Publié le Jeudi 16 avril 2020 à 15h44.

Pour penser l’après-capitalisme : un service public de santé sans patrons ni État

La pandémie du Covid-19 va probablement se combiner de manière dramatique avec un effondrement économique de grande ampleur. La crise économique qui vient, décrite par certains dans les cercles de pouvoir comme « d’ampleur comparable à celle de 1929 » risque de mettre en cause le fonctionnement des secteurs les plus vitaux, en particulier la santé, déjà mis à mal par les politiques libérales.

La santé et le marché sont incompatibles

Mais sans anticiper une telle situation, nous avons déjà de bonnes raisons de remettre en cause le fonctionnement des secteurs de la santé dans le cadre du marché : la preuve est faite aux yeux de beaucoup de gens que l’offre et la demande, la recherche du profit, ne peuvent aboutir à une allocation rationnelle des ressources. La preuve est faite que la gestion de l’hôpital comme une entreprise privée, avec centres de coûts et tarification à l’acte, vont à l’encontre des besoins les plus fondamentaux et de la gestion à long terme.

Je propose de mettre en débat les propositions suivantes :

- Impulser un mouvement militant pour un service public démocratique la santé et du médicament ;

- Un seul système hospitalier, pas de cliniques privées ;

- Une seule sécu. Pas de mutuelles  ni de complémentaires, ni de CMU : gratuité totale de toute la santé pour tous et toutes ;

- Nationalisation sans indemnités ni rachat de l'industrie pharmaceutique et des cliniques.  Ils ont bien profité de la sécu. C'est déjà payé, et même trop cher ; trop cher humainement aussi ;

- Élection au suffrage universel de la direction de ce service public (avec éventuellement des collèges), sans participation patronale ni étatique (comme la sécu des origines). L'incompétence sanitaire de l'État, sa priorité donnée aux entreprises sur la santé, et les blocages du patronat contre des mesures efficaces sont maintenant de notoriété publique. 

Un contenu positif

Il est possible dès aujourd’hui d’être entendus sur un tel projet par beaucoup de militantEs et de professionnelEs. Le récent appel paru dans le Monde du 30 mars (« Coronavirus : des associations de soignants demandent, par référé, la "réquisition des moyens de production" de médicaments et matériel ») montre que nous pourrions avoir des interlocuteurs pour en discuter.

Des associations de la santé, des militantEs syndicaux, des professionnelEs, pourraient se rencontrer, dès que la fin du confinement le rendra possible, et travailler ensemble pour qu’un tel projet de service public de santé soit discuté largement.  

Nous qui luttons pour une autre société, pour le socialisme, nous devons référer à un contenu positif, à des formes institutionnelles d’une société dans laquelle la propriété privée, l’argent et l’État ne seraient plus les formes dominantes et organisatrices du monde. 

Des revendications pour aujourd’hui en termes de soins, de protection, d’équipements hospitaliers ne nous dispensent pas de penser la suite. Et la suite ne viendra pas spontanément si nous ne la concevons pas : il n’y a pas de mécanique inéluctable ou de lois de l’histoire qui conduiraient, à partir des besoins immédiats et des revendications, à construire la mobilisation, mobilisation qui mettra en crise le capitalisme, crise qui entraînera la révolution, révolution qui posera les bases du socialisme. 

À une telle mécanique de l’histoire faite d’engrenages supposés, et de finalité plus ou moins nécessaire, j’oppose l’idée que notre conception du socialisme doit être incluse dès le départ dans nos revendications et nos luttes. Le mouvement écologiste est souvent plus proche de cette idée (repenser la production) que l’action sociale revendicative.

Collectivisation non étatique

La nationalisation (des cliniques, des entreprises du médicament, des laboratoires, etc.) peut apparaître comme un premier pas dans la situation catastrophique où nous sommes. Mais la nationalisation généralisée, une économie étatisée ne peut plus être pensée, depuis l’époque de l’URSS, comme l’alternative à la propriété privée. Par ailleurs, face à la vague de faillites qui s’annonce, l’État peut envisager de nouvelles nationalisations qui n’auraient rien de progressiste : ce serait la nationalisation des pertes comblées par nos impôts. Proposer une collectivisation non étatique, une socialisation, est indispensable. Propriété étatique versus propriété privée est, à long terme, une fausse alternative. Il nous faut un service public non étatique, sans capital privé, démocratique.

Nous avons besoin d’une perspective socialiste. Si les mobilisations démarrent toujours à partir de revendications immédiates, de « besoins sociaux », elles les dépassent très vite (sans les nier) : « On ne veut pas laisser un monde en ruine à nos enfants » ; « La retraite pas seulement pour nous mais aussi pour ceux qui arriveront après nous » ; « Je suis Gilet Jaune, pas seulement pour moi mais pour tous ceux qui souffrent de la misère et de la précarité ; je fais ça pour mes enfants » (même s’il n’en a pas). Les mouvements les plus puissants seront ceux qui s’inscriront dans l’avenir et dans le collectif. Nous sommes animés par une vision de l’avenir qui dépasse notre propre personne et notre temps de vie. Les religions ont sollicité des engagements puissants par « la vie éternelle » ou « le salut de l’âme ». Nous ne disons pas quelque chose de très différent si nous exprimons l’éternité, l’immortalité et le salut dans les termes de « l’avenir de l’humanité » ou « la sauvegarde de la planète ». Remettons au centre de nos motivations l’idée de socialisme.

Une alternative au capitalisme doit être proposée

Dans certaines circonstances, et nous y sommes, la légitimité globale du système est mise en cause. Face à la récession économique et à la crise de santé publique, une alternative au capitalisme doit être proposée. Si un projet socialiste global est difficile à concevoir dans le détail, des principes de fonctionnement institutionnels peuvent en évoquer certains contours : un service public de santé sans patrons, sans capitaux, sans État maître, intégralement démocratique, en fait partie.

Une fois défini un profil institutionnel applicable et soutenu largement dans un secteur stratégique comme la santé, nous pourrions le dupliquer et l’adapter en direction de la gestion de l’eau, de l’énergie, du logement, de l’alimentation, etc. Et pourquoi pas aussi dans l’attribution de capital aux entreprises : dans un premier temps en revendiquant l’attribution des aides aux entreprises par un organisme élu démocratiquement, et pour aller plus loin : abolition de la Bourse, remplacement par un organisme élu qui collecterait les bénéfices et les attribuerait aux entreprises sous forme d’allocation de capital selon des critère définis démocratiquement.

Un tel projet socialiste ne peut, peut-être pas, pour l’heure, être porté à l’échelle de toute la société. Mais regrouper d’ores et déjà des réseaux militants serait une étape nécessaire pour préparer l’avenir et faire avancer l’idée qu’un autre monde est possible face aux circonstances dramatiques qui sont devant nous1

 

  • 1. Extrait d'une tribune parue dans Libération (2 avril) qui va dans le sens de la démarche exprimée ici : « Nous ne pouvons plus laisser les forces du marché déterminer les investissements et les citoyen·ne·s doivent pouvoir déterminer les grandes orientations de l’économie par un système financier socialisé géré par elles et eux, comme l’a été le régime général de sécurité sociale de 1947 à 1967. » (En ligne sur https://www.liberation.fr/debats/2020/04/02/sauver-le-capitalisme-ou-changer-d-economie_1783721)