Publié le Mercredi 22 avril 2020 à 16h20.

Pour en finir avec certaines confusions : réponse au texte intitulé « Pour en finir avec le confinement »

Nous réagissons au texte d’Antoine intitulé « Pour en finir avec le confinement » publié le 17 avril dans la rubrique « idées » du site du NPA. En effet, si nous partageons la liste des revendications énoncées en conclusion, l’analyse proposée et les stratégies qui pourraient en découler nous paraissent problématiques.

1) Une analyse superficielle du confinement 

La situation de « confinement » est présentée de manière assez confuse et contradictoire dans ce texte. En effet, on y lit tout d’abord que « les choix des capitalistes sont clairs : il faut maintenir la production industrielle et la consommation aux niveaux les plus élevés possibles, au détriment de tout le reste ». Les capitalistes, représentés par Macron, seraient donc clairement pour le déconfinement. Sauf qu’en même temps, le texte n’exclut pas l’hypothèse selon laquelle l’annonce d’un déconfinement à partir du 11 mai ait été faite « pour que s’exerce une pression "par en bas" favorable à la prolongation du confinement et à la répression ». Ainsi, Macron & co auraient intérêt à ce qu’une résistance émerge contre ce que les capitalistes souhaitent le plus : le « déconfinement »? Peu vraisemblable. 

Mais les contorsions ne s’arrêtent pas là. On lit plus loin que « Le confinement, c’est la protection de la population malgré elle, par en haut, le refus de toute discussion sur la liberté de chacunE à prendre des risques pour sa propre santé, la négation du libre arbitre et des libertés individuelles. » 

Si on résume, les capitalistes auraient imposé par le haut et contre la volonté de la population un confinement qui nuit grandement à leurs intérêts ; et maintenant que les mêmes capitalistes annoncent un déconfinement partiel, cohérent avec leurs objectifs, ils auraient peut-être un calendrier caché qui serait de maintenir le confinement. 

La confusion règne, et ne s’arrête pas là.  

Il est affirmé dans le texte qu’« il faut prendre avec du recul les méthodes préconisées par les médecins et les capitalistes ». Ainsi, il n’existerait aucune distinction entre le confinement recommandé par les personnels de santé et celui mis en œuvre par le pouvoir et les capitalistes. Une telle affirmation balaie les nombreuses critiques et revendications du corps médical quant à la gestion de la crise sanitaire. Mais surtout, une analyse plus rigoureuse de la situation impose de distinguer plusieurs dimensions au confinement. 

- un confinement sanitaire préconisé par les personnels hospitaliers du fait de la terrible situation qu’ils et elles vivent. Évidemment, nous sommes d’accord avec l’idée que le confinement aurait pu être évité si notre système public de santé n’avait pas subi les politiques néolibérales depuis des années (fermeture des lits et des postes, non renouvellement des stocks de masques, délocalisation des entreprises fabricantes…). De même, le confinement aurait pu prendre une autre tournure moins liberticide. Néanmoins, compte-tenu de la situation de l’hôpital au début de la crise sanitaire, les professionnels de santé ont, dans leur grande majorité, plaidé pour des mesures de confinement en contradiction avec les intérêts du capital. Encore aujourd’hui, le corps médical condamne l’ouverture des écoles contre l’intérêt des capitalistes. 

- un confinement capitaliste, compatible avec les intérêts du capital, qui prive les individus de leur liberté de circulation tout en les obligeant soit à aller travailler, soit à bosser à la maison (rappelons que la dernière loi a assoupli les obligations de l’employeur sur le télétravail) soit à faire subventionner les arrêts de travail inévitables par la sécurité sociale (donc les travailleurs). 

Nous pensons que le confinement a été une solution prise sous contrainte par les capitalistes. Une semaine avant sa mise en place, Macron se pavanait au théâtre en encourageant les gens à continuer à vivre « normalement ». Rattrapés par les demandes de plus en plus pressantes du corps médical d’une part, les mesures prises par les pays limitrophes d’autre part et, par la suite, par les inquiétudes légitimes des salarié.e.s, les capitalistes n’ont eu d’autre choix que de mettre en place des mesures fortes. Rappelons qu’avant le 17 mars, les mises en demeure faites aux entreprises à fournir des équipements se multipliaient et qu’elles n’étaient pas en mesure d’y répondre. Les capitalistes risquaient donc de voir les salarié.e.s exercer massivement leur droit de retrait. Ils n’auraient pas pu les contester devant les tribunaux et auraient dû financer intégralement les arrêts de travail puisqu’un droit de retrait s’accompagne d’un maintien à 100% du salaire. Le confinement généralisé, subventionné par un dispositif de chômage partiel permettant de mettre l’économie sous cloche, a donc notamment été la solution trouvée par les capitalistes pour faire face à un risque de retrait massif des salarié.e.s avec maintien du salaire. 

S’ils avaient eu les mains libres, les capitalistes n’auraient tout simplement pas mis en place de confinement. Ils auraient obligé les gens à aller bosser au prix de leurs vies pour certain-e-s. Cela a d’ailleurs était envisagé en Grande-Bretagne et Donald Trump soutient la fin du confinement. 

Ajoutons que le pays sort de plusieurs années de conflits sociaux intenses, avec notamment le mouvement des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites, la grève des hospitaliers… Au regard de la situation sociale, ne rien faire contre l’épidémie aurait sans aucun doute déclenché des mouvements de grèves massifs et radicaux. Les capitalistes devaient faire quelque chose.

À l’opposé du confinement capitaliste, une des options qui traverse l’activité et les luttes de notre classe est celle de l’autogestion et l’auto-défense avec arrêt total de toute activité non nécessaire, maintien de salaire et aides supplémentaires, réquisition des hôtels et logements vides pour les sans-abris et les mal-logés, régularisation des sans-papiers, maintien des libertés publiques, etc.

Notre analyse nous amène à penser que les rapports de forces existants ont abouti à une forme de confinement hybride et précaire dont les impacts précis sur les individus dépendent de leur position dans les rapports de classe, de race et de genre. Certaines personnes ont dû continuer à travailler, d’autres ont pu arrêter leurs activités sans perdre leurs salaires. Pour certaines la situation est synonyme de misère et d'enfermement dans des logements exigus et insalubres. Et, pour toutes et tous, les libertés sont fortement menacées du fait d’un renforcement de l’état policier. 

Si le texte regrette à juste titre que « la liberté de chacunE à prendre des risques pour sa propre santé » n’ait pas été préservée, on peut affirmer que sans les mesures de confinement de nombreux.euses travailleurs.euses auraient probablement eu plus de difficultés à faire valoir leurs droits de retrait ou à obtenir la possibilité de ne pas aller travailler tout en étant rémunéré-e-s. Finalement, sur ce point, plus qu’une liberté à prendre des risques pour sa propre santé, expression qui dissimule le fait qu’on prend toujours des risques pour soi et pour les autres, c’est plutôt notre capacité à nous auto-organiser et à nous auto-défendre face au Covid-19 qui est niée, ce qui est bien plus grave. 

En refusant d’analyser le confinement autrement que de manière monolithique, en le résumant à une mesure prise par et pour les classes dominantes, le raisonnement peine à expliquer la situation. 

On comprend mieux maintenant pourquoi l’affirmation largement répandue et reprise dans ce texte selon laquelle « notre camp [est] pratiquement totalement anesthésié par le confinement » est fausse. S’il y a confinement sous la forme actuelle c’est bien parce que notre classe était active dans la période précédente, a continué à l’être au début de la pandémie, et que son pouvoir d’action n’a pas disparu. 

2) L’invisibilisation complète des luttes en cours et la démoralisation de notre camp

À la lecture du texte, du fait de ce confinement, aucune lutte viable n’existerait à l’heure actuelle. Pire, il appelle en conclusion le mouvement ouvrier à « s’extraire de l’union sacrée ». Mais de quelle union sacrée parle-t-on ? Celle qui n’a existé que pendant 24 heures que dans les calculs tordus de quelques politiciens avant qu’ils ne se rendent comptent par eux-mêmes que l’ambiance n’était pas à la concorde ?  

Au contraire, nous pensons que partout les membres de notre classe luttent pour que les moyens mis en œuvre contre la pandémie penchent vers des modalités qui nous sont la plus favorables. 

Grèves, droits de retrait et actions juridiques se multiplient dans les entreprises où les salarié.e.s travaillent toujours sur place ou à distance. Petite liste non exhaustive des actions les plus visibles : 

- dès le début du mois de mars, de nombreux.ses salarié.e.s font valoir leur droit de retrait - à la RATP, au Louvre, chez Keolis, Transdev1… Muriel Pénicaud est alors contrainte d’allumer des pare-feux2 : « Il y a extrêmement peu de cas où le droit de retrait est justifié », déclare-t-elle le 8 mars, ce qui n’empêche pas d’autres de suivre : dans la grande distribution (par exemple à Carrefour), à La Poste où Solidaires comptabilise 10000 droits de retrait exercés, etc. 

- chez PSA, les syndicats contraignent la direction à reporter la réouverture des usines et imposent la négociation d’un protocole sanitaire3

- début avril, Amazon est amené à fermer ses entrepôts après l’action en justice de trois syndicats4 et les ingénieurs et codeurs de la même entreprise organisent une grève en ligne5

- à Marseille, les salarié.e.s de Mc Do réquisitionnent le restaurant pour le transformer en banque alimentaire6

- mi-avril, des inspecteurs du travail accusent leur hiérarchie de faire entrave à leurs missions et saisissent l’OIT7

- etc. 

L’idée selon laquelle les luttes seraient suspendues le temps du confinement est tout bonnement fausse. Mais surtout, invisibiliser comme cela est fait dans le texte les luttes en cours prend le risque de démoraliser notre camp social qui serait condamné à attendre le jour d’après pour agir ou la reprise du travail pour se mobiliser. 

Quant aux endroits où les activités sont suspendues, les salarié.e.s sont particulièrement attentives et attentifs à leurs conditions de retour. C’est notamment le cas des enseignant.e.s qui, depuis l’annonce d’une réouverture des établissements scolaires pour le 11 mars, en envisageant le retrait si les conditions de sécurité ne sont pas réunies, ont contraint le gouvernement à un rétropédalage. 

Pourtant, là encore, le mouvement initié par les enseignant.e.s fait l’objet d’une lecture critique pour le moins surprenante. 

3) Des professeur.e.s fantasm.é.es dans leurs missions mais priv.é.es de leur droit de grève !

Le texte remet en question la pertinence de la position des professeurs qui refuseraient de reprendre le travail le 11 mai si les conditions sanitaires n’étaient pas remplies ! Rappelons pourtant, que les syndicats de l’éducation nationale n’ont pas « rejeté la date du 11 mai » en tant que telle, ni se sont opposés à « servir de garderie ». L’ensemble des syndicats de l’Education nationale s’opposent à la reprise sans les mesures sanitaires adéquates. Contester (ou « relativiser », comme il préfère le dire) cette opposition revient à leur nier tout rapport de force ! Par ailleurs, il est bon de rappeler que le travail de garde n’est pas moins noble ni moins nécessaire que le travail de transmission du savoir. La garde des enfants du personnel sanitaire est d’ores et déjà assurée par les enseignant.e.s.

Les arguments avancés dans le texte pour « relativiser » notre soutien aux revendications des enseignant-e-s sont très problématiques. Tout d’abord, il fait remarques que « de très nombreux/ses salariéEs travaillent encore » pour inciter les enseignant-e-s à rouvrir les classes. Cette affirmation est doublement problématique. Elle invisibilise le fait que les professeur.e.s travaillent à distance depuis le début du confinement. De plus, elle insinue que parce que certain.e.s salarié.e.s sont toujours contraint.e.s au travail présentiel (souvent sans que le travail soit indispensable dans le contexte) il faudrait que les autres travailleurs.euses revoient leur revendications à la baisse. Finalement, tous les métiers n’offrent pas les mêmes possibilités de protection des salarié-e-s. Il est presque impossible d’appliquer les gestes barrières dans un établissement scolaire sans moyens colossaux. 

L’argument avancé ensuite ne peut se lire que comme une mise en question du droit de grève des professeurs et plus généralement de la fonction publique : « les enseignantEs sont des rouages de l’appareil d’État et que, comme d’autres corps des services publics, leur rôle est de servir la population ». Enfin, en avançant comme dernier argument que « les risques sont limités pour les personnels jeunes et en bonne santé » le texte minimise le risque sanitaire que fait courir l’ouverture des écoles le 11 mai, à la fois pour les enseignant-e-s (dont la moitié ont plus de 45 ans) et pour les familles des élèves dont il n’est pas question. Or non seulement les enfants fréquentent en permanence leurs grands-parents, mais ces derniers (en particulier les grand-mères) en assurent souvent la garde. Ce travail reproductif gratuit indispensable à la société est négligé par un Gouvernement néolibéral méprisant des retraités. Nous, en revanche, devons le reconnaitre et ne pas invisibiliser les personnes qui l’exercent. 

Les autres arguments peinent tout autant à convaincre. Il rappelle à juste titre que « l’idée d’enfermer des enfants pendant trois mois [avec…] des adultes n’est pas particulièrement rassurant. ». Néanmoins, il fait l’erreur d’amalgamer fermeture des écoles et enfermement des enfants sans voir que le reste de l’espace pourrait être investi par les enfants. Une telle logique fait en réalité sienne celle de l’état policier. Si les personnes avaient le droit de circuler, d’aller dans les parcs… il serait tout à fait possible de maintenir les classes fermées sans enfermer les enfants.

Pour finir, le texte développe une version idéalisée de l’école et cauchemardesque de la famille. Aller à l’école pendant les mois de mai et de juin serait indispensable pour sauver les enfants de l’enfermement et de la violence des adultes. L’école serait la seule institution capable de fournir leur « besoin vital d’échange, de culture, d’activités physiques et ludiques ». De façon caricaturale, l’école est présentée comme seul lieu d’émancipation pour les enfants et la famille comme un lieu uniquement oppressif et violent. Or, la réalité est plus nuancée. Si nous ne devons pas négliger la violence que les enfants subissent au sein de la famille (un enfant meurt tous les 5 jours tué sous les coups de ses parents) nous ne pouvons pas réduire la famille à ce seul aspect comme si elle n’était pas aussi, pour la plupart des enfants, site de solidarités, d’apprentissages et épanouissement. 

L’école également à cette double dimension émancipatrice et oppressive. En particulier l’école néolibérale peut être un site d’oppression et souffrances pour les élèves (10% des enfants sont victimes de harcèlement à l’école8) et en particulier pour les plus défavorisés qui sont également les plus enclins à l’absentéisme. Les gouvernements néolibéraux successifs des dernières années (sous Sarkozy, Hollande, Macron) ont démantelé l’Éducation nationale et en particulier les réseaux d’éducation prioritaire dans les quartiers populaires (suppressions de postes et de moyens face à une augmentation d’effectifs notamment). L’école, en particulier dans les quartiers populaires, n’est pas en état de répondre à l’urgence sociale9. Le printemps dernier, les enseignant.e.s du second dégré de la Seine-Saint-Denis se sont fortement mobilisés pour demander plus de moyens « pour que le sang cesse de couler »10. À l’automne, les enseignant-e-s du lycée d’Alembert d’Aubervilliers appliquaient leur droit de retrait et réclamaient en urgence des moyens suite aux assassinats de 2 élèves en moins de deux mois11. Par ailleurs, l’école et les services sociaux sont des outils de contrôle social des familles pauvres au moins autant qu’ils sont à leur service. Finalement, si les gens avaient le droit de circuler et d’ouvrir des lieux de solidarité, de nombreux lieux fleuriraient où des enfants en petit groupe, pourraient jouer.  

En résumé, le texte propose une vision fantasmée des professeur.e.s qui deviennent des héros de la nation mais dont le droit de grève est « relativisé ». On a vite glissé d’un appel quasi autogestionnaire - « La question n’est pas de prendre une position particulière pour l’école et d’idéaliser le confinement, mais de poser la question d’un point de vue de classe, c’est-à-dire en formulant quels secteurs doivent fonctionner et comment, quels autres doivent être arrêtés » - à un bon vieil étatisme autoritaire.

4) La grève des professeurs comme levier pour « notre classe » et pour imposer nos solutions à la crise sanitaire.

La question actuelle est donc stratégique : comment faire en sorte que l’option autogestionnaire et favorable à notre classe l’emporte ? Que nous propose le texte pour améliorer le rapport de force en faveur de « notre classe » afin d’éviter l’avènement d'une société totalitaire, entièrement tournée vers le travail » ? 

Nous partageons la liste finale de revendications mais aucune stratégie n’est avancée pour y arriver. Il se contente de dire « on voit mal comment on pourrait construire un rapport de force devant son ordinateur, sans assemblées générales, sans manifestations, et comment des grèves pourraient se déclencher par la magie d’internet. ». Nous aussi, nous pensons que la grève est un des outils les plus efficaces pour obtenir nos revendications. Or, il y en a une qui se dessine peut-être à l’horizon : précisément celles des professeur.e.s ! Il serait donc de bon ton de ne pas l’affaiblir par nos discours. De facto, l'éducation nationale est un secteur stratégique dans cette période. Si les professeur.e.s refusent de reprendre le travail, ce sont des millions de salarié.e.s qui ne pourront pas se rendre sur leurs lieux de travail. Ils devront garder leurs enfants. Les professeur.e.s pourraient ainsi cristalliser avec leur lutte l’opposition au système capitaliste. Iels pourraient devenir le fer de lance pour une mobilisation plus générale de toutes celles et ceux qui considèrent que nos vies valent plus que leurs profits. Iels pourraient devenir l’équivalent des cheminot.e.s pour la réforme des retraites.

Notre rôle en tant que militant-e-s du NPA n’est pas de juger la pertinence ou non de potentiels mouvements de grève à venir (encore moins quand c’est pour les mettre en cause) mais de les renforcer s’ils émergent, d’y participer et d’encourager les secteurs qui se mobilisent portent des revendications qui dépassent leurs corporations et s’attaquent frontalement à l’État policier.

Marion, Selma, Hugo et Elisa (NPA Paris 17-18)