Publié le Mardi 18 septembre 2018 à 15h03.

« On veut faire croire aujourd’hui que la décolonisation française est définitivement achevée »

Lors de la dernière université d’été du NPA, deux ateliers animés par le militant anticapitaliste et anticolonial martiniquais Gilbert Pago ont traité de la question coloniale française à travers le prisme de la situation en Guadeloupe, Guyane et Martinique. Gilbert Pago nous a fait parvenir un texte résumant ces interventions, et nous l’en remercions.

Le premier atelier a abordé la lutte contre la politique française dans les années entourant Mai 1968, en revenant sur les luttes populaires et anticoloniales, de 1958 à 1974, en Guadeloupe, Guyane et Martinique.

Dans ces trois territoires et aussi à la Réunion, les luttes furent confrontées à une politique systématique de répression, avec entre autres des interventions meurtrières de l’armée, à plusieurs reprises, dans chacun de ces quatre pays. On doit rappeler Fort-de-France en décembre 1959 (3 morts), le Lamentin en mars 1961 (3 morts), les nuits de Cayenne en juin 1962, les émeutes à la Réunion en 1962, les paysans de Danjoie en Guadeloupe en 1965, le terrible massacre de mai 1967 à Pointe-à-Pitre et les 2 morts de Chalvet, en Martinique, en 1974. Ces pays étaient des terres d’arbitraire, reposant sur des lois d’exception, dont l’ordonnance du 15 octobre 1960 sur la déportation des opposants et l’interdiction de séjour de militants. On y pratiqua la criminalisation de la revendication d’autonomie et d’indépendance, en multipliant, contre les activistes politiques et syndicalistes, les procès devant la Cour de sûreté de l’État. L’État colonial s’opposait à la lutte pour la langue créole, pratiquait la mise à l’écart de l’histoire des pays et de leurs littératures. Pour ces territoires, la volonté décolonisatrice s’est affirmée dans le souffle des années 1960 et du mouvement mondial de Mai 1968. 

Guerres coloniales

Le deuxième atelier est revenu sur l’anticolonialisme contemporain, avec un rappel historique sur les 70 dernières années. 

Aujourd’hui, on veut faire croire que la décolonisation française est définitivement achevée. Et certains utilisent malicieusement le terme universitaire de post-colonialisme pour répandre l’idée qu’une page civilisationnelle aurait été tournée. 

Or, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que s’élargit le phénomène de la décolonisation,  la France et ses gouvernements issus de la Résistance refusent celle-ci à la plupart des colonies qui avaient aidé à la défaite du nazisme et du fascisme, sauf dans le cas des pays sous mandat comme le Liban et la Syrie. Les constituants de 1946 créent l’Union française avec la fiction de départements d’outre-mer (DOM) et de territoires d’outre-mer (TOM). 

La Quatrième République engage les terribles guerres coloniales d’Indochine, puis d’Algérie. Elle tente la timide et restrictive loi Defferre de 1956 pour les ensembles d’Afrique noire. Elle ne peut éviter l’incontournable engagement international de la liberté des protectorats du Maroc et de la Tunisie. Par contre, elle participe à la méprisable affaire du blocus du canal de Suez. 

En 1958, De Gaulle promeut l’idée d’une communauté française, et punit la Guinée pour son « non » à cette communauté lors du référendum de 1958. Or, nous sommes, notamment depuis 1955, avec la conférence de Bandoeng, dans un moment d’extension des mouvements d’émancipation décolonisatrice, avec le défi cubain de 1959 dans une Caraïbe en révolte, avec le surgissement des non-alignés, et la grande année de l’Afrique en 1960, qui fait voler en éclat la « communauté française ». La tragédie, en 1961, de l’assassinat de Lumumba, avec l’indépendance du Congo, soulève la solidarité anticolonialiste mondiale. 

Dans ce contexte, l’armée française ne peut empêcher l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Dans les DOM (Antilles, Guyane et La Réunion), les mobilisations se maintinrent sous les gouvernements gaullistes, contre les répressions de luttes populaires et anticoloniales, contre le règne de l’arbitraire et des lois d’exception, contre la Cour de sureté de l’État… On y criminalisait la revendication d’autonomie, d’indépendance, et la lutte culturelle. 

On procéda sous Giscard, en 1974-1975, à la division du petit archipel des Comores et à l’organisation du drame tant de Mayotte que du reste des Comores. Après bien des tergiversations, on arriva à l’indépendance de Djibouti en 1977. 

Plus tard, en 1981, avec la victoire de la gauche en France, le mépris des revendications des peuples colonisés fut plus voilé et plus habile, quand bien même la violence des années précédentes s’atténua et fut décriée officiellement. Il y eut tout de même la Kanaky, avec le rôle de Mitterrand dans la disparition de Machoro. Il y eut Rocard et les nocifs accords de Matignon après le drame d’Ouvéa sous la responsabilité de Chirac (Premier ministre de cohabitation). 

Actualités de l’anticolonialisme

Pour ce qui restait au début du 21e siècle de colonies françaises, la tactique des gouvernants tant de droite que de gauche a été d’assouplir leur approche. Dans les vieilles colonies, en prenant en compte l’implantation électorale de partis autonomistes et indépendantistes et le fameux accord de Basse-Terre de 1998 (entre présidents de région soit indépendantiste, soit autonomiste, soit intégrationniste), Chirac, réélu président en 2002, fit une ouverture avec proposition de modification institutionnelle et promesse de statuts différenciés. Cela donnera les fameux référendums de 2003 et 2010 aux Antilles et en Guyane.

On n’y parle pas de décolonisation mais de décentralisation, de collectivités territoriales nouvelles se référant aux articles 73 ou 74 de la Constitution française, avec la possibilité de procédures d’expérimentation (énergie, transports, coopérations avec les pays de la région). 

On ne parle plus que de territoires français rattachés à leur métropole. Le risque est de faire croire que le droit des peuples à se diriger eux-mêmes n’existe pas pour ces territoires, que l’on voudrait présenter comme des prolongements de France sur d’autres continents. C’est le danger qui ne doit pas atteindre les militantEs du courant révolutionnaire français et du mouvement ouvrier. Leur devoir est de s’impliquer dans la lutte anticolonialiste, non seulement pour le soutien actif, mais aussi et surtout pour l’intégrer aux luttes contre la Françafrique, contre les engagements militaires, pour la solidarité avec les migrantEs et pour dénoncer les restes de l’empire colonial français.

Gilbert Pago

P.S : Dans les ateliers, il y eut une éclairante contribution sur la lutte du peuple kanak à la veille du référendum manipulé qui aura lieu dans quelques semaines, ainsi qu’une longue intervention sur le problème de la « Montagne d’or » en Guyane. Quelques questions ont abordé les crimes d’État coloniaux impunis aux Antilles-Guyane, le Franc CFA, les arrangements militaires…