleurs de Krasnodon et de Kryvoï Rog ont un besoin urgent de votre solidarité et de votre soutien. La grève de Krasnodon n’est pas terminée, elle a seulement été suspendue pendant les négociations. A Kryvoï Rog, les mineurs se préparent également à la grève au cas où leurs revendications ne seraient pas satisfaites.

- Aucun soutien pour les chauvins, quels que soient leurs drapeaux !

- Pour une Ukraine ouvrière indépendante et unie !

- Pour un mouvement social et ouvrier indépendant !

 

Notes

1 Ce texte est repris du site belge Avanti4.be, pour lequel il a été traduit de l’anglais par G. Cluseret. Les intertitres sont de la rédaction de L’Anticapitaliste.

2 Du dirigeant nationaliste et collaborateur des nazis, Stepan Bandera (voir L’Anticapitaliste n° 54 de mai 2014).