Publié le Mercredi 10 mai 2017 à 11h57.

Trump ou la saison de la force...

« Trump n’a pas seulement fait écho à la petite-bourgeoisie ou à la bourgeoisie américaine, voire à une partie du prolétariat en particulier blanc, il a, à sa façon, défini une orientation qui répond aux besoins impérialistes des USA et que partage une large fraction de l’establishment qu’il prétendait combattre. » Explications.

«Nous considérons l’histoire du point de vue de la révolution sociale. Ce point de vue est en même temps théorique et pratique. Nous analysons les conditions de l’évolution telles qu’elles se forment sans nous et indépendamment de notre volonté, afin de les comprendre et d’agir sur elles par notre volonté active, c’est-à-dire par la volonté de la classe organisée. Ces deux côtés dans notre façon marxiste d’aborder l’histoire sont indissolublement liés », écrivait Trotsky en 1924 dans Europe et Amérique.

C’est de ce point de vue, en toute conscience des rapports de forces, qu’il nous faut analyser les bouleversements en cours à l’échelle internationale dont Trump est le résultat et le symptôme. Un accident électoral, certes, mais un accident révélateur des conditions sociales et politiques, des contradictions, des rapports de forces qui se manifestent à travers lui et qui l’ont porté au sommet de la première puissance mondiale.

Il nous faut comprendre leur logique non pour tenter de prédire l’avenir mais dans le but d’essayer de dégager les perspectives qui s’ouvrent pour le prolétariat, nos propres tâches du point de vue des luttes de classe. Trump est l’aboutissement d’une longue évolution depuis Bush et sa politique du chaos, le Tea Party, l’impuissance d’Obama à mettre en œuvre ses déclarations d’intention, une évolution qui plonge ses racines dans l’histoire de l’impérialisme américain.

Au delà du grotesque du personnage, la politique qu’il commence à mettre en place va construire sa propre logique en fonction des besoins de la bourgeoisie américaine, de son Etat, des nouveaux rapports de forces façonnés à travers la mondialisation libérale et impérialiste. « La politique est de l’économie concentrée », disait Lénine. Cela ne signifie nullement un rapport mécanique entre les deux mais que la politique s’élève au-dessus de l’activité économique quotidienne, morcelée, pour lui donner une forme cohérente et globale qui agit sur elle en retour. Le lien entre politique et économie se construit à travers la lutte de classe, la lutte pour l’appropriation des richesses entre les forces réactionnaires, capitalistes, qui soumettent l’économie à la folie de la course au profit et de la concurrence mondialisée et les forces progressistes, le prolétariat qui fait tourner la machine, applique les méthodes modernes et scientifiques à la production et aux échanges, développe leur socialisation.

Le personnage de Trump est le produit de cette folie de l’économie de marché et de la concurrence, de ce conflit de classes. Si ses préjugés, ses excès déstabilisent y compris une fraction de la bourgeoisie américaine, le tournant dans la politique internationale des USA qu’il voudrait représenter n’est pas une rupture avec celle de ses prédécesseurs, y compris Obama, mais bien  une brutale accentuation, un tournant.

Obama voulait donner une image moderne et progressiste à une politique réactionnaire déterminée par les seuls intérêts des multinationales américaines. Il a échoué, il ne pouvait qu’échouer. Le masque démocratique de sa politique libérale et impérialiste ne pouvait résister à la réalité. Son échec et la folie de Trump indiquent la seule voie qui reste au progrès, la lutte de classe menée sans en craindre les conséquences, la révolution, le socialisme. De ce point de vue, et malgré lui, il joue un rôle révolutionnaire au sens où il donne à voir au monde entier la folie et la faillite du capitalisme sénile.

 

Tournant dans la mondialisation libérale et impérialiste

Le chiffre du déficit de la balance commerciale des USA, au regard de ceux de la Chine et de l’Allemagne, pointe la question clé devant laquelle est l’Etat américain. Le déficit commercial américain en 2016 a atteint 502,2 milliards de dollars (470,4 milliards d’euros), soit son plus haut niveau depuis 2012. La Chine enregistre un excédent de 347 milliards de dollars, en repli malgré tout de 5,4 %, de même l’Europe et surtout l’Allemagne ou, de façon moindre, le Mexique, qui a encore accru ses excédents avec les Etats-Unis. Si, avant la crise de 2007-2008, alors que le marché financier était alimenté par les profits engendrés par la surexploitation du prolétariat chinois et des pays émergents, ce déficit renforçait les USA, aujourd’hui, alors qu’une nouvelle crise financière menace du fait du ralentissement économique mondiale, il se retourne contre eux.

Jusqu’alors ce déficit était l’expression de leur suprématie qui leur permettait de drainer une large fraction des richesses produites dans le monde. Aujourd’hui, alors que la concurrence s’exacerbe, il manifeste une trop grande dépendance qui, à long terme, peut se retourner contre eux. Les USA ont besoin d’inverser la tendance ou au moins de stabiliser les choses. Et pour cela ils veulent reprendre leur liberté de mouvement dans les domaines tant de la production que financier, commercial, diplomatique et militaire pour être en mesure d’affronter sur tous les terrains une concurrence exacerbée, pour mener leur guerre commerciale.

C’est bien à cet objectif que répond le slogan « Make America great again ». Et Trump saura moduler sa politique en accord avec ce que décideront les états-majors de Wall Street, du Pentagone et du FBI comme il l’a fait, il y a peu, à l’égard de la Chine ou du Japon, de la Russie ou de l’Otan en revenant à des positions plus «  orthodoxes ». Il n’empêche que la guerre commerciale qu’engage Trump ouvre une nouvelle phase dans l’offensive mondialisée des classes dominantes contre les classes populaires, comme dans la lutte acharnée de la concurrence qu’elles se livrent entre elles.

La bourgeoise avait tenté de construire un mythe, celui de la « mondialisation heureuse » où le marché apporterait la démocratie, la paix et le bien-être, mensonge et poudre aux yeux dont Obama se voulait l’expression. Ce mythe s’effondre. Jusqu’au début du 21e siècle, les progrès technologiques combinés à une prolétarisation massive par la ruine de la paysannerie dans les pays dits émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil, avaient  fait baisser les coût de production et alimenté la machine à profit, le casino de la finance. Mais cela, au prix d’un endettement généralisé et d’une bulle financière « exubérante ». L’anticipation des profits donnait lieu à une spéculation effrénée. L’accident était inévitable, la crise des subprimes aux USA en a été le déclencheur.

 

Le vrai choc, 2007-2008 et le paradoxe Obama

Le vrai choc dont Trump et tous les courants réactionnaires d’extrême droite, populistes, ont profité, c’est bien la crise de 2007-2008. Ce fut aussi le début des années Obama.

Obama est devenu président, il y a huit ans, porté par une nouvelle génération qui voulait liquider l’ère de Bush et des Républicains, l’ère de la politique du « chaos créateur », des guerres d’Irak et d’Afghanistan, une génération qui ne voulait plus de 11 Septembre, qui rêvait d’une société multiraciale et multiculturelle, démocratique et pacifique. Obama l’avait conviée à changer son  pays et le monde. En 2009, il avait invité les pays du monde arabe à de nouvelles relations, il avait promis de fermer Guantanamo. Non seulement il n’a rien fait de tout cela mais il a fait l’inverse.

Le prix Nobel de la paix, ou plutôt des déclarations d’intention, loin de rompre avec la politique de Bush, a renforcé le déploiement militaire américain dans le monde. Alors qu’il avait promis de se retirer d’Irak et d’Afghanistan, les USA y sont encore engagés. Au mépris des espoirs que son discours du Caire, en 2009, avait suscités dans le monde arabe, Obama a engagé plus avant encore les Etats-Unis dans le chaos créé au Moyen-Orient par la guerre en Irak.

Les derniers mois de son mandat, on l’a vu accuser les Européens d’être des « free-riders », des profiteurs, propos de même nature que ceux de Trump qui appelle au désengagement de l’Amérique face aux « coûts énormes » de l’Otan. En novembre 2011, Obama annonçait un « pivotement » de la stratégie des Etats-Unis pour se concentrer en Asie et dans le Pacifique. Les Etats-Unis y ont renforcé leur présence militaire. D’ici à 2020, 60 % des capacités de leur armée de l’air et de leur marine y seront concentrés. En juin 2015, Obama a obtenu du Congrès les pouvoirs nécessaires pour négocier un grand traité de libre-échange, le Partenariat trans-pacifique (TPP), qui incluait entre autres les Etats-Unis, le Japon, le Vietnam, l’Australie, le Chili, le Pérou, le Mexique et le Canada et couvrait 40 % de l’économie mondiale. La Chine n’y a pas été intégrée...

Trump remet en cause cette politique du « pivot ». Ce n’est cependant pas pour détendre les relations avec la Chine, ni pour rompre les relations avec le Japon, mais pour avoir une pleine liberté de manœuvre pour négocier des accords unilatéraux en fonction des seuls intérêts des Etats-Unis, de leur rivalité avec la Chine.

 

Une nouvelle phase de l’offensive libérale et impérialiste

Nous verrons de quelle façon la bourgeoisie financière, son Etat, Trump mettront en œuvre leur  orientation. Quoi qu’il en soit, celle-ci ne sera pas une rupture mais bien l’accentuation des évolutions déjà engagées par Obama. Comme ce dernier a tenu à le rappeler, avant d’être démocrates ou républicains « nous » sommes tous Américains. « Rendre sa grandeur à l’Amérique » est un slogan dont le fond est partagé par toute la classe dominante américaine.  Les rapports de forces ont changé, la politique combinant le libéralisme économique et le militarisme impérialiste a déstabilisé l’ensemble de la planète. La première puissance mondiale n’a plus la suprématie d’antan, un nouveau rival émerge dans un monde multipolaire, la Chine. L’instabilité des relations internationales ne peut plus être contenue par une seule puissance qui se sent, en retour, menacée.

En proclamant vouloir « rendre sa grandeur à l’Amérique », Trump n’a pas seulement fait écho à la petite-bourgeoisie ou à la bourgeoisie américaine, voire à une partie du prolétariat en particulier blanc, il a, à sa façon, défini une orientation qui répond aux besoins impérialistes des USA et que partage une large fraction de l’establishment qu’il prétendait combattre. Derrière ce slogan, il y a la défense des intérêts du capital américain face à la concurrence mondialisée, contre les peuples et contre sa propre classe ouvrière.  Les discours nationalistes et protectionnistes visent à associer les peuples à la politique des bourgeoisies confrontées à une concurrence exacerbée, à créer l’illusion que la politique des classes dominantes pourrait répondre aux inquiétudes et demandes des classes populaires. C’est vrai aux USA comme ici.

 

Dominer le désordre mondial

A défaut de pouvoir continuer à prétendre assurer l’ordre mondial au nom d’un messianisme prétendument démocratique, le Pentagone et Wall Street entendent jouer leur carte dans le désordre mondial et utiliser les contradictions et rivalités qu’ils ont eux-mêmes largement contribué à créer en fonction de leurs propres intérêts. Le capital financier américain n’a nullement l’intention d’avoir une politique isolationniste, mais bien de perpétuer sa domination contre les travailleurs et les peuples à l’échelle de la planète.

Il s’agit pour les USA d’essayer de se dégager du Moyen-Orient pour laisser les Russes, la France et la Grande-Bretagne gérer avec les puissances locales, Egypte et Turquie, sans oublier leur fidèle allié Israël. En disant « la solution à deux Etats n’est pas la seule possible », en reprochant aux Nations-unies d’avoir traité Israël de manière « très injuste », Trump a apporté son soutien à la politique de Netanyahou. Il veut préserver ses relations avec Israël dont il a trop besoin face à l’Iran.

De nouvelles manœuvres sont engagées au Moyen-Orient à travers les négociations autour de la Syrie et les choses sont instables et incertaines. Les USA renégocieront-ils l’accord sur le nucléaire iranien, chercheront-ils au final un compromis  pour composer avec Téhéran dont ils auront besoin pour tenter de construire un nouvel équilibre au Moyen-Orient ? Ou au contraire, choisiront-ils de privilégier l’Arabie saoudite ? Les hésitations, les volte-face de Trump sont le reflet de cette « situation chaotique » dont il dit lui-même avoir hérité. Et c’est le même jeu d’équilibre incertain entre l’Otan et la Russie. L’Union européenne, que les Etats-Unis avaient portée sur les fonds baptismaux, est devenue un rival, en particulier l’Allemagne, d’où le soutien de Trump au Brexit et sa volonté affichée de faire éclater la zone euro. Un rival, mais néanmoins encore un allié...

Cette offensive des USA vise à remodeler les rapports avec leurs alliés pour faire face à la puissance montante, la Chine. Rien n’est écrit, de nouveaux rapports de force se négocient à travers des aléas, des accidents, des revirements...

D’une certaine façon, nous assistons, à un autre niveau, globalisé, au même  type de processus que celui qui, à travers  la première mondialisation, à partir de la fin du 19e siècle, avait abouti à la formation du stade impérialiste du développement capitaliste à partir de l’évolution du capitalisme de libre concurrence. La libre concurrence conduit à une concentration croissante du capital entre les mains des multinationales qui, après avoir vanté « la concurrence libre et non faussée », recherchent le soutien et la protection de leur Etat pour résister à leurs rivaux. Et cela, malgré la réalité d’une « économie monde », l’interpénétration et l’interdépendance de la production comme des capitaux. Les nouvelles contradictions à l’œuvre n’en seront que plus aiguës, les Etats que plus fragilisés.

Le plus fort, celui qui est porté par un plus grand dynamisme, se fait le champion de l’ouverture des marchés. Au vingtième siècle, ce furent les USA, au 21e siècle c’est la Chine. Cet affrontement de Titans réorganise tant la production et les échanges que les rapports financiers, diplomatiques et militaires en déstabilisant toutes les relations internationales antérieures. Nous sommes entrés dans une nouvelle époque.

 

Mettre les événements en perspective

L’élection de Trump est un coup de semonce  qui attire les regards sur le degré atteint par la décomposition sociale et politique qu’engendre l’offensive des classes dominantes. Aussi, sur les logiques qui pourraient brutalement s’accélérer dans des enchaînements dont personne n’est en mesure de prévoir les conséquences. Mais personne ne peut écarter le pire, ce pire qui est envisagé par les protagonistes eux-mêmes. Bannon, militant d’extrême droite, qui a été promu au Conseil permanent de sécurité par Trump, ne cache même pas qu’il envisage la possibilité d’un affrontement militaire avec la Chine, autant dire la possibilité d’’une troisième guerre mondiale. Oui, nous sommes bien entrés dans une époque de guerre et de révolutions.

La logique à l’œuvre ne pourra être enrayée que par l’irruption des travailleurs sur le terrain social et politique pour mettre un coup d’arrêt à la fuite en avant des classes dominantes. Il serait illusoire de croire que ces dernières puissent être en mesure d’apporter des réponses progressistes aux drames qu’elles ont créés. L’élection de Trump en est une démonstration. La concurrence est par nature destructrice, elle ne connaît comme mode de régulation que la loi aveugle du marché. Elle détruit toute démocratie et travaille au renforcement des Etats pour mener leur guerre de classe contre les travailleurs et les peuples.

Rien d’irréversible n’est engagé, loin s’en faut, du moins si nous sommes capables de prendre au sérieux l’avertissement. La classe ouvrière a la force d’inverser le cours des choses. Elle a connu à travers les dernières décennies un puissant développement à l’échelle internationale, aux USA comme dans le monde entier, elle est le produit d’un melting-pot qui brasse toutes les origines et couleurs de peau.

Aujourd’hui, les classes dominantes ont l’initiative parce que tous les partis dits de gauche ou démocrates ont fait faillite pour s’intégrer à l’ordre capitaliste. Mais leur faillite n’est pas celle de la classe ouvrière, de la jeunesse qui a manifesté dans les villes américaines. Leur monde craque de partout, il est sans avenir alors qu’une force immense surgit du développement économique  de la mondialisation, celles des travailleurs du monde entier, sans patrie ni frontières.

Yvan Lemaitre