Publié le Samedi 22 juin 2013 à 11h18.

De l’égalité des droits à l’égalité réelle

Après plusieurs mois de débats parlementaires et d’agitation homophobe, la loi dite « mariage pour tous » a été adoptée le 23 avril. Mais ce qui fera date, ce n’est pas tant cette victoire pour les lesbiennes et les gays que les tergiversations et reculs habituels de la gauche gouvernementale, avec l’offensive exceptionnelle des réactionnaires. La lutte pour l’égalité n’est pas derrière nous, car force est de constater que l’homophobie et la transphobie restent à éliminer.

Heureux de cette opportunité de contester la politique d’un gouvernement dont il ne peuvent qu’approuver la politique pro-patronale, les milieux réactionnaires, la droite revancharde et l’extrême droite ont profité des débats sur cette loi pour se refaire une santé sur le dos des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transidentitaires et intersexuées (LGBTI). En défendant au parlement comme dans la rue leurs conceptions rétrogrades sur la sexualité, l’ordre des genres et la famille, ils sont apparus comme l’opposition légitime au gouvernement.

Solidarité de classe contre la réaction

Les homophobes ne déposent pas les ar-mes, ils poursuivent leur mouvement qui unit personnalités de droite, cathos bien propres sur eux et nostalgiques du fascisme. Profitant du contexte de crise, ils ont développé une démagogie pseudo sociale, en opposant l’égalité des droits à la question de l’emploi : « la priorité c’est Aulnay, pas le mariage gay » ou « du boulot, pas le mariage homo », peut-on lire sur leurs pancartes. Ces réacs se moquent bien du sort des travailleurs : leurs mots d’ordre, qui présentent les mesures en faveur de l’égalité des droits comme une diversion, ont notamment pour objectif de renforcer les divisions dans les classes populaires.

Ce n’est pas en empêchant un/e collègue homo d’organiser sa vie comme il/elle l’entend qu’on sauvera nos emplois, mais en luttant tous ensemble contre le patronat et le gouvernement à son service. Le combat contre toutes les discriminations, tous les préjugés, toutes les divisions artificielles est d’ailleurs l’affaire de toutes et tous, dans la mesure où cela empoisonne l’existence d’une partie d’entre nous et représente autant d’obstacles à l’unité des jeunes et des travailleurs/ses qui est nécessaire pour organiser notre riposte. Notre unité d’action, de même que la solidarité sans faille des classes populaires, aussi bien contre l’homophobie que contre le racisme et le sexisme, sont la meilleure arme pour balayer ces réactionnaires des beaux quartiers.

Pour l’égalité des droits… jusqu’au bout

Les tergiversations du PS ont permis aux réactionnaires de s’organiser et d’installer un climat nauséabond, qui a eu pour effet de décomplexer les violences homophobes, verbales et physiques. Hollande n’a pas cessé de leur faire des concessions, en particulier avec ses reculs successifs sur la procréation médicalement assistée (PMA). Après avoir renoncé à intégrer à la loi le droit à la PMA pour toutes les femmes, puis avoir annoncé qu’il se rangerait derrière l’avis du Comité national d’éthique qui y est notoirement opposé pour les couples de lesbiennes et les femmes célibataires, le gouvernement a finalement enterré ce projet pour « donner des signes d’apaisement ».

Il n’a par ailleurs pris aucune mesure contre la transphobie. Disposer librement de son existence, c’est aussi le droit d’assumer son identité, mais la possibilité de changer son état-civil sur simple demande, sans obligation de stérilisation, n’est toujours pas reconnue. Après l’adoption de ce texte minimaliste, et alors que bien des discriminations subsistent, les revendications pour l’égalité des droits devront être imposées au gouvernement par la mobilisation.  

Austérité partout, égalité nulle part ?

De l’aveu même du gouvernement, le « mariage pour tous » ne suffira pas à en finir avec ce que subissent quotidiennement les personnes LGBTI. Selon Najat Vallaud-Belkacem, sa porte-parole et ministre des droits des femmes, c’est ce qui justifiait son « programme d’actions contre les violences et les discriminations en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre ». Présenté en octobre 2012, ce plan de lutte contre l’homophobie et la transphobie est un condensé de mesures symboliques et d’annonces diverses : de la formation des animateurs/rices en accueils collectifs de mineurs contre les discriminations à celle des flics, en passant par la prévention en milieu scolaire ou encore la proposition d’ouvrir une négociation spécifique sur ces discriminations dans le monde du travail. Le plan permet « de reventiler l’action des ministères (…) sans créer de nouvelles dépenses », comme l’a expliqué la ministre. Rien d’étonnant puisque les seules mesures que ce gouvernement est prêt à prendre sont celles qui ne coûtent rien, excepté quand il s’agit de faire des cadeaux au patronat, bien sûr.

La politique d’austérité du gouvernement Hollande-Ayrault n’est pas compatible avec la mise en œuvre des mesures les plus urgentes contre l’homophobie et la transphobie. Le contexte d’attaques contre les services publics, de coupes budgétaires et de pénurie organisée dans l’éducation et le secteur social – aussi bien en termes de moyens que de personnels – rend impossible une prévention réelle de l’homophobie à l’école ou la création de foyers d’accueil pour les jeunes LGBTI en situation de rupture familiale. Les attaques contre la sécurité sociale font s’éloigner la perspective de l’extension du droit à la PMA, qui impliquerait une augmentation du nombre de remboursements. Quant au démantèlement du système de santé et de la recherche publique, il rend plus difficile encore la lutte contre des pandémies touchant particulièrement les gays et les trans, notamment le sida. Lutter pour l’égalité exige de combattre la politique du gouvernement. 

Cette société, ça ne peut plus durer

Les provocations de politiciens de droite et d’extrême droite, la mobilisation des milieux réactionnaires depuis janvier, les agressions homophobes qui se multiplient depuis avril, constituent un saisissant rappel de l’oppression quotidienne que subissent les personnes LGBTI. Au-delà du droit de choisir de (ne pas) se marier, l’égalité réelle reste à gagner. Pour cela, les lois ne suffiront pas, comme elles ne suffisent déjà pas à garantir l’égalité femmes-hommes ou à mettre fin au racisme. On entend souvent dire qu’il suffirait de « changer les mentalités ». Mais ce que subissent les personnes LGBTI n’est pas qu’une somme de « méchancetés » individuelles, de préjugés anachroniques : ce sont les conséquences de tout un système. 

Si la famille tient une place centrale dans cette société, ce n’est pas parce que dans la plupart des cas s’y nouent des liens affectifs. C’est parce qu’il s’agit d’un cadre qui permet que les femmes prennent en charge gratuitement les soins apportés aux enfants et les tâches domestiques, même quand elles ont par ailleurs un emploi salarié. D’un point de vue logistique, c’est très économique et très pratique pour la classe dominante. L’oppression des personnes LGBTI découle des normes qui servent à légitimer ce fonctionnement et auxquelles leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ne correspond pas. Aujourd’hui encore, tout concourt en effet à nous faire comprendre, dès le plus jeune âge, qu’il vaut mieux se conformer à une certaine image, à un rôle particulier : l’homme doit être viril et ambitieux, la femme douce et séduisante, et l’un va forcément avec l’autre.

Cette oppression ne peut être éliminée dans le cadre de la société capitaliste, qui l’utilise à son service. L’égalité réelle ne sera pas le résultat de vains appels à la tolérance, mais d’un combat global, anticapitaliste, pour la construction d’une société débarrassée de l’exploitation et de toutes les oppressions, car la bourgeoisie n’est pas capable de mettre à bas des préjugés et des formes de domination aussi profondément enracinés, et elle n’a pas d’intérêt à le faire.

Lutter, c’est ça notre fierté

Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, comme à son habitude, la police new-yorkaise avait fait une nouvelle descente au bar gay le Stonewall Inn. Cette fois-là, les trans avaient refusé de s’y plier, imités par les gays et les lesbiennes : pendant cinq nuits, plusieurs milliers de LGBT – en premier lieu les Portoricains, les Noirs et les plus pauvres – avaient affronté la police pour stopper les brimades et contester les lois homophobes. Ils avaient lancé ensemble ce message : plus question de raser les murs ni de baisser les yeux. Chaque année, dans le monde entier, les marches des fiertés commémorent cette révolte. En France, elles ont lieu entre mai et juillet, et rassemblent régulièrement des centaines de milliers de personnes. Pour les LGBTI, revendiquer de la fierté, c’est prendre le contrepied de la place que la société leur assigne, c’est un antidote à la honte.

Au-delà du caractère festif habituel, les marches auront cette année dimension politique très forte en raison de l’offensive réactionnaire qui se poursuit et des reculs du PS, notamment sur la PMA. Elles constituent des étapes importantes pour « reprendre la rue ». Lesbienne ouvrière, gay précaire, bi étudiant/e, trans employé/e, hétéro au chômage, profitons toutes et tous ensemble de cette occasion pour montrer à nos adversaires communs que nous sommes unis, et que nous partageons la même fierté d’être dans le camp de celles et ceux qui relèvent la tête et qui luttent !

 

Gaël Klement