1) Nos positions sur l’Europe s’inscrivent dans une continuité historique, celle des courants qui allient les « positions luttes de classes » et la solidarité internationaliste, contre les politiques bourgeoises européennes comme contre les replis nationalistes.
L’opposition à la guerre, aux régimes réactionnaires, au libre-échange capitaliste, aux diverses unions douanières ou institutions du marché unique, s’est prolongée par la solidarité et la coopération des peuples, la lutte pour un programme au service des travailleurs et une perspective politique qui s’inscrit dans la proposition d’ Etats unis socialistes d’Europe. Il s’agit, dans notre vision, de considérer l’Europe comme une réalité historique politique, économique, culturelle- une réalité ouverte au sud et à l’est- et de donner au combat européen un contenu anticapitaliste et socialiste.
2) Dans les années 1960, se met en place un projet de construction européenne des classes dominantes, tournée contre l’URSS et le bloc de l’Est mais, aussi, en concurrence avec les USA. Près de soixante années après le traité de Rome, il y a eu, pour les bourgeoises européennes, des avancées incontestables dans la mise en œuvre d’institutions politiques, économiques, juridiques, d’un marché et d’une monnaie unique, avec l’Euro. Les forces productives étant à l’étroit dans un cadre national, cela a conduit les classes dominantes à construire des espaces plus larges indispensables aux processus de développement et de concentration du capital.
3) C’est ce processus qui s’est cristallisé avec l’Acte unique en 1986, le traité de Maastricht après la réunification allemande et les autres traités. Mais ce processus de construction se fait avec une série de spécificités :
* Il y a un marché européen mais sans la constitution d’un capitalisme européen propre : il y a des capitalismes européens mais pas de grande industrie ou entités économiques européennes fortes. L’intégration européenne s’est faite au travers de la globalisation capitaliste et de la financiarisation du capital, avec capitaux croisés et fonds de pension nord américain ou asiatiques. Dans ce cadre, chaque capitalisme et bourgeoisie joue sa partition.
*Il y a un Euro et une banque centrale mais avec la concurrence inter-capitaliste, le corset néolibéral, et l’absence de souveraineté démocratique pour les peuples, une même monnaie pour des économies de niveau de développement différent, n’a fait qu’aggraver les inégalités entre les économies européennes.
* Il y a une construction para étatique mais c’est toute une architecture institutionnelle qui échappe, là encore, non seulement à la souveraineté populaire mais même aux formes de la démocratie de type parlementaire. C’est ce qui explique, la politique autoritaire de la « troika »- UE, BCE et FMI- dans le sud de l’Europe et de plus en plus de restrictions démocratiques dans toute l’Europe. Les citoyens ont été écartés de ce projet. Il s’agit d’institutions pour le grand marché. Du coup, il n’ y a pas de politique économique, sociale, fiscale, mais aussi une faiblesse structurelle sur le plan politique, diplomatique et militaire. L’UE n’a pas la capacité de décision des USA ou de la Chine.
L’Europe est, donc, dés son origine, consubstantiellement, néolibérale et antidémocratique. Ce choix est celui des gouvernements et classes dominantes de chaque pays.
Aussi, nous ne sommes pas d’accord pour dire, face aux politiques d’austérité, de renvoyer, chaque fois aux responsabilités de l’Europe ! Non, l’UE c’est le dispositif choisi par chaque bourgeoisie pour valoriser son économie et ses positions dans l’économie mondiale, en augmentant la pression pour maintenir et accroitre ses taux de profits.
4) Et ce sont toutes ces contradictions, que la crise va faire exploser. Il n’y a pas de capitalisme européen propre, mais, l’UE est le vecteur d’intégration des économies européennes dans la globalisation capitaliste. Cela a deux conséquences :
*La première, pour suivre la marche effrénée de la concurrence internationale avec un marché mondial de la force de travail, il faut casser le « modèle social européen », bref liquider ce qui reste de conquêtes sociales et, dans certains cas démocratiques en Europe, pour maintenir et conquérir de nouvelles positions dans l’économie mondiale. D’où une baisse du pouvoir d’achat et des salaires- de 20 à 30 % dans le sud de l’Europe, une précarisation de la force de travail en Allemagne ou dans les Pays de l’Est. C’est le sens de la fameuse « concurrence libre et non faussée », qui, privatise les services publics, déréglemente les marchés du travail, et conduit au démantèlement progressif de la sécurité sociale.
*La deuxième, c’est une concurrence interne à l’ UE, avec ce que les spécialistes appellent des trajectoire dissymétriques des économies de l’ UE, avec de nouveaux rapports de forces exprimés par les 160 milliards d’excédents commerciaux de l’Allemagne et les 70 milliards de déficits en France, puis par des différences entre l’Allemagne ,les pays du Nord et ceux du sud et de l’est avec en position intermédiaires de la France et de l’Italie. Avec la crise, il y a une nouvelle configuration de l’Union Européenne, une marche forcée dans les politiques d’austérité :tout cela, au nom de la « règle d’or » de la lutte contre les déficits budgétaires et des impératifs du remboursement de la dette .Résultat :une longue période de croissance « molle » entre 0 et 1 %..Ces politiques sont entrainées dans une spirale infernale : la contraction de l’activité engendre la diminution des recettes fiscales, qui approfondit les déficits et la dette, ce qui place les états sous la menace permanente des marchés financiers qui poussent à de nouvelles politiques d’austérité.
Ce ne sont pas les nièmes politiques d’austérité : C’est l’austérité structurelle permanente. Ce qui écarte toute relance « keynésienne » en Europe. La crise a été contenue, mais le chômage continue à augmenter ou ne baisse pas substantiellement. L’Union Bancaire vise, dans les années qui viennent à contrôler une partie du secteur bancaire, mais de nouvelles crises peuvent surgir.
5) C’est cette situation de longue période récessive qui aujourd’hui provoque un sentiment de rejet, à juste titre de l’Europe, comme vecteur des politiques d’austérité. Un sondage donne 44% de personnes qui considèrent l’Europe comme source de crainte et 28 % comme source d’espoir. Nous ne sommes pas dans la situation de la fin des années 70 pour les pays de l’Europe du Sud ou des années 90 avec les pays de l’est, où les fonds structurels et les aides européennes étaient synonymes de développement et d’amélioration des conditions de vie des gens. Aujourd’hui, l’Europe est plutôt associée aux politiques d’austérité.
Ces tendances ne peuvent que nourrir des crises sociales et politiques, des crises, qui à cette étape, nourrissent la droite et l’extrême droite et peuvent déboucher sur des régimes autoritaires.
Cela a une conclusion : combattre les politiques d’austérité permanente, les gouvernements de droite comme de gauche sociale libérale au niveau national comme européen, passe par la rupture avec le type de construction européenne et tous les traités européens: Maastricht Amsterdam, Lisbonne et les institutions européennes, car l’UE n’est pas réformable. Il n’y a pas de politique possible de réorientation de l’Europe qui est dès l’origine néo-libérale et antidémocratique. Il faut rompre avec le type de construction européenne mais pas avec l’Europe.
6) Le retour au cadre national, aux monnaies, aux douanes et aux lois nationales, constituerait un retour en arrière, et surtout le déchainement de nouvelles tensions, confrontations voire chocs en Europe. Il faut une autre Europe, au service des besoins des peuples.
Prenons l’exemple de la sortie de l’Euro. Faire de cette question, dans la prochaine campagne électorale, en France, une question centrale serait une double erreur. Dans les rapports capitalistes actuels, ce serait d’abord l’équivalent d’une dévaluation massive, de 25 à 30 % en moins, ensuite, un déchainement protectionniste, de nouvelles guerres commerciales qui imposeraient de nouvelles politiques d’austérité contre les travailleurs. C’est, aussi, politiquement dangereux car c’est créer les conditions d’une union sacrée nationaliste pour le retour à la monnaie nationale. C’est surtout confondre le fond-quelles politique économique- et les instruments comme la monnaie. Faire, en France, par exemple, de la « sortie de l’ Euro » une question centrale, c’est tomber dans le piège du Front national, qui fait de ce découpage politique, une discriminant politique majeur. Il peut y avoir des situations, comme en Grèce où face au chantage de l’UE qui dit, « Il faut choisir, soit l’euro et l’austérité », soit « vous refusez l’austérité, mais, alors là, vous n’aurez plus l’euro »,les camarades grecs ont raison de dire : « Nous refusons ce chantage, nous ne ferons pas de sacrifices pour l’euro et nous n’accepterons pas les plans d’austérité, quitte à ce que vous nous expulsiez de l’Union européenne ».Mais c’est une réponse de crise. La réponse de « programme » face aux développements mondiaux, la crise et les besoins des peuples, c’est de répondre à l’échelle d’espaces plus larges, d’échelles qui permettent une meilleure répartition des richesses et de nouvelles divisions du travail correspondant aux besoins.
7) Nous opposons à l’Europe actuelle, une autre Europe, une Europe au service des peuples et des travailleurs.
Cela suppose de reprendre, de projeter certains points de programme nationaux et formuler un programme international européen. Nous pouvons reprendre l’idée d’un bouclier social en Europe, d’une harmonisation sociale et fiscale par le haut :
- d’un smic européen- on nous dit comment concilier le smic français de 1500 et le smic portugais de 450 Euros ou le projet de smic allemand de 850 euros- cela suppose de faire converger par le haut des salaires minimum en parité de pouvoir d’achat. C’est la seule solution de longue durée aux problèmes des travailleurs détachés. On doit imposer, bien sûr, aux patrons de payer les mêmes cotisations sociales pour tous les salariés, mais à moyen et long terme il faut des niveaux de salaires comparables.
- la défense et l’extension de services publics européens ; aller vers des sécurités sociales et des systèmes de santé équivalents ;
- l’interdiction des licenciements et la mise en œuvre de plans de création d’emplois massifs et une politique d’échelle mobile des heures de travail et réduction de temps de travail vers une semaine de 30H
- La fin de la banque centrale et la constitution dune service public bancaire européen sous contrôle des citoyens et des travailleurs.
- La mise en œuvre d’une politique de planification écologique et de transition énergétique, avec de grands projets de systèmes de transports non polluants, et de protection de l’environnement.
- Une politique agricole commune qui défende l’agriculture paysanne contre les multinationales de l’agro alimentaire.
On voit qu’une telle politique européenne implique des incursions dans le système de propriété privée des grands secteurs de l’économie.
8) La mise en œuvre de ce programme implique la mobilisation populaire et le débat démocratique ;
*La mobilisation populaire- c’est vrai que sur ce point, nous rencontrons des difficultés. Il y a des mobilisations sociales, voire des explosions sociales, en particulier dans le sud de l’Europe. Ces mobilisations n’ont pu bloquer les politiques d’austérité. Mais il ya tout un travail de échange, de coordination, de réunions à faire par secteurs, par branches. La CES qui est intégrée aux plans de l’UE n’est pas d’une grande aide. Nous devons renforcer les coopérations et les solidarités entre les luttes de chaque pays. Nous devons organiser des réunions par secteurs, santé, automobile, mais il ya des limites dans ces activités. Dans tous les cas il faut afficher la solidarité internationale, tant sur le plan des luttes que dans nos activités politiques, en particulier dans les relations anticapitalistes européennes.
*Le débat démocratique est aussi très important. Il faut d’abord la défense de tous les droits démocratiques, en particulier le droit des immigrés, des sans papiers, contre une Europe forteresse. Nous voulons une Europe des droits des femmes, notamment le droit à l’avortement qui n’est toujours obtenu ou remis en cause dans une série de pays Nous défendons aussi une Europe de la paix, ce qui est, une exigence centrale au moment où se font entendre une nouvelle les bruits de bottes, en Europe de l’ Est. La paix exige le respect de l’autodétermination et la condamnation de toutes les interventions des puissances impérialistes contre les peuples. Cela passe aussi par l’opposition aux interventions militaires en particulier en Afrique.
9) Mais plus généralement, si nous proposons la rupture avec les traités, il faut une autre Europe, une Europe démocratique et au service des peuples et des travailleurs. Démocratique : nous devons avancer un processus constituant où les peuples décident au travers une large discussion et l’élection de délégués qui établissent une nouvelle organisation démocratique de l’Europe.
Socialiste, car dans ce débat démocratique, nous avons une proposition, autour de réponses anticapitalistes, socialistes : une Europe au service des peuples dans le cadre des Etats-Unis socialistes d’Europe. Une forme d’union qui respectent les souverainetés nationales et populaires..
10) Pour conclure, nous voyons, qu’à la différence de courants ou d’intellectuels qui tendent à évacuer l’Europe de notre horizon stratégique, nous pensons que nous ne pouvons pas avoir de politique anticapitaliste sans visée internationaliste et européenne. Comme l’indiquait Trotski « la révolution commence sur le terrain national, se développe sur l’arène internationale et s’achève sur le plan mondial ». Il y a une articulation entre le terrain national et international. Il est possible qu’il y ait une synchronisation dans le développement de révolutions, mais en général il y a désynchronisation des étapes, des moments de la lutte de classes. Chaque nation ne doit pas attendre l’autre. S’il y a des expériences progressistes dans un pays, il faut défendre les conquêtes arrachées, protéger ce qui a été gagné .Mais il faut en même temps avoir une politique d’extension, de projection internationale et surtout d’appel à la mobilisation populaire pour étendre ces processus progressistes.
François Sabado